Rocambole – En prison

Chapitre 58

 

 

Quel moyen Vanda comptait-elle employer pourdélivrer miss Ellen ?

C’est ce que nous allons voir, en nousreportant au moment même où sir James Wood et Smith dit leSerrurier avaient senti le plancher s’effondrer sous eux dans lamaison de Milon, et où ils étaient descendus dans des profondeursmystérieuses et pleines de ténèbres.

Le plancher était descendu pendant près dequatre minutes, et ce laps de temps avait été un siècle d’angoissespour ces deux hommes qui, après avoir jeté un cri, étaient demeurésla bouche béante et la gorge crispée.

Enfin un bruit sec, puis une secousse leuravaient appris que le plancher s’arrêtait.

Mais où étaient-ils ?

Une obscurité profonde les environnait, etpendant quelques secondes ni l’un ni l’autre n’osa prononcer uneparole.

Enfin, cependant, sir James Wood poussa unvigoureux Goddam, auquel Smith répondit par ces mots :

– Je le jure par saint George, le patronde la libre Angleterre, ceci ne se passe qu’au théâtred’Adelphi.

Sir James et Smith se cherchèrent dansl’obscurité et se prirent la main.

– Mais enfin, dit le détective, oùsommes-nous ?

– Probablement dans une cave.

Smith avait la philosophie du voleur anglais,qui s’attend toujours à retourner au moulin, et il s’accommodaitvite des situations les plus étranges.

– Nous pouvons toujours savoir où noussommes ! dit-il.

– Comment cela ? répondit sir James.Je n’y vois goutte.

– Vous, mais j’ai trouvé le moyen d’yvoir, moi.

Et Smith tira de sa poche une petite boîte debougies.

Soudain un éclair brilla et sir James put voirson compagnon de captivité.

– Donnons-nous le temps de regarder, ditSmith ; après celle-là, une autre.

À la troisième allumette, sir James et Smithétaient fixés.

Ils étaient dans une sorte de puits sans eau,de quatre pied carrés, et à une profondeur de quinze ou vingtmètres au-dessus du sol, si on en jugeait par l’élévation probablede ce puits, c’est-à-dire du plancher de la caisse de Milon, carils eurent beau regarder, la clarté vacillante des allumettes neparvenait pas à percer les ténèbres qu’ils avaient au-dessus deleurs têtes.

Ce puits était en maçonnerie toute neuve.Smith frappa du poing sur les parois.

Puis il secoua la tête et dit :

– Ce ne sont pas ces murs-là que nouspercerons jamais. Et si nous sortons d’ici, c’est qu’on viendranous y chercher.

Ils étaient, en effet, dans un puits, et cepuits, Milon l’avait fait creuser pour y essayer un appareil toutnouveau et qui est appelé à jouer un rôle important dans lesconstructions de l’avenir.

Cet appareil est un ascenseur et ilest destiné à remplacer l’escalier.

Il avait suffi de sept à huit heures detravail pendant la nuit précédente, pour mobiliser une partie duplancher de la pièce où Milon avait sa caisse et mettre en état defonctionner l’ascenseur en miniature que l’entrepreneur voulaitessayer.

C’était encore là une idée de Marmouset.

Smith et sir James avaient en poche leur boîted’allumettes bougies et ils finirent par se rendre compte dumécanisme dont ils étaient les victimes.

Peu à peu le détective avait repris sonsang-froid.

– Ah çà ! dit-il enfin, quepenses-tu, mon garçon, que ces misérables veulent faire denous ?

– Je n’en sais rien, répondit Smith.

Ils pouvaient nous tuer et nous jeter mortsdans ce puits.

– C’est vrai, et s’ils ne l’ont pasfait…

– C’est qu’ils avaient leurs raisons, ditsir James, et qu’ils espèrent se servir de moi.

Sir James n’acheva pas. Le sol éprouva unenouvelle secousse : lui et le détective trébuchèrent.

– Bon ! dit le pickpocket, est-ceque nous allons descendre encore ?

– Non, répondit sir James, je crois quenous remontons.

En effet, l’ascenseur s’était remis enmouvement, et plaçant sa main contre le mur, sir James sentit lemur fuir peu à peu, et il comprit qu’ils remontaient.

– Ils ont voulu nous effrayer, dit-ilalors.

Smith enflamma une nouvelle allumette, mais lemouvement de l’ascenseur avait été si rapide qu’elles’éteignit.

Presque aussitôt après, les deux prisonniers,levant la tête, virent une clarté au-dessus d’eux.

C’était une lumière qui brillait tout en hautdu mur.

En même temps ils aperçurent Marmouset penchésur l’abîme et tenant une lampe à la main.

L’ascenseur montait toujours et il arrivaenfin à trois pieds du plancher de la caisse.

Alors Marmouset tendit la main àSmith :

– Viens, toi, dit-il.

Et il le hissa sur la partie du plancher quiétait dormante au lieu d’être mobile.

Sir James allait suivre Smith ; maissoudain Marmouset pressa un ressort et le plancher redescendit.

Le détective jeta un cri.

Alors Marmouset lui dit en riant :

– Vous pensez bien, mon gentleman, quenous n’avons aucune raison de garder en notre pouvoir cegarçon ; aussi allons-nous lui rendre sa liberté.

Sir James, ivre de rage, redescendit au fonddu puits, et Marmouset disparut avec sa lampe.

Malgré son flegme britannique, le détective neput s’empêcher d’éprouver une violente colère qui fit place ensuiteà un profond abattement.

Après avoir crié, le détective, voyant quepersonne ne répondait à ses cris, se tut et tomba en un silencefarouche.

Les heures s’écoulaient.

Souvent il semblait à sir James que le sol del’ascenseur sur lequel il était devenait mobile de nouveau.

Illusion !

Souvent aussi il croyait entendre des bruitsau-dessus de sa tête.

Illusion encore !

Alors sir James eut tout à coup une idéeépouvantable.

– Ces hommes m’ont dit, pensa-t-il,qu’ils savaient où était miss Ellen, et il en est un qui a prétenduconnaître le charbonnier.

Ils n’ont donc pas besoin de mes révélationsdésormais.

Et s’ils n’ont plus besoin de moi, qui sait sije ne suis pas enseveli tout vivant ?

Cette pensée prenait dans l’esprit de sirJames une consistance effrayante à mesure que les heuressuccédaient aux heures.

Le détective avait sur lui unemontre.

Il était dans les ténèbres, et, parconséquent, il lui était impossible de la consulter.

Néanmoins il la tira et l’appliqua contre sonoreille.

La montre s’était arrêtée.

Et sir James fit ce calcul biensimple :

Sa montre, qu’il avait remontée la veille àsix heures du soir, avait dû marcher, non pas vingt-quatre heures,mais vingt-sept ou trente, comme cela arrive ordinairement.

Il y avait donc, puisqu’elle était arrêtée,cinq ou six heures qu’il était dans le puits.

Et ce calcul fait, le détective selivra à un autre.

– En admettant qu’on veuille me laissermourir ici, mon agonie sera longue, et j’ai le temps de voir mamontre s’arrêter une fois encore.

Et il se mit à la remonter.

Les heures passèrent encore.

Aucun bruit, aucune voix humaine n’arrivaientà sir James.

Si encore Smith fût resté avec lui ! onsouffre moins à deux ; mais on avait rendu la liberté à Smithet il était seul.

Alors l’ancien fénian, l’homme qui avait trahises frères et vendu l’Irlande à l’Angleterre, sentit tout à coupses cheveux se hérisser et se trouva en proie à un nouveausupplice…

Il avait faim !…

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