Rocambole – En prison

Chapitre 49

 

 

La petite Pauline s’était courbée sur Polyte,et, tout à coup, elle poussa un nouveau cri.

Sa main était humide, humide de sang.

Là où quelquefois les hommes perdent la tête,certaines femmes sont pleines de présence d’esprit.

La jeune fille n’appela point à sonaide ; elle ne prit pas la fuite, elle n’abandonna pointPolyte pour aller chercher du secours.

Elle passa, au contraire, sa main sur le cœurde Polyte et sentit que ce cœur battait.

Polyte n’était pas mort.

Si la vérité se dressait tout à coup devantelle ; si Polyte était là, gisant ensanglanté, c’est qu’ils’était battu avec Chapparot. Il n’en pouvait être autrement.

Et alors Pauline eut peur, non pour elle, maispour Polyte, et elle eût été tentée de courir chercher du monde quela crainte du charbonnier l’en eût empêchée.

Le cœur de Polyte battait, donc Polyte vivaitet n’était qu’évanoui.

La petite blanchisseuse se pencha sur lui denouveau, elle colla ses lèvres sur les lèvres entr’ouvertes dujeune homme et se mit à lui souffler doucement dans la bouche.

En même temps elle lui frappait dans lesmains.

Tout à coup elle eut une inspiration, ouplutôt un souvenir lui passa par l’esprit.

La maîtresse blanchisseuse nourrissait sesouvrières pour les deux repas de midi et du soir, mais chacuned’elle apportait son premier déjeuner.

Pauline, le matin, avait acheté deux orangessur une charrette à bras, au coinde la rue Saint-Maur.

Elle en avait mangé une ; mais l’autreétait encore dans son panier.

Les oranges à un sou pièce qu’on vend au coindes rues de Paris peuvent en remontrer pour l’aigreur aux limonsd’Espagne et aux citrons d’Italie.

Pauline chercha l’orange, la mordit à bellesdents, et l’ayant ouverte ainsi, elle s’en servit comme d’uneéponge pour frotter successivement les tempes, les lèvres et lesnarines de Polyte.

Le jus acidulé de l’orange fit en ce momentl’office du vinaigre.

Polyte poussa un soupir, puis il fit unmouvement, et Pauline eut un cri de joie.

Puis encore il ouvrit les yeux etmurmura : Où suis-je !

Et alors il sentit deux lèvres brûlantes surses lèvres, et une voix émue et douce lui répondit :

– N’ayez pas peur, monsieur Polyte, c’estmoi… votre petite amie… Pauline la blanchisseuse.

Le couteau de Chapparot, visant au ventre, carles gens qui jouent du couteau ne frappent jamais ailleurs etsavent que, presque toujours, une blessure en cet endroit estmortelle, – le couteau de Chapparot, disons-nous, avait rencontréun corps dur qui l’avait fait dévier.

Le corps dur était un porte-monnaie placé dansla poche du pantalon, à la hauteur de l’aine, et rempli de menuemonnaie et de gros sous.

Le coup avait dévié ; la pointe ducouteau glissant sur la cuisse avait simplement produit une largeentaille sans profondeur, d’où le sang s’était échappé assezabondamment.

Mais aucune veine, aucune artère n’avait étécoupée. Seulement la pointe du couteau avait atteint un muscle, etla douleur avait été si vive que Polyte s’était évanoui.

Comme on le pense bien, une fois revenu à lui,il se retrouva bientôt sur ses pieds.

– Ô mon Dieu ! disait Pauline toutetremblante, et dire que je suis cause de tout cela, moi !…

– Vous ! fit Polyte abasourdi.

Il tenait dans ses mains les mains de la jeunefille et il la regardait avec reconnaissance.

– C’est bien Chapparot qui vous afrappé ? dit-elle.

– Oui, c’est lui.

– Le misérable !

– Mais ce n’est pas vous…

– C’est rapport à moi, dit Pauline, qu’ilvous a cherché querelle.

– Oh !

– Il est amoureux de moi, cemisérable…

Ces derniers mots firent tout comprendre àPolyte. Le charbonnier s’était rué sur lui, non parce qu’il l’avaitespionné, mais parce qu’il avait parlé à Pauline.

– Mais vous êtes couvert de sang !s’écria la jeune fille.

– Tiens, c’est vrai, dit Polyte.

– Souffrez-vous beaucoup ?

– Non.

– Essayez de marcher… là… Appuyez-voussur moi… Très bien… Je demeure à deux pas d’ici… Ma mère n’y estpas… Venez…

Polyte se laissa faire ; appuyé surl’épaule de Pauline, il fit quelques pas sans trop de douleur, et,l’air froid de la nuit achevant de le ranimer et de lui rendre sesforces, il fit sans trop de difficulté le chemin qui séparaitl’endroit où l’avait trouvé la petite blanchisseuse de la maisonqu’elle habitait au coin de la rue Saint-Ambroise.

– Pas de lumière chez nous, dit-ellequand elle ne fut plus qu’à quelques pas, ma mère est à sonthéâtre.

Ils entrèrent, Pauline avait fait jouer leloquet dissimulé dans la porte.

– Donnez-moi la main, dit-elle alors enattirant le jeune homme dans l’allée noire.

La mère et la fille avaient chacune une clefdu logis.

Pauline ouvrit donc la porte et se procura dela lumière, tandis que Polyte se laissait tomber sur une chaise àlaquelle il venait de se heurter.

Une fois qu’elle eut allumé une chandelle,Pauline regarda Polyte.

Le jeune homme était un peu pâle, mais il neparaissait pas dangereusement blessé.

Le logis se composait de deux pièces, deuxpetites chambres, dont l’une servait de cuisine.

Polyte passa dans l’autre, ôta son pantalon etvérifia sa blessure.

Elle était insignifiante.

Pauline lui apporta un morceau de linge et duvinaigre, et il put ainsi poser dessus une sorte de pansementprovisoire.

– Ah ! dit-il en souriant, je croisque j’en suis quitte pour la peur. Mais il doit croire qu’il m’atué.

Et, songeant au charbonnier, Polyte sesouvint.

Il se souvint de l’Irlandaise qu’il avaitconfiée à sa mère. Il se souvint de l’enfant prisonnier dans lacave, et son énergie lui revint.

– Il faut aller chez le commissaire,disait la jeune fille pendant ce temps. On l’arrêtera, on le mettraen prison, et nous en serons débarrassés. Car, voyez-vous, monsieurPolyte, ajouta-t-elle, il vous a manqué aujourd’hui, mais ilrecommencera demain et finira par vous tuer. C’est une bête brute,cet homme.

Et elle regardait tendrement le jeune homme,et des larmes roulaient dans ses yeux ; elle avait joint sespetites mains toutes tremblantes, et sa voix était si émue quePolyte comprit qu’il ne tenait qu’à lui d’avoir la plus joliemaîtresse qu’il eût jamais rêvée.

Mais Polyte, en même temps, retrouvait sonsang-froid.

Et comme il n’avait pas été impunémentsecrétaire d’un commissaire de police, il se disait :

– Chapparot avait de l’argent surlui ; Chapparot croit m’avoir tué. Il passera la nuit à courirles cabarets et les mauvais lieux comme tous les assassins ;s’il rentre chez lui, ce ne sera pas avant le jour. J’ai le tempsde délivrer l’enfant.

Alors, il prit la main de Pauline et ildit :

– Mademoiselle, vous êtes aussi bonne quevous êtes jolie, et je suis sûr que vous êtes courageuse.

– Quand il le faut, répondit-elle enrougissant.

– Vous allez venir avec moi.

– Chez le commissaire ?

– Oh ! non, dit-il.

– Où donc, alors ?

– Dans la maison de Chapparot.

Pauline eut un geste d’effroi.

– Soyez tranquille, dit Polyte, il n’ysera pas.

– Mais que voulez-vous donc aller fairechez lui ? s’écria-t-elle en le regardant avec stupeur.

– Délivrer un enfant condamné peut-être àmourir de faim.

Pauline, frissonnant, regarda Polyte, etsembla se demander si la blessure qu’il avait reçue, le sang qu’ilavait perdu, ne lui avaient pas troublé la raison.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer