Rocambole – En prison

Chapitre 24

 

 

Marmouset reprit en montrant Milon :

– Monsieur est mon parent, et je le veuxétablir.

– Fort bien, dit master Love.

– Or, je quitte l’Angleterre dès demain,et je veux, avant de partir, avoir la satisfaction de le voirétabli. Par conséquent, je vous offre deux mille livres, à lacondition que vous vous en irez à l’instant même avec votrefemme.

– Je suis veuf, dit master Love.

– Et votre commis ?

– Je n’en ai pas.

– Alors vous êtes donc toutseul ?

– Absolument.

– Peste ! dit Marmouset en souriant,votre commerce ne me paraît pas si étendu, puisque vous faitesvotre besogne tout seul.

– Oh ! dit master Love en clignantde l’œil, ce n’est pas l’épicerie qui va le mieux ici…

– Qu’est-ce donc ?

– Les fenêtres.

– Ah ! oui, les fenêtres pour lesexécutions ?

– Justement. Vous les louerez chaque foisdix livres.

Le marché ainsi conclu, master Love quitta sontablier, mit son habit, prit son chapeau, et suivit Marmouset chezun homme de loi qui, séance tenante, rédigea un acte de vente.

Une heure après, master Love prenait lepenny-boat pour se rendre à Greenwich, et Milon s’installait dansla boutique de denrées coloniales d’Old Bailey.

En même temps Marmouset commandait chez unfabricant d’enseignes de la Cité une grande pancarte qu’on luitirait tout de suite et sur laquelle on lisait :

CHANGEMENT DE PROPRIÉTAIRE

LE MAGASIN EST FERMÉ POUR CAUSE DE RÉPARATIONS

Puis il colla l’affiche sur la porte, Milonmit les volets et Marmouset lui dit :

– Allons-nous-en !

– Où allons-nous ?

– Dans Sermon Lane, à deux pas d’ici,voir miss Ellen.

– Et après ?

– Après nous irons faire un tour dans larue Pater-Noster, qui est celle des libraires de la Cité.

– Je veux être pendu, murmurait Milon ensuivant Marmouset, si je comprends un mot à tout cela !

– Miss Ellen, dit Marmouset à la jeunefille, il y aura ce soir dans Well-Close square me grande réunionde fénians.

– Ah ! dit-elle avec joie.

– Et on vous y attend.

– Et il faudra bien, dit-elle, qu’ils mepromettent de sauver l’homme gris.

Alors Marmouset lui raconta son entretien avecl’abbé Samuel.

Un sourire lui vint aux lèvres :

– Ces gens-là sont stupides !dit-elle. Si un homme n’est pas éternellement victorieux, ils n’ontplus foi en lui.

– Du reste, dit Marmouset, si les féniansnous abandonnent, nous nous passerons d’eux.

– Certainement oui, dit-elle, et quand jedevrais aller trouver mon père.

– Votre père ?

– Oh ! fit miss Ellen, je ferai demon père ce que je voudrai, le jour où je le voudrai.

– À ce soir, miss Ellen !

– À ce soir.

– Je viendrai vous prendre ici à onzeheures.

– Je serai prête.

Marmouset et Milon s’en allaient.

– Que diable allons-nous faire dans larue Pater-Noster ! se demandait Milon.

Il le sut bientôt.

Dans cette rue il y a une boutique de librairedans chaque maison.

Le plus achalandé de ces libraires se nommeM. Simouns.

Il a une fort belle collection de plans et decartes, d’ouvrages historiques dont l’impression remonte à uneépoque déjà reculée.

Marmouset entra chez lui et lui dit :

– Je désirerais, monsieur, avoir un plande la Cité au seizième siècle.

– Monsieur, répondit M. Simouns, leplan que vous me demandez est très rare. Il ne s’en trouve à maconnaissance, que deux exemplaires. L’un est au Muséum, l’autre esten ma possession.

– Et vous ne voulez pas vous endéfaire ?

– J’en ai refusé cent livres.

– Je suis prêt à le payer centcinquante.

Et Marmouset, une fois encore, ouvrit sonportefeuille.

M. Simouns salua.

Puis il chercha dans ses rayons et mit la mainsur le plan géographique, qui était divisé en petites feuillescollées sur toile et se fermait comme un livre.

– Tenez, monsieur, dit-il, vous allezvoir combien cet ouvrage est précieux.

Et il étala le plan sur une table.

– Il a été dressé par ordre deCharles II à sa restauration, poursuivit le libraire.

– Je sais cela, monsieur.

– À la suite d’une conspiration quin’avait pour but rien moins que de miner la ville de Londres toutentière, et de l’envoyer dans les airs à l’aide de quelquesmilliers de tonneaux de poudre.

– Je sais parfaitement cela, ditMarmouset, et c’est parce que je m’occupe d’un grand ouvragehistorique…

– Tenez, monsieur, poursuivitM. Simouns, voyez ces lignes rouges.

– Bien.

– Elles indiquent les souterrains quifurent creusés à cette époque.

– Ah ! fort bien.

– Mais, reprit Marmouset, ces souterrainsont été comblés ?

– À peu près. Cependant j’ai la presquecertitude qu’il en existe encore plusieurs.

– Où cela ?

– Principalement aux environs deNewgate.

– Ah ! vraiment ?

Ce libraire, qui était un érudit et en tiraitquelque vanité, mit son doigt sur une des rues indiquées sur leplan.

– Tenez, dit-il, voilà Old Bailey.

– Bon !

– Vers le milieu, il y a une masure, unevieille maison qui fait face à Newgate.

– Eh bien ?

– Elle remonte au quatorzième siècle.

– J’irai la voir, dit Marmouset. Je veuxfaire mon ouvrage très consciencieusement.

– Je suis à peu près certain, poursuivitle libraire, que dans les caves de cette maison on retrouverait latrace des souterrains indiqués sur ce plan.

– C’est bien possible, dit Marmouset avecindifférence.

Et il prit le plan, qu’il paya en bellesbank-notes toutes neuves.

Cette fois, comme ils sortaient de chezM. Simouns, et qu’ils descendaient la rue Pater-Noster, Milonmurmura :

– Ah ! je commence àcomprendre !

– C’est bien heureux… dit Marmouset ensouriant.

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