Rocambole – En prison

Chapitre 29

 

 

Le lendemain matin, la boutique de denréescoloniales vendue à Marmouset la veille par master Love, lequelétait parti sur-le-champ, son argent en poche, pour aller planterses choux dans son cottage de Greenwich, cette boutique,disons-nous, s’ouvrit comme à l’ordinaire, vers neuf heures dumatin.

Le brouillard faisait relâche, et il y avaitmême dans le ciel gris comme une pâle clarté qu’on pouvait prendrepour la photographie d’un rayon de soleil.

Des ouvriers avaient travaillé la nuit àrepeindre la devanture.

Quand les habitants d’Old Baileys’éveillèrent, car le Londonien n’est pas matinal, ils virent laboutique extra-flambante, un gros homme en habit noir avec untablier blanc sur le ventre, majestueusement appuyé contre laporte, et en dedans trois commis et une jolie dame de comptoir.

La dame de comptoir mettait les écritures enordre, les trois commis allaient et venaient, et le maître épicier,Milon, ne bougeait pas plus qu’une de ces statues qui décorent tousles coins de la cathédrale de Saint-Paul.

À Paris, il y eût eu rassemblement devant laporte et, pendant une heure, tous les habitants du quartier eussentdéfilé devant la boutique, examiné les commis, lorgné la jolie damede comptoir.

À Londres, on ne se dérange pas pour sipeu.

C’est à peine si le marchand de poissons et lepublicain qui étaient les plus proches voisins de l’épicier,échangèrent ces quelques mots :

– Voisin, il paraît que master Love avendu.

– Oui, voisin.

– Et que l’acquéreur a prispossession.

– Comme vous voyez.

Et le poissonnier avait étalé ses langousteset ses saumons, tandis que le publicain rangeait ses pots d’étainsur un comptoir de même métal.

Milon, toujours sur sa porte, ne bougeait.

Il avait les yeux tournés du côté de Kentstreet et paraissait attendre quelqu’un.

Enfin un cab monta rapidement Old Bailey etvint s’arrêter devant la boutique.

Milon parut tout joyeux.

Un homme descendit du cab et entra.

C’était Marmouset.

Marmouset s’était tout à fait anglaisé depuissa sortie de prison.

Il portait un de ces costumes de fantaisie,jaquette, gilet, pantalon et guêtres de même étoffe que lesLondoniens appellent une suite et par-dessus unmacfarlane.

Son chapeau à bords étroits et haut de formeétait tout à fait britannique.

Il avait, en outre, coupé ses moustaches etgardé ses favoris.

Et comme il parlait un anglais fort pur,personne n’aurait pu dire que ce gentilhomme n’était pas un enfantdes Trois-Royaumes.

Donc Marmouset entra, après avoir payé lecabman et renvoyé le cab.

Et comme il n’y avait pas d’étrangers dans laboutique, il dit en français :

– Bonjour, mes enfants !

– Ah ! dit Milon, je vous attendaisavec impatience.

– Et tu m’as attendu toute lanuit ?

– Cela est vrai.

– Ce qui ne t’a pas empêché detravailler, je le vois.

– Non, mais je commençais à êtreinquiet.

– À mon sujet ?

– Je ne savais pas ce qui s’était passéhier là-bas.

– Je vais te le dire : ils ontpromis de le sauver.

– Ah ! dit Milon joyeux.

– Et j’ai rendez-vous ici avec un deschefs.

– À quelle heure ?

– Mais… dans la matinée…

Comme Marmouset disait cela, un homme entradans la boutique.

C’était un pauvre diable tout déguenillé etqui demanda un hareng, tout en posant un penny sur le comptoir.

Milon fit un signe, et la Mort des braves, unde ses commis, se mit en devoir de servir ce premier chaland, quiparaissait être un Irlandais.

Alors celui-ci regarda Marmouset.

Marmouset tressaillit et fit un pas verslui.

– Miss Ellen ! dit cet homme.

– L’homme gris, répondit Marmouset.

– C’est bien moi que vous attendez, ditl’homme au hareng.

Et il se dirigea vers un coin de la boutique,afin de pouvoir parler librement.

Marmouset le suivit.

L’Irlandais lui dit alors :

– Je suis envoyé par les chefsfénians.

– Fort bien, dit Marmouset.

– Après le départ de miss Ellen, nousavons tenu conseil, et il a été décidé que nous sauverions l’hommegris.

– Comment ?

– Voilà ce que nous me pouvons vousdire.

– Ah !

– Pour deux raisons.

Marmouset attendit.

– La première, dit le chef fénian, c’estque nous n’avons pas encore définitivement arrêté notre plan.

– C’est différent.

– La seconde, c’est que ni vous ni ceuxque vous avez amenés avec vous ne sont fénians.

– Qu’importe ? dit Marmouset.

– Cela importe beaucoup, dit l’Irlandais.Les statuts secrets du fénianisme nous défendent d’employer commeinstruments ou comme associés des gens qui n’ont pas le même butpolitique que nous.

– Mais l’homme gris ?

– Il est fénian.

– Mais nous sommes ses amis ?

– Eh bien ! dit froidementl’Irlandais, nous aurons la plaisir de vous le rendre.

Et sur ces mots, il sortit.

Marmouset fronça le sourcil.

Milon s’approcha de lui :

– Eh bien ! demanda-t-il, que vousa-t-il dit ?

– Ils veulent sauver le maître.

– Bon !

– Mais ils veulent le sauver sansnous.

– Ah ! mais non, dit Milon. Nous nesommes pas venus à Londres pour rien.

– Certainement, dit Marmouset. Aussi…

– Aussi ? dit Milon.

– Nous allons, de notre côté faire notrepetit travail.

– Mais, dame !

– Seulement, il ne faut pas perdre detemps.

– Ah ! dit Milon en serrant sespoings énormes, ils m’embêtent tous ces fénians !

– Et moi, donc ! fit Marmouset.

– Et je voudrais bien qu’ils arrivassentaprès nous, continua Milon.

– À l’œuvre donc ! repritMarmouset.

– Comment, nous allons commencer en pleinjour ?

– Non, mais nous allons faire un petittour dans les caves de la maison.

– Ah !

– Et rechercher l’entrée dessouterrains.

– Ça va, dit Milon.

Il alluma une chandelle posée sur une largepalette de fer, en même temps que Marmouset tirait de sa poche lefameux plan de Londres qu’il avait acheté cent cinquante livreschez M. Simouns, le libraire de la rue Pater-Noster.

Puis Milon poussa une porte au fond de laboutique, et Marmouset le suivit.

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