Rocambole – En prison

Chapitre 45

 

 

Polyte était un garçon de sang-froid ; ets’il n’était pas inaccessible à une première émotion, au moins ilsavait la réprimer promptement.

La trappe était placée entre lui et la portede la cour. Toute retraite lui était donc fermée, à moins qu’il nepassât sur le corps du charbonnier.

Polyte songea à se défendre.

Il s’empara d’un rondin de bois, qui avait unmètre de long et était gros à proportion, et il s’en fit unemassue.

Si le charbonnier venait à le découvrir, ilavait de quoi lui répondre.

Mais au moment de soulever la trappe,Chapparot hésita et se redressa brusquement.

– Tonnerre du sort ! dit-il, c’estdrôle comme ça me fait de l’effet.

Il se baissa de nouveau, passa un doigt dansl’anneau qui servait à soulever la planche, tira à lui, laissaretomber.

Puis, se redressant une secondefois :

– Ah ! feignant que je suis !fit-il !

Et il recula d’un pas.

– C’est le remords qui l’étrangle !pensait Polyte.

Cependant, on n’est pas Auvergnat sans êtretenace. Chapparot revint une troisième fois à la charge, se disanttout haut des injures à lui-même.

Mais une troisième fois le cœur luimanqua.

– C’est drôle, disait-il, mais ça me faitde l’effet, comme pour ma femme. Quand je l’ai tuée, quand elle aété morte, je n’ai pu la regarder et s’ils avaient été moins bêtes,ils me prenaient marron et m’envoyaient me faire faucher àdeux pas d’ici, place de la Roquette.

On le voit, bien qu’il fût un notablecommerçant, un boutiquier patenté, le charbonnier Chapparot savaitassez bien l’argot.

Pour lui, les juges étaient des curieux, etêtre pris marron équivalait à dire : pris sur le faitet arrêté séance tenante.

Polyte, abrité derrière la pile de rondins, neperdait ni un mot ni un geste du charbonnier.

Les coquins, taciturnes d’ordinaire et sefaisant une loi de peu parler, se dédommagent amplement quand ilssont seuls ou se croient seuls.

Ils s’adressent alors de véritables discours,dans lesquels ils s’administrent le blâme ou la louange.

Chapparot se racontait à lui-même ses petitspéchés, et il était à cent lieues de supposer que des oreilleshumaines l’entendaient.

– Après ça, se dit-il encore, c’estpeut-être parce que j’ai l’estomac vide. Je me pocharderai un brince soir, et j’aurai plus de courage.

Cette transaction passée avec lui-même,Chapparot s’éloigna de la trappe, au grand contentement dePolyte.

Polyte était courageux. Tout véritable enfantde Paris a ses ruses.

Il se serait fort bravement défendu au besoin,quoique le charbonnier eût des épaules énormes et des brasmusculeux à tuer un bœuf d’un coup de poing.

Mais Polyte était tout nu.

Or, un homme nu et qui n’a pas une bonne pairede chaussures aux pieds perd la moitié de son assurance et un quartde sa force.

Notre héros respira donc plus à l’aise quandil vit le charbonnier remettre sa chandelle dans le trou du mur etl’éteindre ; puis s’en aller et traverser la cour d’un pas quimanquait évidemment de résolution.

Alors, le gamin n’hésita pas.

Il chercha la trappe à tâtons, se posa dessus,la fit basculer et retomba dans la citerne comme y était tombéel’Irlandaise.

Puis, nageant d’une main, il déplaçal’échelle, la fit flotter de nouveau et se dirigea vers l’orificede la citerne qui était demeuré ouvert.

En cet endroit, il y avait une différence deniveau, et Polyte s’aperçut que l’eau était moins profonde et que,grâce à sa taille élancée, il pouvait se tenir debout et avoir latête hors de l’eau.

Il put donc à son aise replacer l’échellecomme la première fois et remonter dans la boutique du charron.

Il était transi de froid.

Depuis que la boutique était vide, la mère dePolyte avait l’habitude d’y faire sécher son linge.

Elle avait tendu une corde entre deux murs, etsur cette corde se trouvait une paire de draps.

Polyte les prit et s’enveloppa dedans pour sesécher.

Puis il s’habilla sans bruit, ne mit pas sessouliers et alla coller son œil d’abord et son oreille ensuite à laporte qui donnait sur l’allée.

La mère était rentrée et préparait son dîner.On entendait bruire sur le fourneau allumé à la porte une casserolepleine de graisse et l’odeur de roussi prit Polyte à la gorge.

– Diable d’oignon ! se dit-il, j’enai pour un bout de temps, et je ne veux pas que ma mère mevoie.

En effet, il était peu probable que laportière quittât sa loge tandis qu’elle préparait son souper.

Polyte grelottait. De plus, le bain de piedqu’il avait pris lui avait donné un appétit d’enfer.

L’odeur des oignons qui mijotaient dans lacasserole lui fit prendre une grande résolution.

– Après cela, se dit-il, qui sait ?On a vu des portières garder un secret toute une soirée. Je vaistâcher d’entortiller maman.

Et il ouvrit bravement la porte et se trouvaface à face avec sa mère, qui eut un geste d’étonnement.

Polyte lui mit la main sur labouche :

– Maman, dit-il, ne criez pas et soyezsérieuse une fois dans votre vie.

– Polisson ! dit la portièrerévoltée.

Il la poussa dans le fond de la loge et luidit :

– Voulez-vous que notre fortune soitfaite ? Ça dépend de vous.

– Qu’est-ce que tu chantes-la, dit labonne femme, habituée aux illusions toujours nouvelles de sonfils.

– Je ne chante que des chosesraisonnables, maman.

– Mais d’où viens-tu ?

– Je vous le dirai.

Et Polyte tira sur lui la porte de laboutique, la ferma et mit la clef dans sa poche.

– Jésus Dieu ! murmurait la bonnefemme, mon fils est toqué.

– Mère, dit Polyte gravement, je seraicommissaire de police au premier matin.

La portière haussa les épaules.

– Et on me donnera une jolie prime.

– Mais…

– Il n’y a pas de mais. Ça sera comme ça,si vous êtes bien gentille.

La mère regardait son fils avec stupeur.

Polyte continua :

– Qu’est-ce que vous faites donc cuirelà ?

– Du lard et des oignons.

– C’est-y cuit ?

– À peu près. Mais ce n’est pas de çaqu’il s’agit.

– Au contraire. C’est un moyen.

– Pour devenir commissaire ?

– Oui, maman.

– Mais, drôle, me diras-tu ce que tu esallé faire dans la boutique ?

– Ça ne vous regarde pas !

– Mauvais garnement, c’est comme ça quetu parles à ta mère ?

– Assez causé, maman. Donnez-moi un litrede vin. Tiens, en voilà un.

Et Polyte prit une bouteille sur la table.

– Donnez-moi du pain. Bon. Et puisça…

Et il enleva la casserole de dessus lefourneau.

La portière voulut crier, mais Polyte luidit :

– Si vous faites du bruit, je ne seraipas commissaire.

Et, le pain sous le bras, la casserole fumanted’une main, la bouteille de l’autre, Polyte s’élança dansl’escalier, disant à sa mère :

– Je ne fais que les deux chemins, jemonte à mon grenier et je redescends.

Et, tout en montant, il se disait :

– Après le bain qu’elle a pris, la pauvrefemme tortillera volontiers un morceau. C’est sûr !…

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