Rocambole – En prison

Chapitre 39

 

 

À six heures du soir, sir James Wood revenaitdu rendez-vous qu’il avait donné à Smith, dit le Serrurier.

Celui-ci se promenait de long en large àl’entrée de la rue de Marignan.

Il était venu à pied.

Sir James arriva en voiture.

Comme la voiture s’arrêtait, Smiths’approcha.

– Patron, dit-il, est-ce que vous êtesbien pressé ?

– Pourquoi ? demanda sir James.

– Parce que j’aurais voulu causer un brinauparavant.

– Monte, dit sir James, le cocherattendra, pour repartir, que nous lui fassions signe.

Smith monta dans le fiacre, qui demeurastationnaire.

– Voyons ? fit sir James, qu’as-tu àme dire ?

– John, le seul homme qui, après moi,puisse ouvrir sans la forcer une caisse de fabrique anglaise, n’estpas à Paris.

– Oui, tu m’as dit cela ce matin.

– J’en ai la preuve ce soir.

– Comment ?

– J’ai lu dans le Times que Johnavait été arrêté à Londres et qu’il était en ce moment à Newgate,où il attendait les prochaines assises.

– Est-ce tout ce que tu as à medire ?

– Oui, patron.

– Eh bien ! allons, en ce cas.

– À votre place, je n’en ferais rien…

– Bah ! fit sir James.

– Je vous assure qu’on se moque devous.

Sir James Wood haussa les épaules.

– Qu’ai-je à craindre ? dit-il, jesuis un délégué de la police anglaise, un citoyen de laGrande-Bretagne : j’ai en poche une lettre de monambassadeur…

Smith sifflota entre ses dents.

Sir James ajouta :

– Je me suis trop avancé, du reste, pourreculer.

Et baissant une des glaces, il donna au cocherle numéro de la maison de Milon.

La maison, comme la rue, à cette heuretardive, était silencieuse et plongée dans une demi-obscurité.

Les Champs-Élysées, bruyants le jour, pleinsde vie et de lumière, sont déserts le soir, en hiver surtout.

À la porte, Smith dit encore :

– À votre place, je m’en irais sanssonner.

– Tu es fou, dit sir James.

Et, descendant de voiture, il saisit le boutonde cuivre du timbre.

La porte s’ouvrit aussitôt, et derrière, unflambeau à la main apparut Milon.

Le colosse avait sa physionomie la plus naïveet la plus ingénue.

Sir James, en le voyant, regarda Smith d’unair qui voulait dire :

– Es-tu simple ? ne vois-tu pas quece brave homme n’est occupé que de son argent ?

Milon dit, après avoir salué le détective.

– Je vous attendais, monsieur, avec unecertaine impatience.

– Vraiment ? dit sir James.

– Figurez-vous qu’un de mes contremaîtressort d’ici.

– Ah !

– Et il m’a juré avoir aperçu dans unevoiture de maître revenant du Bois l’homme qui m’a volé.

– Ne serait-ce pas monsieur ? ditsir James.

Et il montra Smith, qui fit un geste desurprise.

– Oh ! non, dit Milon en souriant,il n’y a même pas la moindre ressemblance.

– Vous êtes seul ?

– Tout seul, j’ai envoyé ma bonne secoucher.

Sir James eut un geste de satisfaction.

Milon reprit :

– J’attendais cependant trois personnesce soir, un pauvre diable, sa femme et son enfant, mais ils ne sontpas venus.

– Pourquoi ? demanda flegmatiquementle détective.

– Ils auront peut-être remis àdemain.

– Bon ! pensa sir James, il ne saitrien de l’enlèvement de Ralph.

En échangeant ces quelques mots, ils étaiententrés dans le vestibule et Milon avait refermé la porte.

– Ne vous étonnez pas, reprit sir James,que je vous aie demandé à être seul. Nous autres gens de policeanglais, nous procédons toujours avec un certain mystère et nousnous trouvons très bien de cette habitude.

– Chacun doit savoir son métier, réponditMilon avec un gros rire ; moi, je sais bâtir desmaisons ; vous, vous savez retrouver les voleurs.

– Je vous amène, dit sir James, un de mescollègues qui, à la simple inspection de votre caisse, nous diracomment on a pu l’ouvrir.

– Je vais vous la montrer, dit Milon.

Et il se dirigea vers l’escalier.

Sir James et Smith le suivirent, et celui-cidit en anglais :

– Je commence à ne plus rien comprendre àtout ce que vous m’avez dit.

Milon ne se retourna pas. Ils montaient.

Arrivés au premier étage, le colosse fittraverser son bureau à ses visiteurs nocturnes, puis il lesintroduisit dans cette pièce où se trouvait la caisse.

Le placard était ouvert et la caisseaussi.

– Vous pensez, dit Milon, que j’ai voululaisser les choses dans leur état primitif.

Sir James fit un signe de têteapprobateur.

– Seulement j’ai déménagé mon argentailleurs.

Smith lui prit le flambeau des mains, et semit à examiner la caisse.

– Donnez-moi la clef, dit-il.

Milon prit la clef, à son cou et la tendit aupickpocket.

Celui-ci la mit dans la serrure.

– Sur quelles lettres fermiez-vous ?demanda Smith.

– U, x, s etc, répondit Milon.

Smith fit jouer la clef. Il ferma la caisse,il la rouvrit ; puis, hochant la tête :

– C’est incompréhensible, dit-il.

– Comment cela ? dit naïvementMilon.

Smith le regarda.

– Vous ne seriez pas somnambule, parhasard ?

– Pas que je sache, dit Milon.

– Je le croirais volontiers,cependant.

– Par exemple !

– Votre caisse n’a pu être ouvertequ’avec votre propre clef.

– Je ne la quitte ni jour ni nuit.

– Alors, vous avez eu une nuit desomnambulisme et vous vous êtes volé vous-même.

Milon eut un geste de dénégation.

– Ou bien, dit froidement Smith, vousvous moquez de nous ?

Mais comme il disait cela, Smith entendit unléger bruit derrière lui.

Sir James, qui l’entendit pareillement, seretourna vivement.

La porte venait de s’ouvrir, et un homme, quesir James reconnut sur-le-champ, entra d’un pas tranquille.

Cet homme, c’était le commissionnaire qui, lematin, s’était emparé de la valise d’Edward à l’hôtel du Louvre.Seulement il avait changé de toilette et était mis comme ungentleman.

Alors sir James pâlit légèrement et devina queSmith avait raison tout à l’heure en disant qu’ils étaient tombésdans un piège.

Marmouset regarda sir James en souriant et luidit :

– La police anglaise a une granderéputation, cher monsieur, mais j’ai bien peur qu’elle ne la perdeaujourd’hui.

Et, Marmouset s’effaçant, sir James aperçutderrière lui trois autres personnages : Jean le Boucher, laMort des Braves et Shoking !

Shoking souriait pareillement etdisait :

– À nous deux, voleurd’enfant !…

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