Rocambole – En prison

Chapitre 5

 

 

Sir James Wood, le détective, étaitun homme d’environ quarante-cinq ans, aux favoris un peugrisonnants, aux cheveux blonds et aux yeux bleus.

Il avait de belles dents, un visage coloré, ungrand flegme dans toute sa personne, et son langage et ses manièresétaient ceux d’un parfait gentleman.

Il s’exprimait avec le plus grand calme et nesortait pas des bornes d’un respect excessif.

– Miss Ellen, dit-il, je vous supplie dem’excuser tout d’abord et de m’écouter ensuite avec patience. Jevous ai dit qui j’étais ; je fais mon devoir, rien de plus,rien de moins.

Je suis parti de Londres avec des ordresformels, muni de pouvoirs réguliers.

Je n’irai pas plus loin que les ordres quej’ai reçus ; je n’outrepasserai pas mes pouvoirs.

– Monsieur, répondit miss Ellen, quiavait peu à peu reconquis son sang-froid et sa présence d’esprit,je vous prie de vouloir bien vous expliquer.

– Je suis à vos ordres, miss Ellen.

– On vous a donné des instructions meconcernant ?

– Oui.

– Qui donc ?

– Lord Palmure, votre noble père.

– Quelles sont cesinstructions ?

– Votre attitude, votre conduite, missEllen, peuvent les modifier.

– Ah !

– Lord Palmure sait pourquoi vous avezquitté Londres.

– Bien.

– Il désire que vous y reveniez.

– Après ?

– Mais il désire plus encore que vous nesoyez pas mise en contact avec les misérables que vous êtes venuechercher à Paris.

– Et puis.

– Les ordres que j’ai reçus étaient doncla conséquence de ce double désir.

– Voyons ces ordres ?

– Je les ai exécutés en partie. Je suisallé à l’ambassade d’Angleterre, et, muni d’une lettre de lordPalmure, approuvée par l’ambassade, j’ai sollicité du préfet dePolice de Paris un mandat d’arrestation que j’ai obtenu.

– Vous venez m’arrêter ? s’écriamiss Ellen, qui fit de nouveau un pas en arrière.

– Cela dépend de vous, miss Ellen.

– De moi !

– Oui, le Parlement est à la fin de sasession ; dans quinze jours ses membres seront libres, et lordPalmure pourra quitter Londres, passer le détroit et venir cherchersa fille à Paris.

– Et… d’ici là ?

– J’ai à vous donner à choisir : ouvous laisser en France dans une maison de santé, ou demeurer libresous ma surveillance. Dans ce dernier cas, je congédierai vos deuxdomestiques et les remplacerai par d’autres, j’habiterai, moi etmon collègue, cette maison, et vous ne pourrez en sortirqu’accompagnée par lui ou par moi. Du reste, soyez tranquille, missEllen, ajouta-t-il avec un sourire, nous sommes gens de bonnecompagnie et nous ne vous ferons pas rougir. Vous irez au bois tousles jours, si bon vous semble, au spectacle tous les soirs.

Lord Palmure vous ouvre un crédit sur lamaison Rothschild, de Paris, et vous pourrez satisfaire tous voscaprices.

– En vérité ! dit miss Ellen avecamertume. Et si je refusais ?

– Nous aurions la douleur, mon collègueet moi, de vous conduire ce soir même dans une maison de santé, oùvous seriez l’objet d’une surveillance particulière.

Le flegme de sir James Wood ne laissait pasd’illusion à miss Ellen.

Évidemment cet homme ferait ce qu’il disait,et rien au monde ne le pourrait détourner de ce qu’il appelait sondevoir.

Entre deux maux, miss Ellen, qui était unefemme de résolution, devait choisir le moindre.

Dans une maison de santé, elle était tout debon prisonnière ; sous la surveillance de sir James Wood, elleavait au moins quelque chance de s’échapper.

Paris est la terre classique du hasard, et lehasard sera toujours le père de l’occasion.

Elle parut réfléchir un moment.

Puis, regardant le gentleman :

– Eh bien ! soit, monsieur,dit-elle, j’accepte.

À partir de ce jour, la vie de miss Ellenavait été de tous points comme le Limousin l’avait naïvementdécrite à son compagnon de nuit l’invalide.

Les deux détectives ne la quittaientpas une minute pendant le jour.

La nuit, ils se faisaient dresser un lit decamp à la porte de la jeune fille, si bien qu’elle n’aurait pusortir de sa chambre sans les éveiller.

Cependant, un moment, elle avait espéré sadélivrance.

Elle avait surpris le pauvre maçon qui lacontemplait avec extase, et la pensée de faire de cet homme un naïfinstrument lui était venue aussitôt.

Le billet qu’elle avait laissé tomber derrièreun amas de planches était ainsi conçu :

« J’ai un grand service à vous demanderet je vous récompenserai généreusement si vous pouvez me le rendre.Quand vous aurez lu ces mots, levez la tête, et si vous êtes décidéà me servir, ôtez votre casquette deux fois de suite. Alors je vousferai parvenir mes instructions. »

Malheureusement l’œil de lynx de sir JamesWood avait surpris la chute du billet, et son collègue, cinqminutes après, entrait dans le chantier et s’en emparait avant quele pauvre Limousin eût pu en prendre connaissance.

Ce jour-là, le détective dit à lajeune fille :

– Miss Ellen, si vous recommenciez,j’aurais la douleur de vous conduire dans la maison de santé dontje vous ai menacée.

Et dès lors il ne fut plus permis à miss Ellende se mettre à la fenêtre pendant le jour, c’est-à-dire tant queles maçons étaient au chantier.

Si cette fenêtre s’ouvrait et que la jeunefile parût, le détective était derrière elle.

Les maçons arrivaient à six heures du matin ets’en allaient à sept heures du soir.

Alors l’invalide prenait possession duchantier ; mais sir James Wood ne se méfiait pas de lui, caril avait fort bien remarqué que c’était au jeune maçon que missEllen avait songé à s’adresser.

Or, huit jours s’étaient écoulés depuis latentative infructueuse du billet, quand miss Ellen, un matin,ouvrant sa fenêtre, aperçut le Limousin assis auprès de l’invalidedans le chantier.

Comme l’heure où les maçons arrivaient étaitloin encore, sir James Wood, pensant que miss Ellen dormait, étaitau lit dans la pièce voisine.

Miss Ellen tressaillit en voyant leLimousin ; l’espoir revint à son cœur.

Et prenant un petit carnet, elle en arracha unfeuillet et écrivit un second billet conçu dans les mêmes termesque le premier.

Cette fois le billet parvint à sonadresse.

Le Limousin savait lire.

Il ôta sa casquette deux fois de suite, etmiss Ellen disparut aussitôt de la croisée.

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