Rocambole – En prison

Chapitre 46

 

 

Milon retrouva ses compagnons en émoi.

Ils avaient fermé la boutique depuislongtemps, mais ils étaient tous réunis et, sans lumière, ilsavaient laissé entre-bâillée la petite porte basse.

– Ah ! dit la Mort-des-Braves, noust’attendons avec une vive impatience, Milon.

– Qu’est-ce qu’il y a donc ? fitcelui-ci.

– Depuis que tu es parti, il s’est passéde drôles de choses ici !

– Hein ?

– Je vais vous dire ça, moi, fitPolyte.

– Parle, dit Milon.

– Figurez-vous, reprit Polyte, que depuisl’entrée de la nuit nous avons vu circuler sur la place des gens demauvaise mine.

– Des Irlandais ?

– Probablement.

Ils étaient deux par deux, ou trois par trois,et ils se suivaient à distance.

– Et puis ?

– Tout à coup, nous en avons vu un quiconduisait une charrette de brasseur.

– Bon !

– Il s’est arrêté un moment devantNewgate, entre les deux portes.

– Ah !

– Alors deux autres hommes qui setrouvaient sous une des deux portes se sont approchés.

– Et ils lui ont parlé ?

– Et ils l’ont aidé à débarquer unefutaille qu’ils ont placé contre le mur.

– Et qu’en ont-ils faitensuite ?

– Rien. Ils sont montés dans la voituredu brasseur et ils se sont éloignés.

– Mais la futaille ?…

– Elle est toujours là-bas.

– Au pied du mur ?

– Oui. Venez donc la voir, ditPolyte.

– Un moment, dit Milon, laissons passerles policemen.

En effet, on entendait dans le haut d’OldBailey les pas lents et mesurés de deux gardiens de nuit quicheminaient en tâtant les portes pour voir si elles étaient bienfermées.

Les policemen passèrent.

Alors Milon dit à Polyte :

– Viens, allons voir, maintenant.

Et ils se glissèrent dans Old Bailey ets’approchèrent du mur de Newgate.

– Voilà le baril, dit Polyte.

Milon vit alors un grand tonneau qui pouvaitcontenir un muid de vin et qui était hermétiquement clos.

– Qu’est-ce qu’il peut donc y avoir làdedans ? dit Milon.

– Ma foi, répondit Polyte, je n’en saisrien.

Milon essaya de remuer le baril.

– Trop lourd, dit-il.

– J’ai dans mon idée, reprit Polyte, quec’est de la poudre.

Milon tressaillit.

– Pourquoi donc faire ? dit-il.

– Pour faire sauter Newgate.

Milon haussa les épaules.

– Et qui veux-tu qui fasse sauter,Newgate ? dit-il.

– Les fénians.

– Pour délivrer Rocambole ?

– Oui.

– Imbécile ! S’ils faisaient sauterla prison ils tueraient du même coup celui qu’ils veulentsauver.

– C’est juste, dit Polyte. C’est égal,faisons donc le tour de la prison.

Ils se mirent en marche. Cent pas plus loin,le long du mur d’enceinte, il y avait un autre baril semblable aupremier.

– Sais-tu ce que c’est ça ? fitMilon.

– Non, dit Polyte.

– C’est du gin volé. Les voleurs l’ontlaissé ici et viendront le reprendre demain matin.

– Je ne crois pas, dit Polyte, et jepersiste dans mon opinion.

– Que c’est de la poudre ?

– Oui.

– Eh bien ! quand Newgate sautera,nous n’y serons plus.

– C’est égal, dit Polyte, je seraisd’avis de prévenir Marmouset.

– Comment ? Sous quel prétexteveux-tu maintenant que nous entrions dans Newgate ?

– C’est vrai, soupira Polyte.

– Il faut, au contraire, reprit Milon,mener les choses rondement.

– Comment cela ?

– Et ne pas perdre une minute. Si lesfénians veulent faire sauter la prison, il faut arriver avant eux.Et notre amour-propre, donc !

Ce disant, Milon battit en retraite et Polytele suivit.

Ils revinrent dans la boutique.

– Quel heure est-il ? demandaMilon.

– Dix heures un quart.

– Nous n’avons plus que trois quartsd’heure. Ce n’est pas de trop. Allons, mes enfants ! àl’œuvre !

La petite porte de la boutique fut ferméesoigneusement et alors on ralluma les lampes.

– Tout est prêt en bas, dit laMort-des-Braves.

– Descendons l’échelle, fit Milon.

Chacun se chargea d’un tronçon et on descenditdans la cave.

Pauline suivait son mari.

Dans la cave, Milon distribua des armes à sescompagnons.

Puis on prit le chemin du souterrain.

Arrivés à la porte de fer, Milon dit à lajeune femme :

– Vous n’êtes pas poltronne, aumoins ?

– Je suis enfant de Paris ! réponditl’ancienne petite blanchisseuse.

– Mais c’est que vous allez rester seuleici.

– Cela m’est égal, si j’ai de lalumière.

– Et vous nous attendrez peut-être uneheure.

– J’attendrai ! dit-elle.

Et elle embrassa Polyte.

Alors Milon fit dresser un premier tronçon del’échelle dans l’oubliette et monta.

Puis on lui passa le second, qu’il ajusta, etil monta encore.

Au bout d’un quart d’heure il était au haut del’oubliette et faisait sauter la planche qui en recouvraitl’orifice.

Alors ses compagnons montèrent un à un, lepoignard aux dents, le revolver au poing, et Pauline, la courageusepetite femme, demeura seule dans le souterrain.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer