Rocambole – En prison

Chapitre 37

 

 

Le lendemain matin, un cab s’arrêta à la portede Newgate.

La porte du milieu, celle qui donnait accèsdans le logis proprement dit du gouverneur.

Deux personnes en descendirent.

Marmouset et Vanda.

Mistress Robert M… était à la fenêtre, abritéederrière les persiennes, et elle les aperçut tous deux au moment oùils sonnaient à la porte.

Vanda avait la tournure élégante et ladémarche hautaine d’une femme du meilleur monde.

Les jeunes misses, qui étaient derrière leurmère, ne purent s’empêcher de murmurer :

– Maman, qu’elle est belle !…

Quant à sir Robert M…, il était en granduniforme pour recevoir dignement ses hôtes.

Sir Robert avait beaucoup réfléchi depuis laveille.

Un Anglais comprendra toujoursl’excentricité.

Après le départ de Marmouset, le bongouverneur s’était posé cette question :

– N’est-ce pas un piège qu’on metend ?

Mais il est tellement invraisemblable qu’unhomme qui était l’ami du premier secrétaire de l’ambassadefrançaise eût la moindre accointance sérieuse avec les fénians, quesir Robert eut honte de sa défiance.

Ensuite, il n’avait vraiment pas le choix.

Marmouset avait parlé de M. Staggs.

Si M. Staggs mettait jamais le nez dansles affaires de sir Robert M…, celui-ci pouvait se considérer commeun homme perdu.

Sa réputation de probité, son bonheur, safortune, sa propriété, tout y passerait.

En mettant les choses au pire, en admettantque le gentleman français eût de mystérieuses relations avecl’homme gris, que risquait sir M… ?

Tout au plus une réprimande du lordchief-justice.

Si le prisonnier – chose impossible ! –s’évadait ?

Sir Robert M… pouvait être destitué ;mais on ne lui prendrait pas sa fortune, et, quoi qu’il en eût dit,le gouverneur de Newgate avait de bonnes petites économies bienrondelettes.

Donc sir Robert s’était dit :

– Il faut donc en passer par où leFrançais veut ; mais je prendrai mes précautions.

Et il s’en était allé trouver, dès le matin,son prisonnier l’homme gris.

Rocambole l’avait regardé du coin de l’œil, ets’était dit :

– Je vois ce que c’est. Tu as reçu hierla visite de Marmouset. Tu as le trac, mon bonhomme !

– Gentleman, dit alors sir Robert M…,vous m’accorderez cette justice que je vous ai toujours témoignédes égards ?

Rocambole s’inclina.

– J’ai adouci pour vous, autant quepossible, le régime de la prison.

– Tout cela est vrai, mylord.

– Je vous ai fait donner desjournaux.

– Parfaitement.

– Je vous ai même permis d’écrire.

– Tout cela est vrai, milord.

– Vous m’accorderez, poursuivit sirRobert, que si vous êtes ici, ce n’est pas ma faute et que j’y suispour rien.

– Assurément non.

– Par conséquent, vous ne sauriez avoiraucun motif de haine contre moi.

– Mais je suis plein de reconnaissancepour vous, mylord.

– Vrai ?

– Et si jamais je suis libre !…

Sir Robert secoua la tête.

– Vous n’avez pas besoin d’être librepour me prouver votre reconnaissance.

– En vérité !

– Et je vous avouerai même naïvement queje viens faire appel à vos bonnes dispositions pour moi.

– Parlez ! mylord, parlez ! ditRocambole avec empressement.

Alors, sir Robert raconta à l’homme gris, danstous ses détails, la visite de Marmouset et les conditionssingulières qu’il lui avait imposées pour retirer sa plainte desmains de M. Staggs.

Rocambole se mit à sourire.

– Mylord, dit-il, je savais cela.

– Vous le saviez ?

– Je vais être franc avec vous,mylord.

– Parlez !…

– M. Félix Peytavin, c’est le nom duFrançais, n’est-ce pas ? s’est montré mécontent quand vousnous avez transférés dans une autre cellule.

« – Je me vengerai, » m’a-t-ildit.

Et il m’a raconté le projet qu’il va, je levois, mettre à exécution.

– La vengeance n’est pas bien cruelle,dit sir Robert M…

– Elle l’eût été, si vous ne m’aviezcomblé de vos bontés, mylord.

– Que voulez-vous dire ?

– Le Français n’est pas mon ami, aprèstout, dit Rocambole, et vous avez été très bon pour moi.

– Bon ! après ?

– Il se propose de recommencer ce que, enFrance, on nomme une scie.

– Je ne comprends pas.

– C’est-à-dire qu’il veut, chaque soir,pendant huit jours, en jouant au whist avec moi, parler cettelangue bizarre qui vous a tant horripilé.

– Ah ! vraiment.

– Et vous faire croire que nous avons desintelligences. Mais, rassurez-vous, milord, il n’a pas messecrets.

Et Rocambole se mit à rire.

– Donc, poursuivit-il, ne vous alarmezpas, et tenez-vous heureux d’être quitte à si bon marché de cetteaventure que M. Staggs saurait mettre à profit.

Sir Robert M… frissonna au nom deM. Staggs.

– Gentleman, dit-il alors, en obéissantau caprice de M. Peytavin, je viole les règlements de laprison !

– Peuh ! dit l’homme gris.

– Je viens donc faire appel à votrehonneur.

– Ah ! fit Rocambole.

– Vous serez jugé au premier jour.

– Eh bien !

– Je viens vous supplier de ne pointparler à l’audience, quand on vous interrogera, de cetteparticularité que je vous aurai fait venir chez moi.

– Je vous jure, mylord, mais…

– Mais quoi ? demanda, sir Robert M…inquiet.

– Serez-vous aussi sûr de la discrétionde vos employés ?

– Il y en a deux dont je réponds, et cesont eux qui viendront vous chercher.

– Alors, c’est différent, mylord, et vouspouvez compter sur moi.

Sir Robert M… avait quitté l’homme gris, toutà fait rassuré, et il retourna chez lui faire un bout de toiletteet donner ses ordres pour que le gentleman français et sa femmefussent reçus convenablement.

Donc, il était dix heures du matin, quand sirRobert M… alla recevoir Marmouset et Vanda et leur témoigner unrespectueux empressement.

– Eh bien ! lui dit Marmouset enriant, l’ombre de M. Staggs n’a-t-elle pas troublé votresommeil ?

Sir Robert M… tressaillit. Néanmoins, lesourire n’abandonna point ses lèvres et il offrit galamment la mainà Vanda.

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