Rocambole – En prison

Chapitre 30

 

 

L’enfant terrifié crut d’abord à unaccident.

– Maman ! où est maman ?s’écria-t-il en voulant revenir en arrière.

Le mouvement des bascules avait été si rapideque la planche qui avait cédé sous les pieds de la malheureuseIrlandaise était remontée presque aussitôt, et l’enfant n’avaitrien vu.

Et comme il voulait s’élancer enrépétant :

– Maman ! maman !

Sir James Wood le retint d’une mainvigoureuse, tandis que le charbonnier riait de son mauvaisrire.

L’enfant se remit à crier et à sedébattre.

Sir James lui mit une main sur la bouche,disant :

– Tais-toi ou je te tue !

L’enfant mordit cette main avec fureur.

Sir James jeta un cri de douleur et lâchal’enfant.

Mais le charbonnier le prit au passage, et luiserra le cou de manière à l’empêcher de pousser même ungémissement.

Les deux misérables avaient entendu quelquesplaintes sous leurs pieds et le clapotement de l’eau pendantquelques secondes.

Puis les plaintes s’étaient éteintes, et aussile clapotement.

– Je crois qu’elle a son compte, avaitdit le charbonnier en riant.

Et il serrait si fort le cou de Ralph, que lepauvre enfant tirait la langue et était devenu d’un rougelivide.

– Prends garde de l’étrangler, imbécile,dit sir James, cet enfant vaut cent mille francs pour moi.

L’enfant, à demi étranglé, se débattaittoujours.

– Alors dit le charbonnier, mettez-luivotre mouchoir dans la bouche.

– Le voilà, dit sir James, qui secouaitsa main d’où le sang sortait.

Les deux misérables bâillonnèrent l’enfant.Puis le charbonnier lui jeta un sac à charbon sur la tête etl’emporta dans le hangar.

– Qu’allons-nous en faire ?dit-il.

Ralph ne comprenait pas le français, la languedans laquelle sir James parlait au charbonnier.

Réduit à l’impuissance, bâillonné, couvert parle sac dont la poussière noire l’aveuglait, il n’était plus dansles mains de ces hommes qu’un colis inerte.

– Crois-tu que la mère se soitnoyée ? demanda sir James à Chapparot.

– J’en suis bien sûr, dit le charbonnier,il y a dix pieds d’eau dans la citerne. Et du petit, quevoulez-vous en faire ?

– Il faut que tu me le gardes.

– Jusqu’à quand ?

– Jusqu’à demain.

– Faudra-t-il lui donner àmanger ?

– Oui, s’il ne crie pas.

– Oh ! Je vais le mettre dans unendroit où il peut bien crier tout à son aise ; personne nel’entendra.

Et comme il avait toujours Ralph dans sesbras, il fit signe à sir James de soulever une plaque de tôle munied’un anneau qui se trouvait dans un coin du hangar.

Sir James obéit.

La plaque recouvrait les premières marchesd’un escalier qui descendait dans les caves de la maison.

– Je vais toujours le laisser bâillonné,dit le charbonnier, qui s’engagea, l’enfant sur ses épaules, dansl’escalier, ajoutant :

– Attendez-moi ici.

Cinq minutes après, Chapparot remontaseul.

– Je l’ai enfermé dans un caveau, dit-il,dont les murs ont quatre pieds de large. Il n’y a pas un cabanon àMazas qui soit plus solide.

En même temps il tendit la main à sirJames :

– Mon argent ? dit-il.

– En voilà la moitié, répondit sirJames.

Et il lui mit un rouleau d’or dans lamain.

– Pourquoi ne me donnez-vous pastout ? fit le charbonnier d’un ton hargneux.

– Afin que tu veilles sur le petit et quetu ne le laisses pas s’échapper.

– Oh ! soyez tranquille.

– Je viendrai le chercher demain, ajoutasir James, et tu auras le reste de ton argent.

– Soit, dit le charbonnier ensoupirant.

Et ils quittèrent le hangar, retraversèrent lacour et entrèrent dans la boutique.

Puis sir James sortit par la porte del’allée.

– À demain, dit-il.

Et il regagna le fiacre qui l’attendaittoujours à l’angle de l’avenue Parmentier et de la rue duChemin-Vert.

*

**

Une heure après, sir James Wood, mis avectoute la recherche prétentieuse d’un gentleman d’outre-Manche,entrait dans un bureau télégraphique, rue Lafayette, ettransmettait le télégramme suivant :

Au révérend Patterson,

92,Oxfort street,

London.

« Ralph est avec moi. Faut-ilpartir ? Répondez sur-le-champ.

« SIR JAMES. »

La dépêche expédiée, sir James allatranquillement dîner au café Anglais.

C’était là que le détective Edward devait lerejoindre.

Mais le détective se fit attendre, sir Jamesavait achevé son repas et huit heures sonnaient lorsque Edwardarriva.

– Eh bien ? dit-il.

– C’est fait, répondit sir James.

– Vous avez l’enfant ?

– Oui.

– Où est-il ?

– En lieu sûr, fit sir James avec unsourire.

– Moi, dit Edward, j’ai passé à notrehôtel, et je vous apporte une lettre et un télégramme.

– Voyons ?

Et sir James tendit la main aux deuxmissives.

Le télégramme qu’il ouvrit tout d’abord, étaitla réponse du révérend Patterson.

Il était ainsi conçu :

« Écrivez lettre. Donnez détails etattendez de nouveaux ordres ».

– Comme il lui plaira, murmura sirJames.

Et il ouvrit la lettre, qui portait ceten-tête :

Préfecture de police

Cabinet du chef de là sûreté.

« Venez demain matin à neuf heures à monbureau, disait le chef de la sûreté à sir James, j’ai uneproposition à vous faire et un petit service à vousdemander. »

– Je me doute de quoi il s’agit, ditEdward, qui prit connaissance de la lettre.

– Ah !

– Il se commet beaucoup de vols à Parisen ce moment, et il y a, dit-on, une bande de pickpocketsnouvellement débarquée. On veut nous utiliser.

– Avec plaisir, dit sir James, s’il y ade l’argent au bout.

– Alors nous irons là-bas à neufheures ?

– Certainement, répondit sir James.

Et il demanda tranquillement du café et descigares.

Le souvenir de la malheureuse Irlandaise ne letourmentait point, comme on le voit !…

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