Rocambole – En prison

Chapitre 21

 

 

Le vieux sacristain était, en effet, monté auclocher, et il avait poussé une petite porte dissimulée dans lamuraille si habilement, que trois personnes seulement enconnaissaient l’existence, le sacristain, le curé de l’église etl’abbé Samuel.

En Angleterre, les persécutions dont lecatholicisme est victime ne datent pas d’hier et n’ont pas eu lefenianisme pour point de départ.

Il y a cinquante ans, un prêtre catholique,naturellement Irlandais, et curé de Saint-George, était poursuivi àoutrance pour avoir, dans un de ses sermons, attaqué le primat dela Grande-Bretagne, l’archevêque de Cantorbéry.

Le pauvre prêtre était attaché à son églisecomme le capitaine à son vaisseau.

Il ne voulait pas fuir.

Pendant deux mois il se tint caché sous lesmurailles de Saint-Gilles, de l’autre côté de la Tamise.

Mais les Irlandais mirent ces deux mois àprofit.

Chaque nuit deux ouvriers travaillaientmystérieusement dans le clocher et creusaient dans l’épaisseur dumur une espèce de cellule, large de quatre pieds.

Quand la cellule fut creusée, lorsque sonentrée fut habilement dissimulée par une pierre semblable auxautres et tournant sur ses gonds invisibles, le prêtre revint dansson église.

Les policemen faisaient bonne garde àl’entour ; vingt fois ils envahirent l’église, espéranttrouver le curé et le conduire en prison.

Le curé était invisible.

Tout le jour, il était caché dans la cellulemystérieuse ; la nuit il descendait prier dans l’église et,bien avant la première aube, il disait sa messe.

Or, depuis cinquante ans, la chambre secrètedu clocher n’avait servi qu’une seule fois, et encore pendantquelques jours seulement, lorsqu’un soir l’abbé Samuel se glissadans l’église et monta précipitamment chez le sacristain.

– Il faut me cacher, lui dit-il.

– Vous êtes donc poursuivi ? demandale vieillard.

– Oui, on a fouillé dans mes papiers enmon absence, et on a trouvé plusieurs lettres de l’homme gris quise trouve arrêté depuis hier.

En effet, à la pressante sollicitation durévérend Patterson, le lord chief-justice avait ordonnél’arrestation de l’abbé Samuel, qui n’avait eu que le temps de seréfugier à Saint-George.

Depuis lors on le recherchait si activementqu’il lui avait été impossible de réunir une seule fois lesprincipaux chefs irlandais.

Cependant ses lettres lui parvenaient, et ladépêche de Marmouset, dépêche à laquelle il avait répondu, luiétait arrivée par l’intermédiaire d’un agent du télégraphe quiétait lui-même fénian.

Or donc, si le sacristain s’était montré sidéfiant à l’endroit de Marmouset et de Milon, c’est qu’ilsn’étaient pas les premiers à venir demander l’abbé Samuel.

La police, qui continuait à rechercheractivement l’abbé Samuel, avait employé tous les moyens ; elles’était présentée sous tous les prétextes et sous tous lesdéguisements.

La perspicacité du bonhomme avait fait échouerses efforts jusqu’à présent.

Cependant, l’accent de sincérité de Marmousetet de Milon avait frappé le vieillard.

Il s’était donc chargé de faire parvenir àl’abbé Samuel le billet que Marmouset lui avait remis.

Et, ce billet à la main, il était montéprécipitamment dans le clocher, avait poussé un ressort et s’étaittrouvé dans la cellule où l’abbé Samuel priait en ce moment.

À peine le jeune prêtre eut-il jeté les yeuxsur le billet et reconnu l’écriture de l’homme gris, qu’ils’écria :

– Qui donc a apporté cela ?

– Deux hommes.

– Où sont-ils ?

– Je les ai renvoyés.

– Y a-t-il longtemps ?

– Non, à l’instant même.

– Cours après eux, tâche de lesrejoindre, ce sont des amis, avait encore dit l’abbé Samuel.

Et le sacristain, on l’a vu, avait dégringolél’escalier du clocher et s’était élancé dans le cimetière, espérantretrouver les deux visiteurs, soit sur la place de l’Église, soitdans quelque rue voisine.

Comme le brouillard était très épais, ilpassait tout auprès de Marmouset sans le voir, quand celui-cil’arrêta en lui saisissant le bras.

– Ah ! c’est vous ? fit levieillard.

– Nous-mêmes.

– Je vous cherchais.

– Et nous, dit Marmouset, nous étionsbien sûrs que vous nous courriez après.

– Venez, dit le sacristain.

Et il reprit le chemin de la petite porte duchœur, qu’il avait laissée entrouverte.

Marmouset et Milon le suivirent.

Quelques minutes après, ils se trouvaient enprésence de l’abbé Samuel.

– Mon père, lui dit Marmouset, le billetque je vous ai fait tenir a dû vous l’apprendre, je sors deNewgate.

– Où vous avez vu l’homme gris ? fitvivement le jeune prêtre.

– J’ai passé deux jours avec lui.

L’abbé Samuel passa la main sur sonfront :

– Ah ! dit-il, c’est un grand,malheur qu’il soit à Newgate.

– Il en sortira.

Le prêtre leva les yeux au ciel.

– Hélas ! dit-il, vous ne connaissezpas les Irlandais, mon frère.

– Que voulez-vous dire ? fitMarmouset.

– Pendant quelques mois, reprit l’abbéSamuel, l’homme gris a été notre chef à tous. Partout nous avonstriomphé, partout nous avons été victorieux.

Si bons chrétiens que soient nos frèresd’Irlande, ils sont superstitieux.

– Ah !

– Et ils avaient fini par croire quel’homme gris avait un pouvoir surnaturel.

– Qui sait ? dit encore Milon.

L’abbé Samuel secoua la tête.

– Hélas ! dit-il, l’événement aprouvé le contraire. Il a été pris. Dès lors son prestige esttombé.

– Alors on ne croit plus à lui ?

– Non.

– Et personne ne songe à tenter quelquechose pour le sauver ?

– Personne.

Un fin sourire glissa sur les lèvres deMarmouset.

– Si l’homme gris a été pris, dit-il,c’est qu’il l’a bien voulu.

– Que dites-vous ?

– La vérité.

L’abbé Samuel fit un pas en arrière, tant cesparoles l’étonnaient.

– Il a été pris, poursuivit Marmouset,parce qu’il avait une grande idée que sa captivité seule pouvaitréaliser.

– Je ne vous comprends pas, monsieur.

– Écoutez-moi, monsieur l’abbé. Quelssont vos deux plus mortels ennemis, en Angleterre ?

– Nous en avons trois.

– Nommez-les.

– Le révérend Patterson, chef occulte dela religion réformée.

– Et puis ?

– Et puis lord Palmure.

– Et enfin ?

– Enfin la fille de lord Palmure, missEllen.

– Vous vous trompez, monsieur l’abbé, ditfroidement Marmouset.

– Plaît-il ?

– Miss Ellen n’est plus votreennemie.

– Oh ! que dites-vous là ?

– Je dis la vérité, monsieur l’abbé. MissEllen est redevenue Irlandaise de cœur et d’âme.

L’abbé Samuel étouffa un cri.

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