Rocambole – En prison

Chapitre 4

 

 

Miss Ellen !

Oui, c’était bien elle ; la fille de lordPalmure, naguère l’implacable ennemie de l’homme gris,c’est-à-dire de Rocambole, maintenant son amante dévouée.

Ceux qui ont suivi les derniers événementsdont Londres avait été le théâtre, se souviennent certainement dece piège tendu par l’altière jeune fille à cet homme qu’ellecroyait haïr et qu’elle aimait.

Ils n’ont pu oublier cette scène de désespoirsuprême pendant laquelle miss Ellen cherchait à faire à Rocamboleun rempart de son corps, et implorant la pitié de cet homme sansentrailles, de ce prêtre vindicatif et farouche qu’on appelait lerévérend Patterson.

Miss Ellen s’était aperçue tout à coup qu’elleaimait cet homme qu’elle venait de livrer à ses ennemis. Et l’hommegris lui avait dit en souriant :

– Vous m’avez perdu, mais à présent vousme sauverez, miss Ellen !

Et alors, comme le révérend faisait signe auxpolicemen d’emmener leur prisonnier, celui-ci s’était mis à parlerfrançais, une langue que miss Ellen possédait parfaitement.

– Miss Ellen, lui avait-il dit, nousallons être séparés, mais notre séparation sera courte. Je serailibre quand je le voudrai. Aussi, ne songez pas à moi, mais à lacause que vous combattiez naguère, et à laquelle maintenant, je lesais, vous appartenez corps et âme, comme vous m’appartenez.

Ne demandez rien à votre père, qui, du reste,va vous maudire, ne cherchez pas à me faire sortir de prison :mais partez, quittez Londres, quittez l’Angleterre ;allez-vous-en à Paris, cherchez-y un homme qui s’appelle Milon, unefemme qui a nom Vanda, et dites-leur :

« Venez avez moi, le maître a besoin devous. Cela suffira. »

Et comme miss Ellen le regardait, éperdue,atterrée, il ajouta :

– À Londres, on m’appelait l’homme gris,mais à Paris, je me nomme Rocambole !

Et Rocambole avait été en prison du pas d’untriomphateur, laissant miss Ellen folle de douleur, mais luiappartenant désormais corps et âme, comme il venait de le dire.

Sortie du souterrain, elle était remontée dansson hôtel.

Lord Palmure était absent.

Désormais miss Ellen était Irlandaise.Désormais elle appartenait à la grande cause des Fénians, queRocambole avait servie, et elle cessait, pour ainsi dire, d’être lafille de son père.

Aussi n’avait-elle pas même songé à lerevoir.

Profitant de l’absence du noble lord, elleavait réuni à la hâte quelques vêtements, quelques bijoux et toutl’argent qu’elle avait eu sous la main.

Miss Ellen avait deux serviteurs dévoués, unefemme de chambre, appelée Katt, et un valet.

Elle les avait emmenés avec elle.

L’homme gris n’était pas encore arrivé àNewgate que miss Ellen venait à Charing-Cross, montait dans letrain express de Folkestone et quittait Londres avec ses deuxserviteurs.

Le soir, elle débarquait à Boulogne, prenaitle train de marée et arrivait à Paris vers minuit.

Miss Ellen, comme toutes les Anglaises richesqui voyagent, connaissait Paris.

Rocambole n’avait pas eu le temps de luidonner d’autres renseignements ; il n’avait pu prononcer queles noms de Milon et de Vanda, mais cela lui suffisait.

Miss Ellen serait la digne compagne de l’hommegris, elle trouverait.

Elle se fit conduire, en arrivant, rueLouis-le-Grand, dans une maison qu’elle avait habitée déjà avec sonpère, un hiver qu’ils étaient venus à Paris.

La dame qui tenait l’appartement meublé lareconnut et lui fit un excellent accueil.

Miss Ellen s’installa donc avec sa femme dechambre et son domestique.

Le lendemain matin, après quelques heures d’unsommeil agité et fiévreux, elle se mit en campagne.

Milon est un nom assez commun ; il y ades Milon par centaines à Paris, et l’almanach du commerce encontient une vraie collection.

Miss Ellen se dit :

– J’aborderai quiconque se nomme ainsi etje lui dirai : Connaissez-vous le maître ?

C’était naïf à première vue, mais peut-êtreétait-ce, en réalité, le meilleur moyen.

Et miss Ellen se mit à l’œuvre.

Elle épuisa la liste des Milon del’almanach.

Aucun de ceux-là n’avait entendu parler d’unhomme appelé Rocambole.

Le soir, miss Ellen eut une idée tout à faitanglaise. Elle rédigea une petite note ainsi conçue :

« M. Milon et madame Vanda, tousdeux amis de M. R…, sont priés de passer sans retard, rueLouis-le-Grand, n°…, pour une affaire de la plus hauteimportance. »

Cette note était destinée aux journaux.

Malheureusement miss Ellen n’eut pas le tempsde l’envoyer.

Comme, brisée de fatigue, elle prenait à lahâte quelque nourriture, un bruit se fit dans son antichambre etelle entendit un domestique qui parlementait, en anglais, avec unvisiteur.

Puis la femme de chambre lui apporta une cartesur laquelle on lisait :

Sir JamesWood,esq.,

Oxfort street.

Miss Ellen allait répondre qu’elle ne pouvaitrecevoir ce gentleman, qui lui était parfaitement inconnu.

Mais sir James Wood, ayant poussé la femme dechambre, entra résolument dans le boudoir de miss Ellen.

En même temps, la jeune fille aperçut deuxautres hommes qui lui étaient pareillement inconnus et qui setenaient dans la pièce voisine.

Alors elle pâlit et devina un malheur.

Néanmoins, elle regarda sir James Wood avechauteur et lui dit :

– Que voulez-vous donc, monsieur, et dequel droit forcez-vous ainsi ma porte ?

– Oh ! excusez-moi, miss Ellen,répondit-il, je suis un gentleman et n’outrepasse jamais mon droit.Je suis en règle.

– Plaît-il ?

– J’ai un passe-port visé par l’ambassaded’Angleterre à Paris.

– Que m’importe ?

– Et un ordre du préfet de police quim’autorise à requérir la force armée au besoin.

– Monsieur.

– Enfin, j’ai l’honneur d’appartenir à lapolice de la métropole et je suis détective.

Miss Ellen recula épouvantée.

– Je vois, dit froidement cet homme, quevous commencez à comprendre pourquoi je suis ici. C’est lordPalmure, votre noble père, et le révérend Patterson, son ami, quim’envoient.

Miss Ellen jeta un cri !…

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