Rocambole – En prison

Chapitre 10

 

 

On avait donc installé l’homme gris et soncompagnon de captivité, Barnett, dans une cellule plus grande etplus spacieuse.

Sir Robert M…, le joyeux gouverneur deNewgate, ne manqua pas, dès le matin, de faire sa visitequotidienne au prisonnier.

– Eh ! gentleman, lui dit-il, j’aiune bonne nouvelle à vous donner.

– Ah ! fit l’homme gris.

– Vous aurez un nouveau compagnonaujourd’hui.

– Vraiment ? dit le prisonnier.

– C’est comme j’ai l’honneur de vous ledire.

– Eh bien, Votre Honneur, dit l’hommegris, voilà le cas ou jamais de couronner toutes vos bontés pourmoi.

– Que désirez-vous ?

– Si nous sommes trois, faites-nousdonner des cartes, nous jouerons au whist.

Sir Robert M… se mit à rire.

– À moins que votre nouveau venu ne soitle dernier des ignorants, il doit jouer le roi des jeux.

– Vous devez le savoir, gentleman.

– Moi ?

– Oui, car vous connaissez beaucoup lapersonne qui va venir.

– Allons donc !

– C’est votre ami Rocambole.

– J’ai déjà eu l’honneur de dire à VotreSeigneurie que ce nom m’était parfaitement inconnu.

Sir Robert M… le regarda d’un air qui auraitpu se traduire par ce mot :

– Farceur !

Puis il ajouta :

– C’est qu’alors nous avons été malrenseignés.

– Par qui ?

– Par les deux détectives que nous avonsenvoyés en France.

L’homme gris ne fit pas d’autre question.

Sir Robert M… causait volontiers. Aussireprit-il :

– Quand je vous annonce l’arrivée d’uncompagnon pour aujourd’hui, je me trompe peut-être.

– Ah ! fit l’homme gris.

– Il est possible que ce ne soit que pourdemain.

– Où donc l’avez-vous mis ?

– Nulle part encore. Je l’attends.

– Mais il est arrêté ?

– Il doit l’être.

– Et vous ne l’avez pas encorevu ?

– Non.

L’homme gris soupira.

– Tant pis, dit-il, car vous m’eussiezdonné son signalement ; après tout, il est possible que je leconnaisse.

– Ah ! ah !

– Et qu’il ait changé de nom… commemoi…

Et l’homme gris souriait avec une bonhomiecharmante.

– Je n’ai pas vu mon futur prisonnier,répondit sir Robert M… ; mais on m’a transmis sonsignalement.

– Voyons ?

– C’est un homme de taille moyenne,jeune, vingt-sept ou huit ans.

– Fort bien.

– Brun, avec de petites moustachesnoires.

– Et puis ?

– Il voyage avec une femme.

– Et c’est tout ?

– Tout absolument.

– Votre Honneur ne m’apprend pasgrand’chose.

– Du reste, vous le verrez. Au revoir,gentleman.

– Longue vie à Votre Seigneurie !répondit l’homme gris.

Et le bon gouverneur s’en alla.

L’homme gris regarda alors Barnett et se mit àrire.

– Vous connaissez parfaitement, je levois, dit l’Irlandais, celui qui va venir.

– Parbleu !

– Mais ce n’est pas Rocambole ?

– Non, car Rocambole c’est moi.

L’Irlandais jeta un cri.

– Mon bon ami, dit l’homme gris, si ont’avait dit, il y a huit jours, que du fond de ma prison jecorrespondrais, au moyen des journaux, avec mes amis, l’aurais-tucru ?

– Non, certes.

– Eh bien ! cela est pourtant, et jedois rendre à la police, cette justice qu’elle a fait mes petitesaffaires avec un zèle admirable.

– Seulement, observa Barnett, je necomprends pas très bien de quelles affaires il s’agit.

– Alors, suis mon raisonnement. Onm’arrête, me voilà en prison et dans l’impossibilité de m’évader, àmoins que je n’aie des amis au dehors.

– Bon !

– Il est en France des hommes qui peuventme venir en aide, qui verseront, pour moi, jusqu’à la dernièregoutte de leur sang, mais qui ne savent même pas que je suis enprison.

Alors, que fais-je ? J’invente un hommequi peut donner sur moi des éclaircissements.

La police tombe dans le piège et se charged’annoncer à mes amis ma captivité.

Naturellement, mes amis viennent àLondres.

– Mais, dit encore Barnett, s’ils se fontarrêter, ils ne pourront plus rien pour vous.

– Tu te trompes encore…

– Ah !

– Ce jeune homme aux moustaches noires,dont parle notre bon gouverneur…

– Eh bien ?

– C’est mon ami, mon fils adoptif,quelque chose comme un autre moi-même. Il est donc tout naturelqu’il ait compris que la note des journaux était mon œuvre. Et levoilà à Londres, où on l’arrêtera, et on l’amène ici, où il vients’entendre avec moi et prendre mes ordres.

– Mais comment sortira-t-il ?

– Ne t’inquiète pas de lui.

Comme Rocambole disait cela, on entendit dansle corridor les pas lourds et mesurés des gardiens.

Puis les verrous de la porte grincèrent, lagrosse clef tourna dans la serrure, et sir Robert M… parut.

Derrière lui deux gardiens conduisaient unhomme déjà revêtu du costume de la prison.

L’homme gris ne sourcilla pas.

Il regarda le nouveau venu avec une parfaiteindifférence.

Marmouset, car c’était lui, ne broncha pasdavantage.

En vain sir Robert M… épia-t-il un geste, unregard, un signe furtif de reconnaissance.

Les deux prisonniers parurent complètementétrangers l’un à l’autre.

Barnett regarda le gouverneur.

Son regard semblait dire…

– Je crois bien qu’on s’est moqué deVotre Honneur.

Sir Robert M… ne riait plus.

Et s’adressant à l’homme gris, il luidit :

– Voici l’homme dont je vous ai parlé.C’est un français du nom de Rocambole.

L’homme gris eut un sourire :

– Vous avez un singulier nom, monsieur,dit-il au nouveau venu.

Marmouset s’inclina.

– Et vous, monsieur, dit-il, comment vousnommez-vous !

– L’homme gris.

– Un nom tout aussi singulier,monsieur.

Et les deux prisonniers se saluèrent comme deparfaits gentlemen qu’ils étaient.

Alors sir Robert M… fit un signe àBarnett.

Ce signe voulait dire :

– Plus que jamais, observe et écoute.

Barnett cligna de l’œil.

– Soyez tranquille ! fit-il.

Sir Robert M… s’en alla.

Mais quand la porte de la cellule futrefermée, Marmouset et Rocambole ne changèrent pas d’attitude.

Ils continuèrent à se regarder avecindifférence, à telle enseigne que Barnett se dit :

– Ah çà ! mais ils ne se connaissentdonc pas ?…

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