Rocambole – En prison

Chapitre 48

 

 

Les petites blanchisseuses causaient entreelles, tandis que le malheureux Polyte s’en allait et devenaitquelques minutes plus tard la victime du féroce Chapparot.

– Toi ! Pauline ? disait lagrande Marguerite que dans l’atelier, on appelait reineMargot, voilà que tu vas te payer un amoureux, toiaussi ?

– Pourquoi donc pas ? répondit lapetite fille.

– Il n’y a plus d’enfants, dit Pélagie larousse.

– Voilà que j’ai dix-sept ans,mesdemoiselles, dit Pauline, qui se dressa sur la pointe du piedpour paraître plus grande.

– Et pas de corset, ajouta la reineMargot.

– Tu es bien avec lui, hein ? repritla rousse Pélagie, faisant allusion à Polyte.

– C’est la première fois que je luiparle.

– Des nèfles ! dit Madeleine, unepetite bossue qui était jolie et avait l’esprit méchant des êtrescontrefaits.

– C’est la vérité, mesdemoiselles,affirma Pauline.

– Et pourquoi lui as-tu parlé ?

– Pour lui demander des billets dethéâtre.

– Des billets de quoi ?

– Des billets pour Belleville ou lesDélass’, ou l’Ambigu, dit Pauline.

– C’est donc un cabotin ? fitdédaigneusement Madeleine la bossue.

– C’est un acteur, mademoiselle.

– C’est la même chose.

– Ah ! mais non, dit Pauline avecvivacité.

– Et quelle différence fais-tu entre unacteur et un cabot ? demanda Pélagie la rousse.

– On applaudit l’acteur.

– Et le cabot ?

– On lui jette des pommes cuites.

– Dieu de Dieu ! fit la bossue, monfer à repasser s’en trouve mal d’entendre mam’selle Pauline parlercomme ça des acteurs et des théâtres ; c’est quelque chose depropre que le monsieur de tout à l’heure, je le connais bien, moi,sa mère est portière dans la rue.

– Ton père est bien savetier en plein airriposta Pauline.

– Paix donc, mesdemoiselles ! ditsévèrement la maîtresse blanchisseuse qui intervint dans le débatqui tournait à l’aigre.

Pélagie la rousse se pencha à l’oreille dePauline :

– Si tu voulais faire rager Madeleine,dit-elle, je te donnerais bien un moyen.

– Dis vite ! car cette bossuem’insupporte.

– Demande-lui donc si son futur esttoujours marchand de quatre saisons. Je te dirai pourquoi çal’embête.

– Pourquoi ?

– Parce qu’il a été condamné pour vol etqu’il est encore à Poissy.

– Ah ! si c’est ça, dit Pauline quiavait bon cœur, non, je ne dirai rien. Elle est assez malheureusecomme ça… pauvre fille !

La grande Marguerite, la reine Margot, reposason fer un moment et dit :

– Avec ça, ma petite, si tu écoutes lecabot, tu manques ton avenir !

– Vous dites ? fit Pauline.

– Tu pourrais être établie dans un moissi tu le voulais, et être la femme d’un homme patenté…

– Qu’est-ce qu’elle dit donc ?reprit la petite blanchisseuse.

– Et t’appelerMme Chapparot, dit Pélagie.

– Un joli nom ! dit la bossue.

Pauline partit d’un éclat de rire.

– Merci bien, dit-elle. C’est comme lesire de Framboisy, cet homme-là ; il tue ses femmes quand ilen a assez.

– Il a de l’argent, dit la bossue.

– Je n’y tiens pas à l’argent, moi.Est-ce que chaque jour n’amène pas son pain ? Et puis, uneblanchisseuse qui est toujours dans l’eau et un charbonnier qui nese lave la figure que tous les dimanches, ça va-t-ilensemble ?

– Je ne sais pas, dit Pélagie, devenuesérieuse, car le nom de Chapparot avait jeté un froid, je ne saispas pourquoi, mais j’aime autant que ce soit de toi que de moiqu’il soit amoureux, le charbonnier.

– Pourquoi donc ? fit la bossue.

– Il a des moments où il regarde Paulinequ’on en sue dans le dos.

– Cette bêtise !

– C’est égal, reprit Pélagie, je te vaisdonner un bon conseil, Pauline.

– Voyons ça ?

– Tu es libre d’avoir un amoureux. C’estton affaire ! mais méfie-toi de Chapparot.

– Et pourquoi donc ? Est-ce que çale regarde ?

– Non, mais un jour il lui marchera surle pied et lui tombera dessus à coups de poing.

– Ça c’est sûr, dit Madeleine labossue.

– Si tu avais vu tout à l’heure, quand tucausais à ce jeune homme, avec quels yeux il vous regardait, dit lareine Margot.

– Bah ! dit Pauline en riant,M. Hippolyte est vigoureux et adroit ; il tirerait lasavate que ça ne m’étonnerait pas…

– Oui, dit Madeleine à mi-voix, mais lecharbonnier joue du couteau.

Pauline tressaillit et ne répondit pas.

À partir même de ce moment elle tomba en unerêverie profonde.

À sept heures et demie, la journée terminée,les petites blanchisseuses soupèrent.

Alors Pauline dit à la patronne :

– Madame, je ne travaillerai pas cesoir.

– Pourquoi donc ça, paresseuse ?

– Parce que, voyez-vous, ma mère était unpeu malade, ce matin, quand j’ai quitté la maison, et je crois bienqu’elle ne sera pas allée au Cirque, où elle est ouvreuse.

Si elle y est, je reviendrai faire unedemi-veillée.

Et Pauline, son repas terminé, prit son panierà son bras, souhaita le bonsoir à ses camarades d’atelier et s’enalla.

Elle avait dit la vérité, du reste. Sa mèreétait vieille, à moitié infirme et ne remplissait que fortdifficilement son métier d’ouvreuse de loges.

Mais ce que Pauline n’avait pas dit, c’estqu’après avoir vu sa mère, si toutefois celle-ci avait manqué authéâtre, elle comptait bien ressortir sous le prétexte de retournertravailler et aller au rendez-vous qu’elle avait donné àPolyte.

Pauline partit donc.

Elle vivait avec sa mère, qui était veuve,dans un petit appartement composé de deux pièces, aurez-de-chaussée d’une maison qui faisait l’angle de la rueSaint-Ambroise et de l’avenue Parmentier, – maison qui n’avait pasde concierge et dont chaque locataire ouvrait la porte en pesantsur un loquet dissimulé assez adroitement.

Son plus court chemin était donc de traverserl’Esplanade, ce qu’elle se mit en devoir de faire, tout en couvrantsa tête nue d’un mouchoir, tant le brouillard était humide.

Pauline avait hâte de voir sa mère, mais elleavait hâte plus encore de revoir le brave Polyte et de jaser unbrin avec lui.

Polyte lui plaisait ; un acteur est unesorte de demi-dieu pour une grisette ; ensuite ce que luiavaient dit ces demoiselles la tourmentait.

Chapparot était capable de tout, elle lesavait, et pour rien au monde elle n’aurait voulu que Polyte eûtune querelle avec l’Auvergnat.

Elle comptait donc l’avertir et lui dire que,s’il voulait bien s’occuper d’elle, il le fit avec précaution et nevint plus flâner dans le passage.

Et tout en se disant cela, la petite trottaitmenu sur l’esplanade détrempée par les dernières pluies, et fermaità demi les yeux pour n’être pas aveuglée par le brouillard, lorsquetout à coup elle heurta à un obstacle et trébucha. Et comme ellereprenait son équilibre et baissait les yeux, elle poussa uncri.

L’obstacle que ses pieds avaient rencontréétait un corps humain.

Un homme gisait immobile sur le sol.

Était-il mort ? Était-ce univrogne ?

Toute autre femme se fût sauvée ; Paulinese baissa et, à travers l’obscurité, elle s’efforça de voir si elleavait affaire à un mort ou à un vivant.

Et soudain elle poussa un nouveau cri, – maisun cri de douleur autant que d’épouvante.

Elle avait reconnu dans ce corps inertePolyte, qui lui parlait deux heures auparavant et avait accepté sonrendez-vous !…

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