Rocambole – En prison

Chapitre 25

 

 

Marmouset et Milon revinrent donc dans OldBailey et prirent possession de leur nouvelle propriété.

Alors Marmouset regarda Milon ensouriant :

– Ton vendeur, dit-il, comptait beaucoupsur le revenu de ses fenêtres pour les jours d’exécution.

– Je le vois bien, répondit Milon, quijeta un coup d’œil dédaigneux sur les marchandises qui setrouvaient dans le magasin ; tout ce qu’il y a ici est avariéet ne vaut pas cinq cent franc.

– C’est une maison qu’il faut relever,mon ami.

– Hein ? fit Milon.

– Il faut acheter d’abord de la belle etbonne marchandise.

– Ah !

– Installer une jolie femme aucomptoir.

– Plaît-il ?

– Avoir deux commis et un teneur delivres.

– Ah çà ! fit Milon stupéfait, vousvoulez donc que je devienne sérieusement épicier ?

– Très sérieusement.

– Mais pourquoi ?

– Parce que nous avons besoin de toutnotre personnel.

– La Mort-des-Braves et Jean serontcommis.

– Bon !

– Polyte, notre nouvelle connaissance,sera teneur de livres.

– Et puis ?

– Sa petite femme Pauline, qui est fortgentille, ma foi ! tiendra le comptoir.

Tout à l’heure, je croyais comprendre,pourtant, murmura le bon Milon.

– Et maintenant tu ne comprendsplus ?

– Oh ! mais là… plus du tout.

Marmouset haussa les épaules :

– Il faut toujours te mettre les pointssur les i, dit-il.

– Cela m’est plus commode, toujours.

– Eh bien ! écoute. Le libraire nousa dit que cette maison, – et certes le brave homme ignorait qu’ellefût à nous, – avait dû être dans un temps le point de départ dessouterrains creusés, lors de la conspiration des poudres.

– Oui, dit Milon.

– Ces souterrains aboutissaientprobablement dans les caves.

– Eh bien ?

– Mais ils ont été comblés au moins àleur orifice.

– Après ?

– Il faudra donc, notre plan à la main,retrouver l’entrée d’abord.

– Bon ! dit le colosse.

– Et la déblayer.

– C’est juste.

– Or, pour cela, il faut des bras et desoutils.

– C’est vrai.

– Or, que penserais-tu si nous aillionsfaire venir de braves ouvriers de Londres, terrassiers de leurétat, que nous mettrions à cette besogne et qui, le soir,raconteraient dans les tavernes la singulière besogne dont on les achargés ?

– C’est impossible, cela !

– Il faut donc, alors, que nous ayons nosouvriers à nous.

– Vous avez raison.

– Et nos ouvriers sont laMort-des-Braves, Jean le Boucher, Polyte et toi. Sais-tu que quatrehommes font de la besogne, la pioche à la main ?

– Excusez-moi, dit Milon, mais je ne suisqu’une brute, j’aurais dû comprendre ça tout de suite.

– Le jour, continua Marmouset, ils serontépiciers, et la nuit ils seront mineurs.

– Pardon, un mot encore, dit lecolosse.

– Parle.

– En admettant que ces souterrainsexistent, pensez-vous qu’il y en ait un qui pénètre dansNewgate ?

Marmouset déplia de nouveau le plan qu’ilvenait d’acheter et le posa sur une table.

Puis il mit son doigt sur une des petiteslignes rouges que le libraire disait indiquer les souterrains enquestion.

Et Milon vit que ce filet s’éloignait endroite ligne de la maison et se dirigeait à travers Old Bailey versNewgate.

– Ah ! fort bien, dit-il encore,mais… Newgate est grand.

– Oui, certes.

– Où aboutit le souterrain et à quelleprofondeur est-il ? Voilà ce que nous ne savons pas.

– Voilà ce que nous saurons.

– Quand ?

– Mais d’ici à deux jours.

– Comment cela ?

– Ah ! mon ami, dit Marmouset avecun léger mouvement d’impatience, il faut tout t’expliquer d’avance.Nous avons bien autre chose à faire ce soir.

Milon courba la tête, résigné.

Il était habitué, du reste, à ces façons deMarmouset, qui avait hérité des brusqueries et des franchises deRocambole.

Marmouset consulta sa montre.

– Il est huit heures du soir, dit-il.C’est à onze heures que j’irais chercher miss Ellen. Allons dîner àEvans-Tavern. Puis tu te mettras en quête de nos compagnons.

– Ils sont descendus dans Haymarket etdans Liviston square.

– Ah !

– La Mort-des-Braves et Jean sont dans unboxeding où descendent les marchands de chevaux français.

– Et Polyte ?

– Polyte et sa femme sont à Sablonnièrehôtel.

– Alors, dit Marmouset, allons dîner àSablonnière ; c’est à eux d’abord que j’en ai.

*

**

Pendant que Marmouset et Milon dînaient etconvoquaient leurs compagnons de route pour le lendemain, Vandaétait auprès de miss Ellen.

La jeune fille s’apprêtait à aller à laréunion des fénians.

Elle regardait Vanda en souriant et luidisait :

– Comme on change pourtant, madame.

– Quelquefois, en effet, miss Ellen.

– Il y a deux mois, le seul nomd’Irlandais révoltait tout mon sang.

– En vérité !

– Je regardais tous ces gens-là comme unevermine humaine, comme une lèpre vivante dont il fallait à toutprix débarrasser l’Angleterre.

– Et maintenant ?

– Maintenant, les Irlandais sont mesfrères.

– Du reste, observa Vanda, n’êtes-vouspas, miss Ellen, d’origine irlandaise ?

– Certainement, répondit la jeunefille ; mais l’Angleterre nous avait adoptés, et mon père etmoi l’avions, en revanche, considérée comme notre véritablepatrie.

– Et il a suffi de l’hommegris ?…

– Oh ! dit miss Ellen avecenthousiasme ; puisque vous le connaissez, vous devez savoiravec quelle éloquence sa voix pénètre au fond des cœurs.

– Je le sais, dit Vanda, qui étouffa unsoupir.

– Quand nous l’aurons sauvé, reprit missEllen, quand il sera libre, si vous saviez comme je serais fière demarcher à ses côtés dans le chemin qu’il s’est tracé, la liberté del’Irlande !

– Comme elle l’aime ! pensaitVanda.

Et celle qui, elle aussi, avait tant aiméRocambole, essuya furtivement une larme.

En ce moment on frappa à la porte de lachambrette, et Marmouset parut.

– Miss Ellen, dit-il, êtes-vousprête ?

– Oui ! répondit miss Ellen quiavait revêtu son costume de sœur des prisons.

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