Rocambole – En prison

Chapitre 41

 

 

Tandis que sir James Wood et Smith, dit leSerrurier, se trouvaient au pouvoir de Marmouset et des autres amisde l’homme gris, d’autres événements s’étaient accomplis dans lepassage des Amandiers, où le détective après avoir noyé la mère,avait laissé l’enfant prisonnier à la garde du charbonnierChapparot.

La citerne dont le farouche Auvergnat avaitfait un instrument de mort mérite une description touteparticulière, comme on va voir.

Le passage des Amandiers, dans lequel on entrepar la rue du même nom, forme un coude et ses maisons du côtégauche se trouvent adossées aux maisons de la rue.

Entre les maisons de la rue et celle dupassage, il y a plusieurs cours communes.

La citerne dont nous parlons était dans lemême cas.

Autrefois un tonnelier avait habité la maisondu côté du passage, et cette citerne lui servait à faire tremperses douves et ses cercles.

Du côté de la rue il y avait eu un charron quise servait de la citerne dans un but à peu près semblable.

Charron et tonnelier avaient, chacun de soncôté, leur puisard particulier.

Mais quand on avait démoli l’abattoirPopincourt, le charron, pour qui les bouchers étaient une forteclientèle, avait donné congé et il était allé s’établir auxnouvelles barrières.

Le tonnelier était mort, et la citerne étaitdemeurée sans autre destination que celle du réservoir oùs’accumulaient tout l’hiver les eaux pluviales.

Chapparot avait loué la cour dans laquelle setrouvait un des deux puisards et comme il savait que la boutique ducharron était inoccupée, il n’avait pas hésité à disposer uneplanche en bascule pour que la malheureuse Irlandaise s’ynoyât.

Mais la Providence, que l’on s’obstine à nier,veille sans cesse sur les faibles et les protège contre lesforts.

Chapparot et sir James avaient entendu un criterrible au moment où la planche basculait sous les pieds de Jenny,puis quelques gémissements étouffés, un clapotement de quelquesminutes, puis rien…

Cependant Jenny ne s’était pas noyée.

La nature met au cœur des mères une énergiesans égale.

Après avoir fait un plongeon, Jenny remonta àla surface, et ses vêtements arrondis comme une ceinture desauvetage, l’y soutinrent.

Et Jenny ne cria pas, n’appela pas ausecours ; elle écouta.

Elle entendit la voix de son filsdisant :

– Maman ! rendez-moimaman !

Puis son fils ne dit plus rien et sir JamesWood eut un éclat de rire.

Ce fut rapide comme l’éclair, instantané commeune décharge électrique. Jenny comprit tout.

On avait voulu la noyer pour s’emparer de sonfils, et si elle bougeait, un de ces deux hommes descendrait dansla citerne pour l’achever.

Ce n’était pourtant pas l’amour de la vie quiréduisait Jenny au silence.

Mais elle songeait à son fils ; et commel’espérance ne meurt qu’avec la vie, Jenny se rappela que déjà, onl’avait séparée de son enfant et que, cependant, son enfant luiavait été rendu.

L’eau était glacée, l’atmosphère fétide etasphyxiante.

Jenny eut cependant l’héroïsme de ne pas faireun mouvement.

Ses vêtements s’imprégnaient d’eau ets’alourdissaient peu à peu.

Jenny sentait qu’elle s’enfonçait pardegrés.

Comme toutes les filles de pêcheurs, ellesavait nager, elle aurait donc pu se soutenir plus longtemps ;mais ses bourreaux qu’elle sentait marcher au-dessus de sa têtel’eussent entendue.

Cela dura trois minutes peut-être, mais cestrois minutes furent un siècle d’agonie.

Enfin Chapparot et sir James Woods’éloignèrent.

Alors l’amour maternel et l’instinct de laconversation se réunirent chez l’Irlandaise et amenèrent un suprêmeeffort.

Elle se mit à nager vigoureusement.

Était-elle dans un puits ou dans uncanal ? elle ne le savait pas, car d’épaisses ténèbresl’enveloppaient.

Ses mains étendues rencontrèrent un mur ;elle se tourna d’un autre côté et se remit à nager.

Tout à coup il lui sembla que l’obscuritéétait moins grande et qu’un faible rayon de clarté brillait devantelle.

Elle nagea encore et se trouva dans ledeuxième puisard, celui du charron.

Celui-là était couvert avec des planches commel’autre, mais il se trouvait dans la boutique, même et non pas dansune cave.

La boutique était vide, les portes en étaientfermées, mais au-dessus des portes il y avait une imposte vitréequi laissait passer la clarté du jour, et ce jour, arrivantjusqu’aux planches mal jointes qui recouvraient le puisard,laissait tomber un dernier rayon au travers sur l’eau dormante dela citerne.

Et Jenny, levant la tête, vit le jour, etl’espoir lui revint au cœur, plus tenace, et ses forces épuisées seranimèrent. Elle nageait sur place, de façon à se soutenir le pluslongtemps possible.

Peu à peu ses yeux se faisaient à l’obscurité,et elle était parvenue à mesurer du regard, grâce au faible rayonde lumière, la distance qui séparait le niveau de l’eau de la voûtede la citerne.

Puis elle fit tout le tour de la citerne,promenant une de ses mains sur les parois lisses et dépourvues dela moindre aspérité.

Et pendant cette recherche infructueuse, lamalheureuse, alourdie par ses vêtements qui, moyen de salutd’abord, allaient finir par l’entraîner au fond de l’eau, sentaitses forces la trahir insensiblement.

Mais comme elle luttait en désespérée contrecette mort lente et qui semblait inévitable, elle se heurta à uncorps dur qui parut fixe devant elle.

Elle étendit de nouveau ses mains et saisitune planche, une vieille planche pourrie qui flottait surl’eau.

Et elle s’y cramponna, comme le matelotnaufragé se cramponne à une épave de son navire brisé.

Tout à coup elle perçut un bruit au-dessus desa tête, le bruit d’une porte qu’on ouvre.

Jenny, couchée sur la planche, crut un momentque c’était sir James et le charbonnier qui revenaient ; maiselle entendit presque aussitôt une voix jeune et sonore quichantait le Pied qui remue, cette délicieuse fantaisie sipoétique qui a longtemps abruti les Parisiens.

Un homme était entré dans la boutique ducharron, et cet homme, Jenny ne s’y trompa point, n’était niChapparot, ni sir James.

Et alors l’Irlandaise épuisée se mit àcrier.

Soudain la voix se tut, et le Pied quiremue ne remua plus du tout.

Jenny cria de plus belle.

Alors les planches qui recouvraient le puisardfurent soulevées et une tête d’homme apparut à la pauvreIrlandaise, en même temps que le jour descendait à flots dans laciterne.

Le hasard lui envoyait unlibérateur !…

Quel était-il ?

C’est ce que nous allons dire…

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer