Rocambole – En prison

Chapitre 18

 

 

Marmouset, après avoir acquis la convictionque sir James Wood et le second détective avaient quitté la maisonde la rue Louis-le-Grand et que miss Ellen n’y était pas rentrée laveille, Marmouset, disons-nous, reprit le chemin de chez lui.

Il n’était pas encore sept heures dumatin.

Dans les maisons à petits locataires on estmatinal ; mais rue Auber, où il n’y a que de grandsappartements, les concierges dorment la grasse matinée.

Marmouset jeta son nom en passant devant laloge, et le concierge, encore endormi, n’ouvrit pas même lesyeux ; sans cela, il eût trouvé au moins étrange ledéguisement de son locataire.

L’invalide avait bu deux ou trois verres derhum et dormait du sommeil du juste.

Marmouset attendit d’avoir changé de vêtementspour l’éveiller.

– Hé ! camarade, lui dit-il alors,vous avez eu plus chaud que moi ici.

– Il est vrai, dit l’invalide en ouvrantles yeux.

– Reprenez votre uniforme, mon brave, ditMarmouset et puis vous me rendrez un petit service.

En même temps Marmouset se plaça devant unetable et écrivit ces mots à Milon :

« J’ai besoin de toi. Viens tout desuite. »

Puis, fermant ce billet, il le remit àl’invalide, qui avait de nouveau endossé sa capote.

– Évidemment, lui dit-il, vous rentrez auGros-Caillou ?

– Oui, monsieur.

– Cela ne vous allongera pas beaucoup depasser par la rue de Marignan, et vous me ferez plaisir de porterce mot à l’entrepreneur.

– Oh ! je sais où il demeure, ditl’invalide en prenant le billet.

– Maintenant, dit encore Marmouset, jevais vous demander votre parole d’honneur de soldat, mon ami, quevous ne parlerez plus à personne de ce qui s’est passé la nuitdernière, ni de la petite Anglaise, ni de moi qui vous ai empruntévotre uniforme. Si je vous la demande, c’est parce que de grandsintérêts sont en jeu, qu’une indiscrétion pourrait lescompromettre.

L’invalide donna sa parole d’autant plusvolontiers qu’il s’intéressait à miss Ellen, qu’il aimait le pauvreLimousin, son compagnon de nuit, et que Marmouset lui allait, commeon dit.

Marmouset lui mit une dizaine de louis dans lamain.

Le soldat voulut refuser. Mais le jeune hommelui dit avec une bonhomie charmante :

– Je suis quatre ou cinq foismillionnaire. Prenez ; c’est pour vos camarades de là-bascomme pour vous.

L’invalide s’en alla sans perdre une minutetrouver Milon et lui remit la lettre.

Milon se jeta dans une voiture de place etaccourut rue Auber.

– Mon ami, lui dit alors Marmouset,écoute-moi bien. L’Anglaise a disparu.

– Elle n’est plus rueLouis-Le-Grand ?

– Non.

– Depuis quand ?

– Depuis hier.

– Alors elle n’était pas là quand on afait faire la culbute à mon pauvre Limousin ?

– Non.

– Et savez-vous où elle est ?

– Si je le savais, je ne te ferais pasvenir pour que tu m’aides à la chercher.

– Autant trouver une aiguille dans unebotte de foin.

Marmouset eut un sourire :

– Mon bon Milon, tu seras toujours un peusimple. Rocambole parvenait quelquefois à t’ouvrir l’esprit. MaisRocambole n’est plus là…

– Je redeviens tout à fait bête ;c’est vrai, dit Milon.

– Pourtant, suis bien monraisonnement.

– Parlez…

– Cette Anglaise, qui est venue à Parispour y chercher un certain Milon et une certaine Vanda, venaitévidemment de la part de Rocambole, lequel est peut-être en périlet a besoin de nous.

– Certainement elle venait de sa part, çan’est pas douteux, dit Milon.

– Donc, il faut la retrouver, l’arracheraux gens qui l’ont fait disparaître, et savoir ce que nous veutRocambole.

– Mais comment la retrouver ?

– Dans les pays de frontière, poursuivitMarmouset, on pince les contrebandiers en épiant leurs chiens.

– Bon !

– Miss Ellen, – puisqu’elle se nommeainsi, – ne fait pas la contrebande et n’a sans doute pas de chien,mais elle est suivie, gardée à vue par ces deux hommes, quiévidemment sont des ennemis de Rocambole, puisqu’ils veulentl’empêcher de se rencontrer avec toi et Vanda.

– Après ? fit Milon.

– Donc, reprit Marmouset, ce sont cesdeux hommes qu’il faut retrouver d’abord.

– Mais où ?

– Quand nous saurons où ils sont, nousaurons miss Ellen.

– Mais les deux hommes ?…

– Sont évidemment des gens de la hautepolice anglaise, ce qu’on appelle des détectives.

– Eh bien ?

– Et rien n’est plus facile que de lesretrouver, eux.

– Mais comment ?

– As-tu de l’argent chez toi en cemoment ?

– Il m’est rentré cent mille francs hiermatin.

– Où sont-ils ?

– Dans une caisse.

– La caisse que tu as achetée àLondres ?

– Oui.

– J’ai la pareille. Eh bien ! je tevolerai demain tes cent mille francs.

– Plaît-il ? dit Milonstupéfait.

– Aucun serrurier français ne pourraitforcer cette caisse, n’est-ce pas ?

– Certainement non.

– Il n’y a qu’un voleur anglais qui aitpu se procurer les empreintes nécessaires à fabriquer les clefs quila ferment. Comprends-tu ?

– Pas encore, dit Milon.

– C’est pourtant bien simple. Tu es volé,tu t’adresses à la Préfecture. Les agents français acquièrent laconviction que tu as été volé par un Anglais ; et ilss’adressent aux deux détectives qui se trouvent en ce moment àParis pour les aider à trouver le voleur.

– Mais les agents français savent-ils queles détectives sont ici ?

– J’en ai la certitude, et je vais te leprouver.

– Ah !

– Ensuite je t’expliquerai le petit planque je viens d’imaginer et que Rocambole lui-même nedésapprouverait pas.

Sur ces mots, Marmouset alluma un cigare, etMilon devint de plus en plus attentif.

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