Rocambole – En prison

Chapitre 11

 

 

Il y a, à Londres, un système deglaces-réflecteurs très curieux.

La Cité, qui est le quartier des affaires parexcellence, est abondamment pourvue de ces miroirs vigilants.

Placés à l’extérieur des maisons, mais auniveau du sol, ils sont disposés de telle manière que le policemanqui, la nuit veille dans chaque rue, voit du dehors tout ce qui sepasse au dedans et rend toute tentative de vol impossible.

Marmouset et Rocambole, en se retrouvant faceà face, avaient eu la même idée, et même compliquée, comme on va levoir.

Un inventeur, ou plutôt un innovateur,M. Hudson, a remis à la mode, en Amérique, un procédéd’acoustique qui ressemble par ses résultats au miroirréflecteur.

Une succession de tuyaux disposés de certainefaçon et adroitement dissimulés dans le plafond ou le plancherd’une salle, permettent à la voix de parcourir, distincte etsonore, une grande distance, à l’insu de celui qui parle.

Rocambole et Marmouset ne s’étaient pasregardés mais ils s’étaient compris.

On avait bien mis avec eux un homme dont sirRobert M… se croyait sûr et qui, par conséquent, était chargé deles espionner.

Mais était-ce suffisant ?

Cette cellule, ou plutôt cette chambrespacieuse, aérée, dans laquelle on avait transféré l’homme gris àla dernière heure, n’était-elle pas pourvue d’un réflecteurinvisible et d’un appareil acoustique parfaitementdissimulé ?

Sans échanger autre chose que des regardsindifférents, le maître et le disciple s’étaient compris.

Barnett, lui-même, fut dupe de ce manège, àtel point qu’il adressa la parole à l’homme gris en patoisIrlandais, et lui dit :

– Mais, on s’est donc trompé ?

– Oui, dit l’homme gris.

– Ce n’est pas Rocambole ?

– Aucunement.

– Alors vous ne le connaissezpas ?

– Je ne l’ai jamais vu.

Marmouset, de son côté, ne sourcillait pas etne paraissait pas comprendre un mot de leur conversation.

Cela dura une heure environ.

Enfin Barnett dit à Marmouset :

– Gentleman, vous ne paraissez pas vousamuser beaucoup de notre compagnie.

– Mon ami, répliqua Marmouset, on nes’amuse jamais beaucoup en prison.

– Cela est vrai, gentleman.

– Surtout quand on n’est coupable d’aucundélit et qu’on se trouve la victime d’une erreur.

– Mais vous n’êtes donc pas ce Rocamboledont on parle tant ?

Marmouset se prit à sourire.

– J’ai entendu prononcer ce nom pour lapremière fois ce matin, dit-il.

Marmouset avait conquis du premier coup laconfiance de Barnett.

Barnett demeurait convaincu que l’homme griset lui ne se connaissaient pas.

– Alors, reprit Barnett, comment sefait-il que vous soyez ici ?

– Rien n’est plus extraordinaire.

– Ah !

– Je suis Français, comme vous pouvez levoir à mon accent.

– Rocambole est un nom français, dureste.

– Soit, je suis un gentleman de Paris etje ne m’appelle pas plus Rocambole que vous-même. Je suis membred’un club de la high life, je suis riche et je faiscourir.

– On voit bien, en effet, dit Barnettnaïvement, que vous êtes un homme de haute vie, et non un pauvrediable comme moi.

Marmouset poursuivit :

– Je suis venu faire un voyage à Londrespour mon plaisir.

Je n’ai jamais eu d’affaires, je suis descendudans le Strand, à l’hôtel des Trois-Couronnes, tout à côté de lagare de Charing-Cross.

– Connu ! dit Barnett.

– Après une journée et une nuit devoyage, poursuivit Marmouset, j’étais tout tranquillement couché,quand la porte de ma chambre s’est ouverte, des policemen sontmontés, m’ont forcé à m’habiller, me saluant de ce nom bizarre deRocambole que j’entendais pour la première fois, et m’ont arrêté etconduit ici.

– Vous n’avez donc pas depapiers ?

– J’avais dix lettres pour une, à monvrai nom, dans mon portefeuille ; mais on n’a pas voulu lesvoir.

Barnett était de plus en plus convaincu queMarmouset disait la vérité.

– Et, fit-il, vous ne connaissezpeut-être, personne à Londres ?

– Peu de monde.

– Enfin, vous pouvez vous faireréclamer ?

– C’est-à-dire, répondit Marmouset, queje suis l’ami intime du premier secrétaire de l’ambassade françaiseet que je suis bien sûr de sortir d’ici.

– Et même, aujourd’hui, dit Barnett.

– Non.

– L’ambassade n’a pourtant qu’à dire unmot.

– Sans doute ; mais l’ambassade nesera prévenue que demain.

– Pourquoi ?

– Parce que, j’ai envoyé hier, enarrivant, mon valet de chambre hors de Londres. Il est parti pourLiverpool, où il va porter mes compliments à un gentleman de mesamis, et lui annoncer ma prochaine visite.

– Eh bien ?

– Mon valet de chambre a dû arriver cematin à Liverpool.

– Bon !

– Il en repartira ce soir et ne sera àLondres que demain matin. Alors il ira à l’hôtel, ne me trouveraplus, s’informera, et comme c’est un vieux serviteur qui est aucourant de toutes mes relations, il ne manquera pas de courir àl’ambassade.

Et Marmouset acheva en souriant :

– Vous voyez que je suis bientranquille ; car enfin une mauvaise nuit est bientôtpassée.

– Cela est vrai.

Pendant cette conversation, l’homme gris,couché sur son lit, parcourait tranquillement les journaux, mais iln’avait pas perdu un mot de ce qu’avait dit Marmouset, et Marmousetlui avait fait savoir le plus important.

En effet, pour lui, ce que Marmouset avait dità Barnett pouvait se traduire ainsi :

– Je suis ici pour quarante-huit heures.Nous avons donc tout le temps de trouver un moyen de nous entendre.Par conséquent, ne nous pressons pas.

À midi, on apporta leur repas auxprisonniers.

L’homme gris n’avait pas quitté son lit.

Les deux gardiens ordinaires étaient suivisd’un troisième personnage, qui n’était autre que le gardienchef.

Celui-là était un homme habile, observateur,rusé, et qui justifiait l’expression de voir courirl’air.

Il assista au repas des trois prisonniers etne put saisir ni un regard, ni un geste, qui trahit Rocambole etMarmouset.

Comme il allait se retirer, l’homme gris luidit :

– Master Dixon, vous vous êtes toujoursconduit avec moi en gentleman.

Master Dixon salua.

– Oserais-je vous demander un petitservice ?

– Si les règlements ne s’y opposent pas,certainement, répondit le gardien en chef.

– Je voudrais bien avoir un jeu decartes.

Et se tournant vers Marmouset :

– Monsieur, dit-il, jouez-vous lewhist ?

– Oui, monsieur, et avec plaisir.

– Et toi, Barnett ?

– Moi aussi.

– Je vais demander au gouverneur lapermission de vous apporter des cartes, dit le gardien chef.

Et il sortit.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer