Rocambole – En prison

Chapitre 33

 

 

Sir Robert M… poursuivit :

– Nous sommes fort grandement logés.Outre le parloir où nous sommes, ma chambre, celle de ma femme etles chambres de ces demoiselles, il y a encore un petit salon etdeux chambres que nous n’occupons pas.

– Et qui sont très confortables, ditmistress Robert.

– Nous nous en arrangerons, ditMarmouset ; au reste, ce n’est que pour six ou huit jours, carnous allons bientôt rentrer en France.

– Si vous le voulez, continua sir RobertM…, heureux d’en être quitte à si bon marché, nous adopterons lesheures françaises pour les repas.

– Non ! non ! dit Marmouset, mafemme et moi nous adorons la vie anglaise. Mais, mon cher monsieur,là ne se borneront pas mes exigences.

– Ah ! mon Dieu !

Et sir Robert sentit de nouveau perler à sonfront quelques gouttes de sueur.

– Je vous l’ai dit, je suisexcentrique.

Le bon gouverneur, qui ne riait plus depuisdeux jours, regarda Marmouset.

– J’ai une passion, dit Marmouset.

Les jeunes misses baissèrent les yeux etmistress Robert parut fort inquiète à son tour.

– J’adore les échecs, et il me faut unpartenaire chaque soir.

– Ah ! dit sir Robert, si ce n’estque cela, je suis de première force à ce jeu, et je serai votrepartenaire tous les soirs.

– Non, dit Marmouset, ce n’est pas ce queje veux.

– Mais qu’est-ce donc ?

– J’ai passé ma jeunesse aux Indes, ditMarmouset.

– Bon !

– Aux Indes, on joue une partie trèscurieuse que les bonzes et les brahmines ont inventée.

– Je ne la connais pas, murmura sirRobert en soupirant.

– Mais vous avez parmi vos prisonniers unhomme qui a pareillement vécu aux Indes !

– Ah !

– Et qui se dit de première force à cejeu !

– Et… cet homme ?

– C’est le prisonnier avec lequel vousm’avez enfermé.

– L’homme gris !

– Oui, Votre Honneur.

– Mais, monsieur…

– C’est un parfait gentleman, ditMarmouset.

– Assurément.

– Et qui se montrera plein de retenue etde courtoisie devant ces dames.

– Comment ! exclama sir Robert M…,vous voulez que je le fasse venir ici ?

– Tous les soirs, pour faire mapartie.

– Mais les règlements…

– Ah ! pardon, dit Marmouset, vouspensez bien que si nous invoquons les règlements, je vais vousparler de M. Staggs.

Sir Robert frissonna.

– Il vous est loisible, poursuivitMarmouset, d’établir à la porte une escouade de policemen.

– Oh ! dit sir Robert, que leprisonnier soit ici ou dans son cachot, peu importe, je ne crainspas qu’il s’évade.

– À présent, dit Marmouset en se levant,vous savez à quelles conditions je consentirai à ne pas vousactionner devant le banc de la reine ?

Sir Robert et sa femme échangèrent un nouveauregard, et ce regard voulait dire :

– Après tout, mieux vaut encoreenfreindre les règlements et s’exposer à une réprimande du lordchief-justice que de perdre notre fortune et notre position.

Et sir Robert dit à Marmouset :

– Monsieur, vos désirs seront accomplis.Le prisonnier viendra faire votre partie.

– Fort bien.

Et Marmouset ajouta :

– Je ne vous prendrai pas en traître,monsieur. D’ici à huit jours, je ne reverrai pas M. Staggs, etje vais même lui écrire un mot pour lui annoncer que je m’absentemomentanément et le prier d’attendre mon retour pour s’occuper demon affaire.

– Comment ! monsieur, vous neretirerez pas votre plainte ?

– Je la retirerai la veille de mon départseulement. Mais vous avez ma parole. Si vous tenez vos engagements,je ne manquerai pas aux miens.

– Comme il vous plaira ! dit sirRobert qui comprenait après tout que ce gentleman excentriquevoulait avoir ses garanties.

Marmouset se leva, s’approcha de mistressRobert, qui avait essuyé ses larmes, et lui dit :

– J’aurai l’honneur, madame, de vousprésenter ma femme demain.

– Vous ne viendrez donc pas cesoir ? demanda sir Robert.

– Non, nous allons à Greenwich manger dupoisson et nous y coucherons.

Sir Robert voulut reconduire Marmouset jusqu’àla porte de Newgate, et il lui fit mille politesses.

Puis, quand celui-ci se fut jeté dans son cab,il remonta auprès de sa femme et se jeta dans ses bras.

– Ah ! ma chère, dit-il, j’ai cruque nous étions perdus.

Et il y eut entre le père, la mère et lesfilles une petite scène de famille tout à fait attendrissante…

*

**

Pendant ce temps, Marmouset courut à l’hôteldans lequel Vanda était descendue.

– Ma bonne amie, lui dit-il, vous voilàma femme pour huit jours.

– Comment cela ?

– Vous êtesMme Peytavin…

– Bon !

– Vous quittez votre hôtel demain et nousallons prendre pension dans une famille anglaise.

– Bah !

– La famille de sir Robert M…

– Mais c’est le gouverneur deNewgate ?

– Justement.

– Et c’est chez lui ?…

– Il nous prend en pension vous etmoi.

– Mais…

– Et il nous fera passer nos soirées avecun homme de votre connaissance.

Vanda devint toute pâle.

– Rocambole fera ma partie d’échecs tousles soirs.

Vanda étouffa un cri.

Alors Marmouset lui raconta ce qui s’étaitpassé entre sir Robert M. et lui.

– Mais, dit Vanda, à quoi cela nousavancera-t-il ?

– Nous enlèverons Rocambole un soir.

– Comment ?

– J’ai mon idée, dit Marmouset.

Et il quitta Vanda et se fit conduire dansOsborn street, au numéro 90, où il y a un célèbre serrurier qui ainventé les serrures les plus compliquées, les plus à l’abri desvoleurs et du feu.

Et, en entrant dans la boutique, Marmouset sedit :

– Je trouverai bien ici le moyen d’ouvrirla fameuse porte de fer qui ferme les souterrains qui, si j’encrois mon plan de Londres au dix-septième siècle, doivent aboutirsous l’appartement même du bon et naïf gouverneur de Newgate.

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