Rocambole – En prison

Chapitre 6

 

 

Miss Ellen referma la fenêtre et se remit aulit.

Elle savait maintenant une chose : c’estque le Limousin couchait dans le chantier au lieu de s’en aller lesoir, comme les autres maçons.

Sir James Wood s’est levé bien avantl’ouverture du chantier, mais il ne soupçonne rien.

Miss Ellen restait au lit et paraissaitrésignée à sa captivité.

Elle alla au bois comme à l’ordinaire, rentrapour l’heure du dîner, toujours accompagnée de ses deux gardiens,et profita du moment où sir James Wood la laissait seule afinqu’elle pût se déshabiller, pour écrire cet autre billet qui étaitplus explicite que le premier.

« Vous est-il possible de parvenirjusqu’à moi, soit à l’aide d’une échelle, soit en grimpant le longd’un tuyau de conduite ? Vous êtes le seul homme que jeconnaisse à Paris, et je suis prisonnière. Si vous le pouvez,écrivez-le-moi ; cette nuit je laisserai pendre un fil aprèslequel vous attacherez votre réponse. Je vous le répète, vous serezgénéreusement récompensé. »

Elle cacha ce billet dans son corsage etattendit le soir patiemment.

Sir James Wood, une fois la nuit venue, ne seméfiait plus du chantier.

Quelquefois même, il confiait la garde de missEllen à son camarade et allait faire un petit tour de boulevard.Miss Ellen, après dîner, se mettait à un piano et gagnait ainsi dixheures, moment où elle se mettait au lit.

Jamais les heures ne lui avaient paru pluslongues que ce soir-là.

Enfin, sir James Wood sortit, après avoirinstallé l’autre détective dans l’antichambre, et missEllen s’enferma chez elle.

Elle s’enveloppa d’un peignoir, éteignit sabougie, ouvrit sa fenêtre sans bruit et se pencha sur lechantier.

Comme la nuit précédente, deux hommescausaient à voix basse auprès du feu de nuit.

C’étaient l’invalide et le Limousin.

Celui-ci n’eut pas besoin de lever la tête,car il avait constamment les yeux fixés sur la fenêtre.

La nuit était assez claire, du reste, et leLimousin, voyant apparaître l’Anglaise, se leva et vint se placerverticalement au-dessous de la croisée.

Alors miss Ellen lâcha son billet et disparutde nouveau.

Le Limousin le ramassa, revint auprès du feuet le lut. Puis, il le montra à l’invalide.

– C’est bien drôle tout de même qu’ellesoit prisonnière : prisonnière de qui ? est-ce d’un marijaloux ?

– Oh ! fit le naïf Limousin, qui eutun battement de cœur et un rugissement de colère dans la voix.

Tout maçon a un crayon qui lui sert à tracerdes lignes sur la pierre ou à faire ses calculs.

Le Limousin n’avait pas de papier ; maisil alla chercher dans un coin du chantier une planchette de troispouces de long sur quatre de large, et qui n’était autre chosequ’un fragment de plinthe peinte en gris. Puis, avec son groscrayon bleu il écrivit dessus :

« Nous n’avons pas au chantier d’échelleassez longue ; mais si vous pouvez attendre six jours, jepénétrerai jusqu’à vous, et si vous le voulez, je vousdélivrerai. »

Cela fait, il alla se replacer sous lafenêtre.

Miss Ellen, abritée derrière ses vitres,l’avait vu écrire sur la planchette.

Elle s’était procuré dans la journée unpeloton de ficelle rouge qu’elle se mit alors à débrouiller etqu’elle laissa pendre par un bout dans le chantier.

L’intelligent Limousin y attacha solidement laplanchette et miss Ellen tira à elle.

Deux minutes après, la planchetteredescendit.

Miss Ellen avait ajouté un mot :

« J’attendrai. »

Quel moyen le Limousin employerait-il pour ladélivrer ?

Elle ne le savait pas, mais elle avait foi enlui.

Le lendemain, comme elle déjeunait tête à têteavec James Wood, elle lui dit :

– Dans combien de jours estimez-vous quemon père arrivera ?

– J’ai reçu une lettre de lui cematin.

– Ah !

– Lord Palmure sera ici dans treizejours.

– Pourquoi donc, au lieu de venir mechercher, ne vous a-t-il pas confié le soin de me ramener enAngleterre ?

Une ombre de sourire glissa sur les lèvres desir James Wood.

– Mais, dit-il, lord Palmure n’anullement l’intention de vous ramener en Angleterre.

– Ah ! vraiment ?

– Il ne veut pas s’exposer à vous voirpasser ouvertement aux Fénians.

– Ah ! ah !

– Et il compte vous emmener passerl’hiver en Italie.

– C’est bien, dit miss Ellen, jecomprends.

Et elle n’adressa plus la parole à sir JamesWood.

Les jours s’écoulèrent.

De temps en temps, la pauvre prisonnièrejetait un regard furtif dans le chantier.

La maison neuve était sortie de terre etmontait rapidement.

Au bout de cinq jours, elle était arrivée ausecond étage.

Par une nuit sombre, miss Ellen se remit à safenêtre.

Le Limousin prit sa planchette et vint seposer au-dessous.

Miss Ellen laissa pendre le peloton deficelle, et la planchette monta.

Le Limousin avait écrit dessus :

– Demain, à minuit, je serai chezvous.

Et miss Ellen rejeta la planchette et se mitau lit pleine d’espoir.

La nuit lui parut longue, la journée pluslongue encore, cependant elle dissimula merveilleusement sonimpatience et sir James Wood ne se douta de rien.

Le soir venu, miss Ellen se retira chez elleet se mit au lit.

À onze heures, sir James Wood rentra de sapetite promenade.

Il ne pénétrait jamais la nuit dans la chambrede miss Ellen, mais il s’était ménagé un petit jour dans la porte,et, par ce jour, il pouvait suivre, au besoin, tons les mouvementsde la jeune fille.

Sir James Wood aperçut la jeune miss, quisemblait dormir, grâce à un splendide clair de lune dont les rayonspénétraient dans la chambre et s’ébattaient sur la courtine dulit.

Sir James Wood prit possession de son lit decamp, qui se trouvait placé en travers de la porte.

Puis, un quart d’heure après, miss Ellen, quine dormait pas, entendit un ronflement sonore.

C’était sir James qui dormait réellement.

Alors, miss Ellen se glissa hors de son lit,s’enveloppa d’un peignoir, alla ouvrir la fenêtre et attendit.

Aux rayons de la lune, elle vit le Limousindebout sur le plancher du troisième étage de la maison neuve.

L’invalide était avec lui.

Tous deux tiraient à eux une longue planche etla faisaient glisser sur l’entablement d’une croisée, qui étaitplacée vis-à-vis de celle de miss Ellen et tout à fait de niveauavec elle.

Alors, miss Ellen commença à comprendre, carla planche glissait sans bruit et son extrémité vint se poser surl’entablement de sa propre croisée.

Alors encore, miss Ellen eut peur et fermainstinctivement les yeux : le Limousin venait de s’aventurerbravement sur le pont aérien, qui n’avait pas un pied de large.

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