Rocambole – En prison

Chapitre 23

 

 

Le brouillard était toujours d’une intensitéexcessive.

On n’y voyait pas à trois pas de distance.

Cependant, il n’était pas encore quatre heuresde l’après-midi.

Marmouset et Milon s’en revinrent donc à pied,après avoir traversé de nouveau la Tamise sur le pont deWestminster.

Et tout en cheminant ils causaient :

– Voyons, disait Marmouset, récapitulonsun peu. Combien sommes-nous ?

– Où cela ?

– À Londres.

– Vous voulez parlez de nous et des gensque nous avons amenés ?

– Oui.

– Il y a d’abord nous quatre, vous, moi,Vanda et miss Ellen.

– Les femmes ne comptent pas.

– Alors, nous deux.

– Après ?

– La Mort-des-Braves, Jean leBoucher.

– Quatre.

– Polyte.

– Cinq.

– Sir James Wood.

– Il ne compte pas non plus.

– Edward.

– Ah ! il compte, celui-là :six.

– Pourquoi ces calculs ? demandaMilon.

Marmouset continua sans répondre à cettequestion :

– Rocambole m’a donné une liste de quatrepersonnes qui lui sont particulièrement dévouées à Londres.

– Bon ! fit Milon.

– Enfin, au besoin, nous ferons venirShoking.

– Mais…

– Tu veux toujours savoir les choses troplongtemps à l’avance, dit Marmouset en souriant.

– Mais… pourtant.

– Qu’il te suffise pour le momentd’apprendre que tu vas changer de profession.

Milon ouvrit de grands yeux.

– Tu étais entrepreneur àParis ?

– Sans doute.

– Tu vas être, à Londres, marchand dedenrées coloniales.

– Quelle drôle d’idée !

– Épicier, si tu veux.

– Ah çà ! dit Milon qui avait sespetits moments d’impatience, je crois que vous vous moquez de moi,Marmouset.

– Bah !

– Je permets bien cela au maître…

– Mais tu ne me le permets pas ?

– Dame, fit Milon.

– Eh bien, rassure-toi, je ne me moquepas de toi.

– Cependant, observa Milon, je ne voispas quel rapport il y a entre la profession d’épicier et le but denotre voyage à Londres.

– Tu le verras.

– Mais quand ?

– Dans une heure.

Tout auprès de Scotland-Yard, Marmouset fitentrer Milon dans un public-house.

– J’ai soif, dit-il.

Puis, au lieu d’entrer dans le box desgentlemen, il passa tout droit dans cette petite pièce qui est aufond de tous les public-houses et qu’on appelle le parloir.

Là seulement on trouve à s’asseoir.

Marmouset demanda une bouteille de porto ettandis qu’on le servait, il tira de sa poche un numéro duTimes paru la veille au soir.

Milon, de plus en plus étonné le regardaitfaire.

Marmouset chercha à la quatrième page et mitle doigt sur une annonce qu’il plaça sous les yeux deMilon :

Great attraction !

« Master Love, négociant en denréescoloniales, Old-Bailey, n° 3, a l’honneur de prévenir lepublic qu’ayant fait sa fortune et désirant vivre tranquille dansson cottage de Greenwich, il est dans l’intention de vendre samaison de commerce.

« Bonne clientèle de premier choix.

« Des fenêtres de la boutique, on voitpendre, la maison faisant face à la porte de Newgate devantlaquelle on dresse le gibet. Great attraction ! On peut louerdeux fenêtres. Master Love fait savoir qu’il traitera directementavec les personnes qui se présenteront. »

– Je le vois bien, dit Milon, mais…

Marmouset haussa les épaules.

– Ne sois donc pas si pressé, dit-il, tudevrais déjà comprendre, ce me semble, qu’il y a un intérêtquelconque pour nous à posséder un fonds de commerce en face deNewgate.

– Cela est juste.

– Nous ferons la connaissance dupersonnel de la prison, c’est toujours cela.

Milon n’insista pas.

La bouteille de vin vidée, Milon et Marmousetse remirent en route et remontèrent vers Trafalgar square.

Il y a une bonne trotte de Trafalgar à OldBailey.

Il faut longer tout le Strand, ensuite Fleetstreet, traverser la longue rue de Farrigdon, dans laquelle setrouve l’imprimerie du Times.

En entrant dans Old Bailey, Marmouset montraune maison à Milon.

– Est-ce que c’est cela ? demandaMilon.

– Non, c’est la maison de M. Ranis,un riche banquier.

– Eh bien ?

– Vois-tu cette fenêtre au premierétage ?

– Oui.

– Eh bien ! Rocambole, de cettefenêtre, a coupé la corde d’un pendu avec une balle chassée par unfusil à vent.

– Quand cela ?

– Il y a trois mois.

Le magasin d’épicerie de master Love étaittout à côté de la maison de M. Ranis.

C’était un tout petit magasin occupant lerez-de-chaussée d’une maison de triste apparence et dont la vieillearchitecture contrastait péniblement avec les constructionsvoisines.

– Cette maison, dit-il, a deux cents ansd’existence.

– C’est une masure, dit Milon, qui avaitsur la construction des idées nouvelles.

– Nous trouverons, quand elle nousappartiendra, que c’est un vrai bijou.

– Par exemple !

– Quelquefois, le vieux vaut mieux que leneuf, dit sentencieusement Marmouset.

Et ils entrèrent dans la boutique où masterLove, un petit homme grisonnant et fort laid, en dépit de son nomqui veut dire amour, trônait majestueusement derrière un comptoirde chêne noirci et au milieu de tous les produits que l’épicerie,toujours solennelle, a baptisés du nom de denrées coloniales.

En voyant entrer les deux gentlemen, masterLove se leva avec empressement et vint à leur rencontre.

– My dear, lui dit Marmouset, vousdésirez vendre votre fonds ?

– Yes, sir, répondit master Love.

– Combien ?

– Deux mille cinq cents livres.

Un sourire vint aux lèvres de Marmouset, quidit en français à Milon :

– Cela vaut mille écus, et il en demandeplus de soixante mille francs. Pas juif du tout,l’Anglais !

Puis tout haut :

– Êtes-vous donc locataire de toute lamaison ?

– Yes, dit master Love.

Marmouset ouvrit sa redingote, tira de sapoche un portefeuille bourré de bank-notes et dit :

– J’offre deux mille livres et je paiecomptant, mais à une condition.

– Laquelle ? demanda master Love,qui eut un éblouissement.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer