Rocambole – En prison

Chapitre 13

 

 

Le javanais n’est pas une langue, ce n’est pasun patois, ce n’est pas même un argot.

C’est du français pur et simple, mais dufrançais dans lequel chaque syllabe est précédée et suivie des motsave, ava ou avi.

De telle façon que pour dire « je lis lavie de César » on prononce :

Jave lavi vavie deve çavésavar.

Sir Robert M… et le révérend Pattersonauraient bien pu écouter à la porte de la cellule, qu’ilsn’auraient pas compris un mot à cette conversation qui stupéfiaitl’Irlandais Barnett.

Il est vrai que si l’un ou l’autre avait eul’idée de demander par le fil électrique une petite dame de Parisen lui promettant pour la peine un huit-ressorts, elle auraittraduit à merveille ce que Rocambole et Marmouset disaient entreeux.

– Voyons, demandait le maître, commentavez-vous su que j’étais détenu ?

– Par miss Ellen.

– Vous avez donc vu miss Ellen ?

– Elle est avec nous.

– Mais on la surveillait ?

– C’est vrai.

– On l’a même mise en prison ?

– C’est encore vrai.

– Eh bien ! alors ?

– Alors, nous l’avons délivrée. C’estbien simple.

Puis Marmouset ajouta avec un souriremodeste :

– Je crois, du reste, que nous avons letemps de causer.

– Oh ! certainement, ditRocambole.

– Alors, maître, je vais vous raconter endétail les aventures de miss Ellen et les nôtres.

– Parle !

Marmouset avait le récit clair, rapide, maisil n’oubliait rien.

Au bout de deux heures, Rocambole était aucourant de tout ce qui s’était passé à Paris, depuis la chute deMarmouset et jusqu’au miraculeux sauvetage de l’Irlandaise Jenny etde son fils.

– Qu’avez-vous fait de ceux-ci ?demanda alors Rocambole.

– Ah ! dame ! réponditMarmouset, nous n’avons pas osé les ramener à Londres.

– Vous avez bien fait.

– Il nous fallait des ordres de vous etnous n’en avions pas. Jenny et Ralph sont dans la maison de Milonsous la garde de Shoking.

– Fort bien. Et miss Ellen ?

– Elle est avec Vanda. Maintenant,maître, poursuivit Marmouset, vous pensez que je ne moisirai pasici.

– Ni moi non plus, dit Rocambole, qui eutun sourire mystérieux.

– Ah ! j’espère bien que nous vousdélivrerons.

– Et, dit Rocambole, si vous n’yréussissez pas ?…

– Dame…

– Eh bien ! je me délivreraimoi-même ; mais continue. Ton valet de chambre, c’est Milon,n’est-ce pas ?

– Naturellement.

– Et il n’est pas à Liverpool ?

– Non, mais il attend vingt-quatre heurespour se présenter à l’ambassade.

– Je ne me repens pas de t’avoir élevé,dit Rocambole en souriant, tu es intelligent.

Marmouset salua.

– Maintenant, reprit le maître,écoute-moi bien.

– J’attends, dit Marmouset.

– Je commence à me trouver un peu tropchevaleresque.

– Ah !

– Je me suis dévoué corps et âme auxIrlandais, et j’ai sauvé leur chef futur. Si je suis en prison,c’est que je l’ai bien voulu, mais les fenians ne savent pascela.

Or, ces gens, pleins d’audace quand il s’agitde délivrer un de leurs frères, sont pas mal ingrats.

– En vérité ?

– C’était un homme en qui ils avaient foiqu’ils prenaient pour chef et qui les avait habitués à le voirsortir des plus mauvais pas.

Quand ils désespéraient, ils les ranimaientd’un mot. Quand une cause leur semblait perdue, il leur démontraitqu’elle était gagnée.

Pendant trois mois, l’homme gris a tenul’Angleterre toute entière en échec.

– Eh bien ? fit Marmouset.

– Eh bien ! Un jour, il m’a convenude donner tête baissée dans un piège, parce que je voulais me faireune amie de ma mortelle ennemie, miss Ellen.

– Bon ! fit Marmouset.

– L’homme gris a été comme un fénianvulgaire ; on l’a mis à Newgate, et il n’a point renversé lesmurs de cette prison d’un coup d’épaule.

Il semble résigné au sort qui l’attend, et,dès lors, son prestige est tombé.

Seul, l’abbé Samuel peut-être essaye de mesecourir ; mais les autres m’ont abandonné. Je ne m’en plainspas, les hommes sont ainsi. Ils abandonnent celui qui ne leur peutplus être utile.

– Mais nous ne vous abandonnerons pas,nous, cher maître, dit Marmouset.

– Je le sais, et c’est pour cela que jevous ai envoyé miss Ellen.

Puis Rocambole ajouta :

– Cependant, je veux soumettre lesfénians à une dernière épreuve.

– Ah !

– S’ils me reviennent, je lesservirai.

– Et s’ils vous abandonnent ?

– Eh bien ! nous chercheronsd’autres victimes plus dignes de notre dévouement.

– Et quelle est cette épreuve ?

– Tu sortiras d’ici demain.

– C’est probable.

– Et tu emporteras les excuses de sirRobert M… ?

– De sir Robert M…, du révérend Pattersonet du lord chief justice.

– En Angleterre, ce n’est pas comme enFrance, poursuivit Rocambole. Quand la justice s’est trompée, quandelle a emprisonné un homme abusivement, elle lui doit uneindemnité.

– Je sais cela.

Et cette indemnité est proportionnée au rangde l’homme emprisonné. Tu es membre d’un club célèbre à Paris, tues riche, tu es considéré. Tu demanderas cent mille livres sterlinget la Cour t’en accordera la moitié.

– Vraiment ?

– En même temps, tous ceux qui t’aurontmalmené seront condamnés à une amende. Comprends-tu ?

– Pas encore.

– Tu feras alors le gentilhomme et turenonceras à l’indemnité et au bénéfice des amendes, à la conditionqu’on te permettra de faire visiter à ta femme le cachot danslequel on t’aura enfermé, et de revoir tes compagnons decaptivité.

– Bon !

– Seulement, dans l’intervalle de tasortie d’ici et de cette visite, tu iras trouver l’abbé Samuel.

– Après ?

– Tu lui demanderas d’assembler uneréunion de fénians et de leur proposer ma délivrance.

– Et si les fénians refusent ?

Un sourire glissa sur les lèvres deRocambole.

– Quand tu reviendras ici, je laisseraitomber dans ta poche une boulette de papier. Cette boulettecontiendra mes instructions.

Comme Rocambole achevait ces deniers mots, laporte de la cellule s’ouvrit, et sir Robert M… en personne semontra aux trois prisonniers.

– Continuons donc à parler javanais, ditRocambole, il faut bien nous amuser un peu…

Sir Robert M… s’était arrêté tout ahuri sur leseuil.

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