Rocambole – En prison

Chapitre 40

 

 

Mistress Robert M… et ses filles trouvèrentVanda charmante.

Mais leur sympathie se changea en enthousiasmelorsque la jeune femme eut passé au cou de Lucy Robert, l’aînée desdeux sœurs, un collier de grosses perles qu’elle portait, et que lajeune fille avait naïvement admiré.

Après le déjeuner du matin, l’intimité la plusparfaite régnait entre le gouverneur et sa famille et les hôtes unpeu forcés qu’ils avaient.

Sir Robert M… n’était ni un joueur de whist niun amateur passionné du billard, bien qu’il en eût un chezlui ; mais il jouait bien aux échecs.

Marmouset, pour achever de faire sa conquête,lui proposa une partie et le laissa gagner.

Mistress Robert et ses filles firent de lamusique avec Vanda, qui était excellente pianiste.

Et l’on gagna ainsi l’heure du lunch.

Ce fut alors que Marmouset dit à sirRobert :

– Vous savez qu’il est une chose convenuedans mon programme ?

– Laquelle ?

– C’est que vous montrerez Newgate endétail à Mme Peytavin, qui est friande de cesémotions-là.

– Très volontiers, dit sir Robert, quiavait, du reste, un grand plaisir à montrer sa prison et sesprisonniers aux visiteurs. Seulement, je vous demande une grâce,gentleman.

– Parlez…

– Il a été convenu entre nous que cemystérieux prisonnier, qu’on nomme l’homme gris, viendrait faire cesoir votre partie d’échecs ?

– Oui, ce soir, et tous les soirs de monséjour ici.

– Bon ! dit sir Robert. J’ai prismes précautions pour cela, et il n’y a que deux de mes gardiens,dont je suis parfaitement sûr du reste, qui sauront qu’il quitterason cachot une heure ou deux par soirée.

– Eh bien ?

– Pour tout le reste de mon personnel,l’homme gris est un secret.

– Ah ! ah !

– Et j’ai l’ordre formel du lordchief-justice de ne le laisser voir à personne.

– Alors, pour le moment, vous ne nousmontrerez pas l’homme gris ?

– Non.

– Mais nous verrons les autres ?

– Certainement ! Vous verrez tout,d’ailleurs, depuis la cage aux oiseaux jusqu’aux anciennesoubliettes.

– Ah ! il y a donc des oubliettes àNewgate ? dit Marmouset impassible.

– Oui ! nous en possédons deux.

– Ce que vous me dites là m’étonne fort,mylord.

– Pourquoi ?

– Mais parce que j’ai lu, dans l’histoired’Angleterre, que Newgate avait été construit en 1780seulement.

– Oui, certes, mais sur l’emplacementd’une autre prison, qui fut brûlée à cette époque.

– Ah ! c’est différent, car je nem’expliquais pas que dans les siècles derniers on se servît encorede pareils supplices.

– Aussi, ces oubliettes, n’ont-ellesjamais servi qu’une fois.

– Comment cela ?

– Elles ont servi de refuge auxconspirateurs des Poudres.

– J’ai entendu parler, en effet, de cetteconspiration, mais vaguement.

– Oh ! dit sir Robert M…, c’est unelongue et nébuleuse histoire, que je n’entreprendrai pas de vousraconter. Mais nous pouvons commencer par les oubliettes notrevisite de Newgate.

– Pourquoi par les oubliettes ?

– Parce qu’elles ne sont pas dansl’intérieur de la prison proprement dite.

– Ah !

– Elles sont sous nos pieds.

– Là ?

– Oui, dit sir Robert, dans mon proprelogement.

– En vérité !

– J’ai, pour mes besoins particuliers,une cave, dit sir Robert.

– Et c’est dans cette cave… ?

– … Que s’ouvrent les deuxoubliettes dont je vous parle. Seulement, de peur qu’un domestiquemaladroit ne vînt à y tomber, on a construit une margelle àl’entour, comme on fait pour un puits.

– Du reste, dit Marmouset, une oublietten’est autre chose qu’un puits.

– Celles-là ont soixante-dix pieds deprofondeur. On peut y descendre avec une corde. J’y suis descenduune fois, moi qui vous parle.

– Et qu’avez-vous vu, une fois enbas ?

– L’entrée d’un des souterrains creusésau temps de la conspiration des Poudres.

– Diable ! dit Marmouset en riant,mais alors, on peut s’évader de Newgate !

Sir Robert tressaillit.

– Ah ! non, dit-il ; d’abordces oubliettes sont sous mon logis et non sous la prison.

Ensuite, ce souterrain est muré.

– Ah ! c’est différent.

– J’ai eu même un jour une singulièrefantaisie, moi qui vous parle.

– Ah ! vraiment !

– Je suis descendu avec un maçon et j’aivoulu lui faire démolir le mur construit à l’entrée dusouterrain.

– Et il n’a pu en venir à bout ?

– Au contraire. Seulement, derrière lemur, nous avons trouvé une porte.

Marmouset tressaillit à son tour.

– Une porte en fer, continua sir RobertM…, que jamais nous n’avons pu ni ébranler, ni jeter bas, niouvrir.

– Vous n’avez pas fait venir unserrurier ?

– J’en ai fait venir six.

– Et ils n’ont pu forcer laserrure ?

– Ils n’ont même pas trouvé laserrure.

– Après, qu’avez-vous fait ?

– J’y ai renoncé et me suis contenté defaire reconstruire le mur, tel qu’il était auparavant.

– Alors, on ne voit plus laporte ?

– Si, j’ai fait laisser un trou d’un piedcarré dans le mur.

– Dans quel but ?

– Dans le but unique de constaterl’existence de cette porte.

– Eh bien ! dit Marmouset,commençons alors, si vous le voulez, par les oubliettes.

– Comme vous voudrez, dit sir RobertM…

Un quart d’heure après, sir Robert M…, précédépar deux gardiens, qui portaient des flambeaux, faisait à ses hôtesles honneurs des caves de Newgate.

Marmouset disait tout bas à Vanda :

– J’aime autant que vous ne voyiez pasl’homme gris.

– Pourquoi ?

– J’aurais peur que vous n’éprouviez uneémotion qui vous trahit.

– Bah ! dit Vanda, je suis forte,quand il le faut. Tu verras, ce soir.

– Et, s’il allait se trahir,lui !

Vanda secoua la tête.

– Non, dit-elle, ce n’est plus moi qu’ilaime.

Et elle ajouta, avec un sourirerésigné :

– C’est miss Ellen.

Les caves de Newgate n’avaient rien decurieux. Un plancher recouvrait l’orifice des oubliettes.

– Quelle est celle au pied de laquelle ontrouve la porte ? demanda Marmouset.

– Celle-ci, dit sir Robert M…,voulez-vous y descendre ?

– Oh ! pas moi, fit Vanda.

– Mais moi, j’y descendrai, ditMarmouset.

Et sir Robert donna l’ordre à l’un desgardiens de fixer à un anneau de fer scellé dans la margelle uneéchelle de corde qui se trouvait dans la cave.

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