Rocambole – En prison

Chapitre 18

 

 

C’était bien, en effet, le premier secrétaired’ambassade, à qui Marmouset avait écrit, qui se présentait àNewgate à cette heure matinale.

Il pouvait être alors quatre heures dumatin.

À Londres, on vit la nuit presque autant quele jour.

C’est le soir que siège le Parlement.

C’est à minuit que le peuple envahit lestavernes et que les gens de haute vie fréquentent les clubs.

Fidèle aux instructions de Marmouset, Milon nes’était présenté que fort tard, le soir, à l’ambassade deFrance.

Le premier secrétaire était au bal.

– Je l’attendrai, avait dit Milon.

À deux heures du matin, un huissier avait ditau colosse :

– Si vous voulez absolument voirM. le premier secrétaire, allez dans Pal Mal au West-IndiaClub, vous l’y trouverez.

Milon avait couru à West-India.

Un des laquais du club lui dit qu’en effet lepremier secrétaire de l’ambassade de France faisait partie du club,mais qu’il n’y venait jamais avant deux ou trois heures dumatin.

Milon attendit patiemment.

Enfin, le haut personnage arriva.

Alors Milon lui remit la lettre de Marmousetet joua son rôle en conscience.

Marmouset était depuis six ans sihonorablement connu dans le monde élégant de Paris, que la penséem’aurait pu venir à personne qu’il se fût fait mettre à Newgate envue de quelque projet ténébreux.

Le premier secrétaire témoigna donc unevéritable indignation.

Il demanda sa voiture sur-le-champ, fit monterMilon à côté de lui et se rendit en toute hâte à Newgate.

À pareille heure on ne pénètre pas dans uneprison.

Mais le premier secrétaire parla si haut, avecune telle autorité, menaçant de l’intervention de l’ambassadeur,que le portier-consigne se décida à aller chercher master Dixon, legardien chef.

Celui-ci accourut.

– Vous avez un Français ici ? dit lesecrétaire.

– Nous en avons plusieurs.

– Mais vous en avez un qui a été arrêtédans le Strand, à l’hôtel des Trois-Couronnes ?

– Oui, c’est un malfaiteur des plusdangereux.

Le premier secrétaire se mit à rire.

– Un homme du nom de Rocambole ?

– Vous êtes un niais ! répliqua lepremier secrétaire.

L’homme qu’on a arrêté et que vous détenez enprison est un parfait gentleman de mes amis, dont je répondscomplètement, et que vous allez faire sortir sur-le-champ.

– Mais, monsieur, avait dit master Dixontout bouleversé, je ne suis pas le gouverneur.

– Eh bien ! allez chercher legouverneur.

– À cette heure ?

– Mais sans doute. S’il est couché, il selèvera. Faut-il vous répéter que je suis le premier secrétaire del’ambassade de France !

Master Dixon, pris d’une salutaire terreur,était arrivé en toute hâte, comme on l’a vu, dans le cabinet de sirRobert M…

Et sir Robert M… s’était laissé tomber commefoudroyé sur un siège.

Mais, le premier secrétaire ayant suivi legardien chef, il était entré presque aussitôt.

Alors le bon et jovial gouverneur, qui,certes, ne riait pas en ce moment, s’était levé en balbutiant etbaissant les yeux sous le regard irrité du premier secrétaired’ambassade.

– Monsieur le gouverneur, avait ditcelui-ci, sans faire attention aux trois savants, je viens vousprier de faire mettre en liberté, sur-le-champ, un de mes bons amisqui est ici la victime d’une erreur.

– Monsieur, balbutia sir Robert M… d’unevoix étouffée, n’auriez-vous pas été plutôt induit en erreurvous-même ?

Le premier secrétaire haussa les épaules.

– On m’a amené ici un Français du nom deRocambole, poursuivit sir Robert M…

– Mais, mon cher monsieur, dit froidementle secrétaire d’ambassade, si vous croyez qu’il y a une erreur dema part et non une bévue de la police, il y a un moyen bien simpled’éclaircir la chose.

– Lequel ? dit le gouverneur, quiperdait littéralement la tête.

– C’est de me montrer votreprisonnier.

Sir Robert M… se rattacha à un dernierespoir.

Il était impossible qu’un homme si haut placéque le secrétaire d’ambassade connût un malfaiteur.

Or, pour sir Robert M…, un homme qui parlaitune langue mystérieuse et s’entretenait pendant toute la nuit avecun bandit comme l’homme gris, ne pouvait être qu’un malfaiteur qui,peut-être, avait volé les papiers d’un gentleman, et se réclamait,au nom de ce gentleman, à l’ambassade de France.

Sir Robert M… accepta donc avec empressementla proposition qui lui était faite.

– Venez ! monsieur, venez !dit-il.

Et il se précipita le premier hors de soncabinet.

Master Dixon ouvrit la formidable porte de ferqui sépare le greffe et les appartements du gouverneur del’intérieur proprement dit de la prison.

Les deux professeurs de langues orientales etle midshipman qui avait vécu parmi les sauvages de l’Océaniesuivirent sir Robert M… et le premier secrétaire del’ambassade.

Milon demeura au greffe.

Il y avait une émotion terrible et suprême queredoutait le colosse.

Il craignait de voir Rocambole et de setrahir.

Marmouset lui avait bien recommandé de ne passe montrer.

Quand la porte de la cellule où le vrai et lefaux Rocambole étaient enfermés se fut ouverte, Marmouset jeta uncri de joie.

Et se levant de son lit, sur lequel il étaitcouché tout vêtu, il se précipita vers le premier secrétaire.

– Oh ! cher ami, dit celui-ci, envérité, je suis indigné de ce qui vous arrive.

– Ah ! dit Marmouset en riant, je neme suis pas trop ennuyé.

Rocambole était impassible.

– Et puis, dit Rocambole, ce brave hommeet moi, nous nous sommes un peu moqués de sir Robert M…

– Vous vous êtes moqués de moi ?…balbutia le gentleman.

– Eh ! sans doute, chermonsieur.

Sir Marmouset, regardant Rocambole, ditencore :

– Monsieur est Français. Pourquoi est-ilici ? Je l’ignore. Vous avez absolument voulu que je fusse sonami et complice. Alors je lui ai proposé une petite comédie, et ilm’a donné la réplique.

Monsieur est un gentleman et un hommed’éducation.

Il a peut-être commis des crimes, mais ilparle merveilleusement le javanais.

– Une langue infernale ! dit sirRobert M…

– Une langue charmante, dont je vousdonnerai la clef, mon cher gouverneur.

Mais le premier secrétaire d’ambassade fit,sur ces mots, un geste d’adieu à Rocambole, et dit àMarmouset :

– Mon cher ami, venez ; on vous doitune réparation, et je vous jure qu’elle sera éclatante !…

*

**

Une demi-heure après, Marmouset quittaitNewgate, laissant sir Robert M… en proie aux plus vivesangoisses.

Car enfin Marmouset pouvait demander une forteindemnité, et le jury ne se priverait pas de se montrer sévèreenvers un gouverneur aussi léger dans sa conduite.

Et sir Robert M… n’était pas riche…

Et il était père de famille.

Quant à Rocambole, il s’était couchétranquillement et n’avait pas tardé à s’endormir.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer