Rocambole – En prison

Chapitre 57

 

 

Revenons maintenant à un personnage de notrehistoire que nous avons depuis longtemps perdu de vue.

Nous voulons parler de miss Ellen.

Miss Ellen était à Saint-Lazare.

Comment la fille d’un lord d’Angleterreétait-elle confondue avec des filles perdues et desvoleuses ?

C’est ce que nous allons expliquer.

Miss Ellen avait été conduite d’abord dans unemaison de fous, aux environs de Boulogne, on s’en souvient.

Cette maison n’était pas une maison municipaleet elle était dirigée par un médecin indépendant del’administration.

Cet homme avait consenti, moyennant une sommed’argent relativement considérable, à garder miss Ellen pendanthuit jours.

Ce laps de temps paraissait plus que suffisantà sir James Wood, qui attendait l’arrivée de lord Palmure d’un jourà l’autre.

Mais lord Palmure n’arrivait pas et les huitjours s’étaient écoulés.

Le médecin aurait bien gardé miss Ellen huitjours de plus, mais un événement indépendant de sa volonté étaitvenu s’y opposer.

Un jeune docteur attaché à son établissementavait plusieurs fois visité la pauvre fille, causé avec elle etacquis la certitude qu’elle jouissait de la plénitude de saraison.

Alors il était allé trouver le directeur etlui avait tenu ce langage :

– Vous retenez chez vous une Anglaise quin’est pas folle ; si d’ici demain vous ne lui avez pas rendula liberté, ce n’est pas à la police que je m’adresserai, mais auxjournaux, et par suite, à l’opinion publique.

Le médecin aliéniste n’était pas trèsscrupuleux, mais il avait peur du scandale.

Il avait donc écrit en toute hâte à sir JamesWood. Celui-ci, fort embarrassé, s’était adressé de nouveau àl’ambassade, et l’ambassade avait insisté auprès de la préfecturede police pour qu’elle donnât à la jeune fille mineure et enpuissance paternelle un asile provisoire.

La préfecture n’avait à offrir à sir JamesWood d’autre asile que Saint-Lazare.

Par exemple, on avait eu des égards pour missEllen.

On l’avait conduite le soir, en voiturefermée, et personne ne l’avait vue entrer.

Puis on lui avait donné une chambre pour elleseule, dans le corridor des sœurs, et attaché à sa personne deuxcondamnées qui la servaient.

Enfin, on avait évité qu’elle eût le moindrecontact avec les femmes de mauvaise vie et les voleuses.

Mais elle était prisonnière et si bien gardéeque, dès le premier jour, elle avait renoncé à l’espoir d’uneévasion.

Alors une profonde tristesse, un désespoirmuet s’étaient emparés d’elle.

Elle songeait à l’homme gris, qui était auxmains de ses juges et à qui l’Angleterre ne pardonnerait pas.

Elle était sans nouvelles du Limousin, le seulhomme qui eût un moment ranimé son espérance.

Le pauvre garçon était-il venu la chercher,comme c’était convenu la veille de son enlèvement ?

Avait-il parlé à Milon l’entrepreneur, et ceMilon était-il bien celui qui devait venir à son aide et quel’homme gris attendait à Londres ?

Miss Ellen se posait ces questions nuit etjour dans sa prison, et ne pouvait les résoudre.

Elle ne voyait personne que les deuxcondamnées qui la servaient et elle n’osait leur faire la moindrequestion.

Un soir, cependant, comme on lui apportait sonrepas, une de ces femmes lui dit :

– Vous aurez une visite aujourd’hui,mademoiselle.

– Une visite ? fit miss Ellen.

– Oui, la visite de sœur Ursule.

– Qu’est-ce que sœur Ursule ?

– C’est un ange de bonté et de charité,répondit la condamnée. Ah ! si j’étais assez heureuse pourêtre au nombre de celles qu’elle emmènera !…

Et la condamnée raconta à miss Ellen cettetouchante histoire que Vanda avait dite à Marmouset, et lui parlalonguement de cette maison de refuge établie par la jeunereligieuse aux environs de Lyon.

– Et sœur Ursule viendra me voir ?demanda miss Ellen.

– Oui ; elle en a obtenu lapermission de la supérieure.

Miss Ellen senti un vague espoir naître dansson âme ; non l’espoir de la liberté, mais l’espoir que sœurUrsule se chargerait peut-être de retrouver Milon et de lui fairesavoir que l’homme gris était en péril.

Une heure après, en effet, la porte de sacellule s’ouvrit et deux femmes, au lieu d’une, entrèrent.

Ces deux femmes portaient la robe noire etgrise des sœurs des prisons.

L’une, la plus jeune, avait la beautéangélique et le doux sourire des femmes qui ont voué leur vie à lacharité.

L’autre qui avait un peu plus de trente ans,était une beauté mâle, hardie, et avait de grands yeux noirs quicontrastaient étrangement avec ses cheveux blonds.

La sœur qui veillait dans le corridor refermala triple serrure de la porte, et les deux femmes restèrent seulesavec miss Ellen, qui, étonnée et tremblante, n’avait pas dit encoreun mot.

Alors la femme blonde aux yeux noirs adressala parole à miss Ellen en anglais.

La pauvre fille tressaillit et sentit unelarme rouler dans ses yeux.

Il est si doux pour ceux qui sont loin de leurpatrie d’entendre le langage maternel !

– Miss Ellen, dit cette femme, lareligieuse qui m’accompagne ne sait pas l’anglais. Si je vous parledans cette langue, c’est qu’elle ne doit point savoir ce que jevais vous dire. Ne trahissez pas votre émotion, demeurez calme, sivous le pouvez, et écoutez-moi… Je viens vous sauver… Je viens dela part de l’homme gris…

Miss Ellen fut héroïque, son cœur n’éclatapoint ; aucun cri ne jaillit sur ses lèvres.

Elle répondit :

– Alors, madame, si vous venez de sapart, vous devez savoir qu’il a connu, qu’il court peut-être encoreun grand danger ?

– Un danger de mort, dit la femmeblonde.

Une pâleur mortelle se répandit sur le visagede miss Ellen.

La femme blonde ne s’y trompa pas :

– Elle l’aime ! pensa-t-elle.

Puis tout haut :

– Mais vous êtes l’ennemie mortelle del’homme gris ! dit-elle.

– Je l’étais, madame.

– Et… vous ne l’êtes plus ?

Elle baissa la tête.

– Je l’aime ! dit-elle, je l’aimedepuis le moment suprême où je l’ai trahi, livré à sesbourreaux…

Et miss Ellen raconta en peu de mots, maisavec un accent dont la sincérité ne pouvait être mise en doute, lepiège qu’elle avait tendu à cet homme qu’elle croyait haïr, et lerevirement inattendu qui s’était opéré dans son âme bouleverséequand elle l’avait vu aux mains des policemen.

La femme blonde l’écoutait.

Quand elle eut fini, elle lui dit :

– C’est bien, je vous crois. Noussauverons l’homme gris. Demain soir, Milon, d’autres amis, vous etmoi, nous partons pour Londres.

– Mais… madame, dit miss Ellen, quiêtes-vous ?

– Je me nomme Vanda… et, avant vous,j’aimais… l’homme gris, répondit la femme blonde, qui baissa latête à son tour.

– Ah ! dit miss Ellen qui eut unéclair de jalousie dans le regard.

Mais un sourire glissa sur les lèvres deVanda.

– Ne soyez pas jalouse, dit-elle. C’estvous qu’il doit aimer…

– Mais, madame, dit encore miss Ellen,comment voulez-vous que je parte ? Je suisprisonnière !

– Je vous apporte la délivrance, réponditVanda.

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