Rocambole – En prison

Chapitre 26

 

 

Cependant Milon, en rentrant chez lui, avaittrouvé la lettre de Marmouset au lieu de le rencontrerlui-même.

Il avait lu cette lettre avant de monter dansson bureau, ce qui fit qu’il put réfléchir quelques minutes.

– Marmouset a raison, pensa-t-il.

Dès lors il fallait constater le vol et fairegrand tapage.

Milon n’avait pas revu ses contremaîtres, àqui il avait donné rendez-vous, ce qui fit que, n’ayant pas étécontre-mandés, ils arrivèrent à l’heure dite, c’est-à-dire commequatre heures sonnaient.

Milon s’était arrêté au rez-de-chaussée de lamaison et paraissait s’étonner beaucoup de la lettre de l’Anglaiset de son impatience.

La servante lui disait qu’elle avait essayévainement de le retenir.

Enfin, les deux contremaîtres étant arrivés,Milon leur dit :

– Un drôle d’homme que cet Anglais !parce que je suis en retard d’un quart d’heure, il dit que je luimanque de respect.

– Il ne reviendra pas…

– Je m’en moque, dit encore Milon ;j’ai plus d’affaires que je n’en peux faire.

Et il ajouta :

– Je vous avais fait venir pour voir leterrain dont je lui avais parlé ; ça fait que je n’ai plusbesoin de vous. Ah ! si fait ! montez tout de même…

Milon, comme on le voit, voulait jouer sapetite scène avec le plus de naturel possible.

– Je vais vous donner les plans durez-de-chaussée de la maison de la rue Réaumur, dit-il.

Les deux contremaîtres le suivirent. Milongravit l’escalier, traversa le premier bureau, poussa la porte dela caisse et jeta un cri.

Ce cri fut si naturellement poussé que lesdeux maîtres compagnons accoururent.

Milon était bouche béante, bras ballants,stupéfait devant sa caisse ouverte.

– Volé ! dit-il enfin. Il m’a volécent mille francs !

Son air lamentable fut si naturel que les deuxcontremaîtres ne soupçonnèrent pas un seul instant la vérité.

La servante était accourue au cri de sonmaître. À la vue de la caisse ouverte, elle s’écria :

– Eh bien ! il est joli sonmilord ! Ce n’est qu’un filou !

Milon s’élança au dehors.

– Depuis quand est-il parti ?disait-il.

– Depuis un quart d’heure.

– Par où ?

– Il était en voiture et il est remontévers les Champs-Élysées.

– En fiacre ?

– Oui, mais je n’ai pas regardé lenuméro, je n’ai remarqué que le cocher.

– Le reconnaîtrais-tu ?

– Pardine !

Milon se précipita au dehors. La servante etles deux contremaîtres le suivaient.

La journée avait été belle, et les voituresretour du bois étaient pressées dans les Champs-Élysées comme untroupeau de moutons.

– Une aiguille dans une botte defoin ! murmura Milon qui parut pris d’un vrai désespoir.

– Patron ! dit un des contremaîtres,il faut aller chez le commissaire ; c’est le plus court.

– Oui, dit Milon, et vous allez veniravec moi tous les trois.

Le commissaire de police du quartier a sonbureau rue de Ponthieu.

C’est là que Milon, ses deux contremaîtres etsa servante se présentèrent.

Milon était, du reste, personnellement connude ce magistrat.

Il fit sa déclaration : sescontremaîtres, sa servante donnèrent le signalement exact duprétendu lord, et le commissaire leur dit :

– Je vais transmettre votre plainte à lapréfecture.

En ce moment, je crois qu’on a sous la main unou deux agents de police anglais.

– Ah ! fit Milon étonné.

– Mais, ajouta le magistrat, la policeanglaise ne se fait pas gratuitement.

– Ah ! répondit Milon, je donneraivingt-cinq mille francs s’il le faut.

Le commissaire ne se contenta point de sadéposition verbale, il commença une enquête et se transporta chezMilon ; la serrure de la caisse ne portait aucune traced’effraction.

Par conséquent, le voleur l’avait ouverte avecune clef et une clef fabriquée en Angleterre comme la caisse.

– Il est probable, dit le commissaire depolice en se retirant, que vous serez invité à passer dès demainmatin à la préfecture.

– J’irai, dit Milon.

Et il s’enferma dans son bureau, comme unhomme qui ne prend pas facilement son parti d’avoir été volé.

Mais, une fois seul, le calme revint sur sonvisage bouleversé, et ses bonnes grosses lèvres s’arquèrent en unsourire qui visait à la malice.

– On dit toujours que je suis unimbécile, murmura-t-il, et il y a même des jours où je le crois,mais il n’est pas moins vrai que j’ai enfoncé aujourd’hui uncommissaire, ni plus ni moins que si j’étais Rocambolelui-même.

Et Milon, fort satisfait, se mit à faire sescomptes.

Tout à coup on frappa vivement à la porte, etla servante entra.

– Ah ! patron, dit-elle, en voilàbien d’une autre !

– Qu’est-ce qu’il y a ? demandaMilon.

– Un autre Anglais qui se présente.

– Un autre ?

– Oui.

– Ah ! c’est juste, dit Milon, quipensa à Shoking. Un pauvre diable.

– Mais non, il est mis comme unbourgeois.

– Avec une femme et un petitgarçon ?

– Non, il est seul, il pleure, et il al’air comme un fou. C’est encore une couleur, patron,méfiez-vous !

Milon descendit.

Il aperçut Shoking, tout de noir vêtu, quis’était laissé tomber sur un banc dans le vestibule et qui pleuraità chaudes larmes :

– Ah ! disait-il en anglais, Jennyest partie, et Ralph aussi…

– Que chantes-tu là ? demandaMilon.

Et il se fit raconter ce qui s’étaitpassé.

Shoking ne savait que deux choses ; lapremière, c’est qu’il avait été grisé par un gentleman ;

La seconde, c’est que l’Irlandaise et son filsavaient disparu, emmenés par un autre Anglais.

– Ah ! ma foi ! pensa Milon,ceci est beaucoup trop compliqué pour moi. Il n’y a que Marmousetqui puisse éclaircir cette affaire.

Il laissa Shoking chez lui, le recommandant àsa servante, se jeta dans une voiture et se fit conduire rueAuber.

Marmouset, redevenu lui-même, venait derentrer.

Il écouta jusqu’au bout et sans mot dire lerécit de Milon.

Puis, quand Milon eut fini, un sourire luivint aux lèvres.

– Et te voilà bien embarrassé ?dit-il.

– Dame !

– Les gens qui ont enlevé la mère etl’enfant, cela est certain, reprit Marmouset, sont les mêmes quiont fait disparaître miss Ellen.

– Vous croyez ?

– J’en suis sûr. Et comme nous sommes entrain de leur tendre un piège, acheva froidement Marmouset, cela nenous coûtera pas plus, quand nous les tiendrons, de leur reprendrel’Irlandaise et son fils en même temps que miss Ellen.

– Vrai, s’écria Milon, vous avez le géniedu maître, Marmouset.

– Je ne sais pas, répondit modestementl’élève de Rocambole, mais je suis au moins un peu plus fort quetoi, qui te noyes toujours dans un verre d’eau.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer