Rocambole – En prison

Chapitre 29

 

 

Cette esplanade déserte que longeaient sirJames, Ralph et Jenny datait d’hier.

C’était l’emplacement des anciens abattoirsMénilmontant, repoussés, comme les autres, au delà desfortifications.

Depuis qu’on avait rasé l’édifice, le quartierétait devenu solitaire.

On ne voyait plus, à trois heures du matin,les cabarets ouverts ; on n’entendait plus rouler les voituresde bouchers partant comme l’éclair.

La nuit tout dormait. Le jour, la solituderégnait dans toutes ces ruelles qui mènent à l’hospice desincurables d’un côté et à la rue de la Roquette de l’autre.

Derrière l’avenue Parmentier, il y a unpassage, une cité misérable, une impasse plutôt, qu’on appelle lepassage des Amandiers.

Les Limousins n’y sont pas venus encore.

Les maisons sont hautes, les allées noires,les cours étroites.

Une population d’ouvriers travaillant audehors vient y coucher chaque soir.

En plein jour on n’y rencontre guère qu’unefemme ayant un nourrisson à la mamelle ou une nichée d’enfantsjouant au seuil des portes.

Vers le milieu, à gauche, en entrant par larue du Chemin-Vert, il y avait une maison plus haute, plus noire,plus enfumée que toutes les autres.

Un charbonnier occupait lerez-de-chaussée ; le premier et le second n’étaient pasloués ; les autres étages étaient habités par des ouvriers quis’en allaient le matin pour ne revenir que le soir.

À partir de huit heures, le charbonnier étaitl’unique créature humaine qui vécût dans ce bouge.

Ce fut là que sir James entra.

Jenny avait vu les plus pauvres quartiers deLondres, elle avait habité Dudley street, où la misère a l’aspectle plus hideux du monde.

Elle entra donc sans hésitation ni répugnance,sur les pas de sir James, dans l’étroite allée de la maison.

En passant, sir James frappa à la porte ducharbonnier.

Celui-ci, le visage barbouillé, apparutaussitôt.

C’était un homme de quarante ans environ, aufront bas, à l’œil sournois, aux épaules herculéennes.

Il avait un mauvais sourire aux lèvres etquelque chose de féroce et de stupide à la fois dans l’ensemble dela physionomie.

Il était veuf.

Sa femme était morte mystérieusement, etd’étranges rumeurs avaient circulé dans le voisinage : ondisait qu’il l’avait étranglée.

Mais une enquête judiciaire n’avait pasabouti, et Chapparot, – c’était son nom, – mis en étatd’arrestation tout d’abord, avait été relâché.

Il avait une fille de quinze ans qu’ilaccablait de coups et de mauvais traitements.

Un beau jour, sa mère morte, la pauvre enfants’était enfuie, et on ne savait ce qu’elle était devenue.

Chapparot ne s’était pas plus préoccupé de safille qu’il n’avait pleuré sa femme.

Il était travailleur et avare.

On disait même qu’il avait un gros sac d’écus,avec lequel il s’en retournerait en Auvergne au premier jour. Enattendant, on le craignait, et personne ne s’avisait de luichercher querelle.

Les bonnes femmes qui venaient chez luichercher du charbon ou de la braise osaient à peine franchir leseuil de sa boutique.

Cet homme ne parlait pas, ne buvait pas,n’avait pas d’amis et était la terreur du quartier, bien qu’il necherchât jamais querelle à personne.

L’homme de police qu’on avait donné à sirJames pour le piloter dans Paris avait dit un soir audétective :

– Vous m’avez demandé un homme résolu etcapable de tout ?

– Oui, avait répondu sir James.

– J’ai votre affaire, venez avec moi.

Sir James, ce soir-là, avait endossé unpaletot d’ouvrier par-dessus une blouse, coiffé une casquette,noirci ses favoris, qui étaient trop blonds, et il avait suivil’homme de police.

Celui-ci l’avait conduit chez un marchand devins du passage Saint-Pierre et lui avait montré Chapparot, quimangeait un morceau de lard et buvait une chopine dans un coin.

– Voilà votre homme, avait-il dit ;moi je ne puis me mêler de rien et je m’en vais.

Chapparot, sans doute, était prévenu, car ilavait fait bon accueil au détective.

Celui-ci s’était assis à sa table, avaitdemandé du vin ; puis, tandis que le cabaretier tournait ledos, il avait furtivement montré une poignée d’or au fils del’Auvergne.

À partir de ce moment, Chapparot avaitappartenu corps et âme à sir James Wood.

Ils s’étaient revus plusieurs fois, tantôtdans un cabaret, tantôt dans l’autre, et, un soir, après sixheures, le détective s’était furtivement introduit dans la boutiquedu charbonnier.

Donc, en arrivant avec Jenny et son fils, sirJames se glissa dans l’allée au lieu d’entrer par la boutique, etil frappa à une porte que Chapparot ouvrit aussitôt.

Un rapide coup d’œil fut échangé entreeux.

Puis le charbonnier fit un signe qui voulaitdire :

– Suivez-moi.

Sir James tenait toujours l’enfant par lamain.

Jenny le suivait.

La boutique dans laquelle ils entrèrent étaitun étroit boyau tout en longueur.

Elle était séparée d’une petite cour sans airet sans lumière, où, même en plein jour, régnait unedemi-obscurité. De l’autre côté de la cour, il y avait une autreboutique, un hangar plutôt, sous lequel le charbonnier empilait lebois qui lui venait du chantier.

Il fit traverser cette cour à ses visiteurs,et ils entrèrent sous le hangar.

Jenny s’attendait toujours à voir un lit etsur ce lit une agonisante.

Quant à l’enfant, il avait plusieurs foishésité. Mais sir James l’entraînait et faisait de temps en tempsretentir à ses oreilles quelques mots de patois irlandais.

Et l’enfant rassuré continuait à lesuivre.

Au fond du hangar, Chapparot ouvrit une porte.Alors sir James se trouva à l’entrée d’une troisième pièce, plongéedans l’obscurité.

Le charbonnier alluma une chandelle et entrale premier. Ils étaient dans une cave au niveau du sol.

La clarté de la chandelle était vacillante etun vent, humide la courbait sur la palette de fer dans laquelleelle était plantée.

En même temps sir James sentit un sol enplanches et qui sonnait le creux sous ses pieds.

La chandelle éclairait si peu qu’on ne voyaitpas le fond de la cave.

Le charbonnier marchait devant.

Après lui venaient sir James et l’enfant.

Puis Jenny fermait la marche.

Tout à coup le charbonnier s’arrêta.

En même temps l’enfant étonné le vit sebaisser, comme s’il cherchait quelque chose à terre.

Puis il entendit un bruit sec.

Puis un grand cri…

Puis quelque chose comme la chute d’un corpsdans un puits.

Et l’enfant éperdu, tournant la tête, ne vitplus sa mère.

Jenny avait disparu.

L’Irlandaise avait senti tout à coup le solmanquer sous ses pieds, et, une planche qui faisait la basculecédant sous son poids, elle était tombée dans la citerne de lamaison.

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