Rocambole – En prison

Chapitre 14

 

 

Sir Robert M… regardait tour à tour le vrai oule faux Rocambole, et il prêtait une oreille attentive à cettelangue étrange dont il ne comprenait pas le premier mot. L’hommegris et Marmouset continuaient à causer en javanais.

Cependant, en prisonniers bien élevés, ilss’étaient levés avec empressement et avaient porté la main à leurbonnet.

– Ah ! gentleman, s’écria enfin sirRobert M…, je vous y prends à la fin.

– Comment cela, Votre Honneur ?demanda l’homme gris en souriant.

– Vous ne direz plus que vous neconnaissez pas le prisonnier ?

Et il désignait Marmouset.

– Excusez-moi, répondit Rocambole, je nele connaissais pas ce matin.

– En vérité !

– Maintenant, nous avons faitconnaissance et nous sommes bons amis.

Sir Robert haussa les épaules.

– Mais, Votre Honneur, nous nouscomprenons fort bien, monsieur et moi.

– Langage de convention ?

– Du tout, Votre Honneur. Nous parlonsune langue orientale, le javanais.

Sir Robert M…, était un bon Anglais, très fierdu lion britannique, de la marine britannique, des possessionsbritanniques, et il était excessivement ferré sur tout ce quiconcernait les Anglais dans l’Inde.

À ce nom de Java, il poussa un cri.

– Oh ! dit-il, nous allons bienvoir.

– Plaît-il ? fit l’homme gris.

– Auriez-vous un Javanais ici ?demanda Marmouset.

Sir Robert M… se tourna vers le guichetier quil’accompagnait, et qui, comme lui, s’était arrêté stupéfait auseuil de la cellule.

– Master Dixon, lui dit-il, allez mechercher Dick !

– Qu’est-ce que Dick ? demandal’homme gris.

– Un matelot qui a passé dix ans dansl’Inde.

– Ah ! ah !

– Et qui est ici pour un volinsignifiant.

– L’homme est imparfait, ditRocambole.

Puis, souriant toujours, il ajouta :

– Votre Honneur me permettra bien unmoment, n’est-ce pas, de continuer ma conversation avec cegentleman ?

– En javanais ?

– Naturellement, car nous sommes en trainde nous raconter une foule de petits secrets.

Et l’homme gris dit à Marmouset :

– Tu vas voir que nous allons bientôtnous amuser.

– Comment cela ?

– Je vais parler à Dick le véritablejavanais.

Tu penses bien que je n’ai pas vécu deux ansdans l’Inde, à la Cour de mon pauvre nabab, sans apprendre tous lesidiomes indous.

– C’est juste ; mais moi ?

– Eh bien ! toi, tu te renfermerasdans un silence prudent.

Marmouset riait, comme riait Rocambole.

Il n’y avait que l’Irlandais Barnett qui étaitaussi ahuri que le gouverneur.

Master Dixon amena Dick.

C’était un matelot de vingt-huit ans, à lafigure intelligente, au regard quelque peu sournois, et quiparaissait se soucier comme d’une guigne d’être enfermé àNewgate.

– Dick, lui dit sir Robert, qui prit sonair le plus majestueux, savez-vous l’indou ?

– Comme l’anglais, Votre Honneur.

– Et le javanais ?

– Parfaitement.

– Eh bien, il s’agit de comprendre ce quedisent ces deux gentlemen.

Dick regarda tour à tour Marmouset etRocambole.

Rocambole lui dit :

– Te plaisais-tu beaucoup dansl’Inde ?

– Non, répondit Dick.

– Pourquoi ?

– Parce que je suis né voleur et nonmatelot, et que les voleurs indiens sont bien plus habiles quenous.

– Que dites-vous donc ? fit sirRobert M…

– Votre Honneur, répondit Dick, legentleman me demande si je me plaisais dans l’Inde ?

– Alors, tu comprends ce qu’ildit ?

– Parfaitement.

– Tu peux t’en aller, Dick.

Et sir Robert M… fit un signe à master Dixon,qui emmena le prisonnier.

Alors le gouverneur dit à Rocambole :

– Vous feriez beaucoup mieux, gentleman,de faire des aveux.

– Ah ! ah !

– De nous dire votre véritable nom, defaçon que vous puissiez passer devant le jury.

– Et me voir condamner à mort, n’est-cepas ?

– Qui sait ? fit sir Robert M… avecson gros rire, la clémence de la reine s’étendra peut-être survous.

– La clémence de la reine ?

– Oui.

– Bon ! je connais cela. La reinefait grâce ?

– Très souvent.

– Mais le secrétaire d’État audépartement de la justice ne ratifie pas l’acte de clémence, et onest pendu tout de même. Merci bien, Votre Honneur !

Sir Robert M… dit encore :

– Vous êtes dans votre droit de défendrevotre vie comme vous l’entendez. Bonsoir, gentleman.

– Hé ! monsieur le gouverneur !dit Marmouset.

– Qu’est-ce donc ? demanda sirRobert.

– M’accorderez-vous une minute ?

– Parlez.

– Votre Honneur est convaincu que je menomme Rocambole ?

– J’en doutais ce matin.

– Ah !

– Mais ce soir je ne doute plus.

– Fort bien. Alors Votre Honneur mepermettra une supposition.

– Voyons ?

– Admettons un moment que je ne sois pasRocambole.

– Soit, admettons-le.

– Que, tout au contraire, je sois unparfait gentleman français ?

– Eh bien ?

– Qui n’a commis ni crime ni délit, quivoyageait en Angleterre pour son plaisir, et que son ambassadeurréclame et fait mettre en liberté.

– Oh ! je n’ai pas peur de cela.

– Soit. Mais enfin, puisque noussupposons.

– Eh bien, gentleman, après ? dit legouverneur.

– Un joli procès, Votre Honneur.

– Peuh !

– De beaux dommages-intérêts, qui serontsupportés moitié par le lord-chief et moitié par vous.

– Mais non pas, dit sir Robert M…vivement, je suis geôlier, moi, et pas autre chose.

– Vous vous trompez, monsieur legouverneur ; car en acceptant la garde d’un prisonnier sansvous être assuré de son identité…

– Oh ! je suis parfaitementconvaincu.

– Qui vivra verra ! dit Marmouset enriant d’un air si franc et si moqueur que sir Robert M… sentit unepetite sueur froide perler à son front.

– Oui, nous verrons bien ! dit-ilbrusquement.

Et il s’en alla, tandis que Rocambole etMarmouset continuaient à rire de bon cœur.

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