Rocambole – En prison

Chapitre 41

 

 

L’échelle attachée, Marmouset dit augouverneur :

– Cela n’a plus rien de bien curieux pourvous, n’est-ce pas ?

– Assurément non, répondit sirRobert.

– Je vous dispense donc de me suivre.

– Mais…

– Donnez-moi seulement de quoi yvoir.

Et Marmouset prit des mains de l’un desgardiens la lanterne qu’il portait ; puis il mit le pied surl’échelle, après avoir enjambé la margelle de l’oubliette.

Marmouset était leste et adroit comme unenfant de Paris ; il avait été fumiste dans sa premièrejeunesse, il savait marcher sur le bord d’un toit ; à plusforte raison, se laisser glisser au bout d’une corde.

Descendre échelon par échelon lui parutoiseux.

– Ce sera bon pour remonter ! sedit-il.

Et il se laissa couler le long de la doublecorde, se maintenant d’une main et tenant de l’autre lalanterne.

Aussi, en quelques secondes, eut-il touché lefond du puits.

Alors, il leva la tête et vit sir Robert M…qui se penchait sur la margelle.

– Examinez bien la porte, lui criait lebon gouverneur.

– Mais puisque vous l’avezmurée !

– Non, pas tout entière.

– Ah !

– On a laissé un trou dans le mur.Passez-y votre lanterne. Bon ! c’est bien cela…

– Ce brave homme, murmurait Marmouset ensouriant, est d’une complaisance extrême.

Et il posa sa lanterne sur le bord de labrèche pratiquée dans le mur et de l’autre côté de laquelle onapercevait la porte de fer forgé.

– La voyez-vous ? cria encore sirRobert.

– Oui, oui ! elle est très curieusecomme travail.

– N’est-ce pas ? et elle a lasonorité de l’airain. Frappez donc dessus !

– Mais cet homme est mon complice sanss’en douter ! pensa encore Marmouset.

Et passant le poing à travers la brèche, ilfrappa trois coups qui retentirent bruyamment.

– C’est là ce que je voulais, se ditMarmouset.

Et il remonta presque aussi lestement qu’ilétait descendu.

– Et l’autre oubliette, a-t-elle uneporte ? demanda-t-il.

– Non, aucune.

– Ah ! Eh bien ! milord, voyonsla prison proprement dite maintenant.

Marmouset se disait en remontant des caves aurez-de-chaussée :

– Nous jouerions joliment de malheur sila porte sur laquelle j’ai frappé trois coups n’était pas celle queje crois.

Vanda marchait auprès de lui.

Sir Robert M… avait retrouvé toute sa bellehumeur. Il avait un si grand plaisir à montrer sa prison endétail ! Pour lui, Newgate était une prison modèle, un amourde prison, à ce point, disait-il, que lorsqu’un prisonnier s’enallait, c’était toujours les larmes aux yeux.

À quoi Marmouset lui dit en riant :

– Il regrette d’autant plus Newgate quegénéralement il en sort pour être pendu.

– Oh ! pas toujours, dit sir RobertM…

Vanda parut s’intéresser vivement à tout cequ’elle voyait ; mais elle ne cherchait cependant qu’une chosedu regard à mesure qu’ils parcouraient les longs corridors surlesquels donnaient les portes des cellules ; c’était la portede la cellule occupée par Rocambole.

Tout à coup, Marmouset lui toucha légèrementl’épaule :

– C’est là, dit-il.

Vanda tressaillit, mais son visage ne trahitaucune émotion.

D’ailleurs, sir Robert M… n’avait vu ni legeste ni entendu les paroles de Marmouset.

En une heure et demie on a visité toutNewgate.

Sir Robert M… ne leur fit grâce de rien, dureste, depuis la cage aux oiseaux jusqu’à la salle de lacour d’assises, depuis le bureau du greffe, où l’on conserve lemasque en plâtre des suppliciés, jusqu’à la cuisine, qui est ladernière station que fait le condamné à mort en quittant la prisonpour aller au supplice.

À quatre heures, Marmouset et Vanda étaient deretour au logis du gouverneur, – et Marmouset, confiant à mistressRobert et à ses filles celle qu’il leur avait donnée comme safemme, prétextait le besoin d’une course importante et sortait deNewgate.

Milon était sur la porte de sa boutique del’autre côté d’Old-Bailey.

Marmouset lui fit un signe et continua àdescendre vers Fleet street.

Milon quitta nonchalamment le seuil de laboutique et prit la même direction.

Au coin de Fleet street, ils jugèrent qu’ilsétaient assez loin de Newgate pour s’aborder sans être vus par ungardien ou une personne quelconque appartenant au service de laprison.

– Eh bien ? dit Milon, qu’est-cequ’il y a de nouveau ?

– C’est à toi que j’ai la même question àfaire.

– Mais depuis que vous êtes partis, cematin, tout est dans le même état.

– Ah ! dit Marmouset qui fronça lesourcil. Et Polyte ?

– Il est toujours à l’endroit où vousl’avez placé.

– Et tu ne l’as pas revu depuis cematin ?

– C’est-à-dire que je suis descendu versdeux heures.

– Bon !

– Et que je lui ai porté de quoiluncher.

– Et tu ne l’as pas revudepuis ?

– Non.

Le front assombri de Marmouset se dérida.

– Alors, retournons chez toi, dit-il.Seulement, laisse-moi prendre mes précautions.

Un cab passait à vide.

Marmouset appela le cabman et passa.

– Va m’attendre, dit-il à Milon.

Grâce au cab, Marmouset put se glisser dans laboutique d’épicerie sans être vu de Newgate.

Mineurs pendant la nuit, les compagnons deMilon étaient sérieusement épiciers pendant le jour.

Ils allaient et venaient par la boutique,servaient les clients et obéissaient à Pauline, la jolie dame decomptoir.

Marmouset et Milon prirent le chemin de lacave.

– Je ne sais pas pourquoi, disait Milon,vous avez mis Polyte en sentinelle là-bas. Que voulez-vous qu’ilentende ?

Marmouset ne répondit pas.

Comme ils traversaient la petite sallesouterraine et s’apprêtaient à entrer dans le dernier boyau quiconduisait à la porte de fer mise à découvert, ils virent Polytequi accourait à leur rencontre.

Grâce à la lanterne que portait Milon, Polyteavait reconnu Marmouset, qu’il considérait comme son chef defile.

– Eh bien ? dit celui-ci.

– Nous ne sommes pas seuls dans cessouterrains ! dit Polyte ému.

– Ah bah !

– Il y a du monde de l’autre côté de laporte de fer.

– Qu’en sais-tu ?

– J’ai entendu frapper trois coups.

– Rassure-toi, c’est moi qui les aifrappés.

– Vous !

– Oui, j’étais de l’autre côté.

– Par où avez-vous donc passé ?demanda Milon non moins étonné.

– Par le chemin que Rocambole suivrademain répondit Marmouset. L’heure de la délivranceapproche !

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