Rocambole – En prison

Chapitre 7

 

 

Marmouset n’attendit pas longtemps.

Il n’était pas de retour à l’hôtel d’Espagnequ’un télégramme arriva à l’adresse de sir James Wood.

Le détective Edward le reçut.

Le révérend Patterson disaitlaconiquement : « C’est bien. Et missEllen ? »

Alors Marmouset regarda Milon.

– Tu sais bien, dit-il en lui montrant letélégramme, que Rocambole se moque d’eux.

– Je commence à le croire, en effet, ditMilon, mais…

– Mais quoi ?

– Il y a une chose que je ne comprendstoujours pas.

– Laquelle ?

– Pourquoi donnez-vous votresignalement ?

– Afin qu’on puisse m’arrêter plusfacilement.

– Vous voulez donc vous fairearrêter ?

– Oui, à Londres.

– Dans quel but ?

– Dans le but d’aller à Newgate.

– Pour voir Rocambole ?

– Naturellement, et prendre ses ordres,car si la note des journaux, comme il faut bien le croire, dureste, émane de lui, c’est qu’il a bien pensé que nous devinerionsson idée et que nous ferions l’impossible pour arriver jusqu’àlui.

– Ah ! dit Milon, ce n’est pasd’entrer à Newgate qui est difficile.

– C’est d’en sortir.

– Justement.

– J’en sortirai cependant, et on me feramille excuses, encore.

– Comment ferez-vous ?

– Je me ferai réclamer par l’ambassade deFrance.

Puis Marmouset ajouta avec unsourire :

– Mon premier passé est si loin que jen’ai pas peur d’en voir apparaître la moindre trace. Voici six ans,tout à l’heure que je vis au grand soleil de la vie parisienne.

– Ça, c’est vrai, dit Milon.

– Pour le monde, je ne m’appelle pasMarmouset, mais M. Félix Peytavin, un homme élégant qui est duClub, a de beaux chevaux, joue gros jeu, possède trois ou quatrecent mille livres de rentes et duquel répondrait au besoin toute lafashion.

– Cela est vrai encore, ajouta Milon.

– Or, poursuivit Marmouset, je suispersonnellement lié avec le jeune marquis de C…, premier secrétairede l’ambassade française à Londres.

– Bon ! dit le colosse.

– Tu me laisseras arrêter.

– Et puis ?

– Peut-être est-il nécessaire que jepasse au moins deux jours à Newgate.

– Et après ces deux jours ?

– Après, tu iras à l’ambassade et tuporteras une lettre que je vais écrire, et une autre au marquis deC…

Ce colloque entre Marmouset et Milon avaitlieu, non plus dans la salle commune de l’hôtel d’Espagne, maisdans la chambre où Marmouset avait passé la nuit.

Marmouset s’assit donc devant une table, pritla plume et écrivit la lettre suivante :

« Mon cher marquis,

« Il paraît que notre beau pays de Francen’est pas le seul à avoir son criminel introuvable, son Judfantastique.

« L’Angleterre a aussi le sien.

« De temps en temps, un agent de policeidiot ou un gendarme stupide mettent la main sur un pauvre homme,s’obstinent à le prendre pour ce même Jud, qui n’a jamais existéprobablement, et le fourrent en prison.

« Voilà mon histoire sur le sol de lalibre Angleterre, mon cher marquis.

« Un policeman croit voir en moi un deces fenians imaginaires qui troublent le sommeil des vénérablespersonnages qui siègent à la Chambre des lords.

« J’ai beau montrer mes papiers, mestitres, mes lettres, il ne veut rien entendre et m’appelle dusingulier nom de Rocambole.

« À peine ai-je le temps de vous écrireces lignes, que je confie à mon valet de chambre éploré, et je suiscontraint d’aller coucher à Newgate.

« Le policeman en question fait même sibien les choses, qu’il m’assure que je serai pendu d’ici à troissemaines.

« Heureusement que vous êtes à Londres etque vous réclamerez le propriétaire de Miss Arabelle, la jumentqui, vous le savez, a gagné le derby de Chantilly cette année.

« Votre

« FÉLIX PEYTAVIN. »

– Serre cette lettre, dit Marmouset, qui,avant de la fermer, en donna connaissance à Milon, et prends aussicette autre.

– Fort bien.

– Deux jours après mon incarcération, onse présentera à l’ambassade.

– Mais il faut tout prévoir, ditMilon.

– Quoi donc ?

– Il faut prévoir le cas où le marquis neserait pas à Londres.

– Il y est.

– Vous en êtes sûr ?

– Je lui ai serré la main il y a troisjours, au club, et il partait le soir même pour retourner à sonposte.

– Alors c’est bien.

Le rôle de Milon ainsi tracé, Marmouset appelale détective Edward.

Il lui donna le modèle de deux dépêches.

L’une était signée par James Wood, et c’étaitcelle que le révérend Patterson reçut datée de Boulogne, indiquantque miss Ellen était toujours gardée.

L’autre, au propre nom d’Edward, devait êtreexpédiée de Douvres par lui.

– Je ne comprends pas bien celle-là, ditle détective.

– C’est bien simple pourtant, ditMarmouset. Après une dépêche de ce matin, le révérend a dû prévenirla police.

– Fort bien !

– Et il y a des policemen dans toutes lesgares.

– Bon !

– Si je veux avoir quarante-huit heuresde liberté à Londres, il faut donc qu’on m’attende à Douvres,tandis que j’arriverai par le train de Folkestone que je vaisprendre dans une heure.

– À merveille ! je comprends.

– Maintenant, écoutez-moi.

– J’attends, dit sir Edward.

– Vous allez donc passer par Calais,descendre à Douvres, expédier de là ce deuxième télégramme ;puis vous partirez pour Londres aussitôt, et à peine arrivé vousvous présenterez chez le révérend Patterson.

– Que lui dirai-je ?

– Que vous m’avez laissé à Douvres,surveillé par deux policemen, et que vous venez prendre sesordres.

– Et où vous retrouverai-je ?

– Demain soir à Evans Taverne, dansCovent Garden.

– J’y serai, dit sir Edward qui allaprendre le train de Calais.

Quant à Marmouset et à ses compagnons, ilss’embarquèrent sur le paquebot de midi, et, deux heures après, ilsétaient en route pour Londres.

L’audace, le sang-froid de Marmouset avaientrempli de confiance le cœur de miss Ellen.

Elle aussi murmurait :

– Oh ! nous le sauverons !…

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