Rocambole – En prison

Chapitre 8

 

 

Donc, tandis que le détective Edward partaitpour Calais, d’où il devait se rendre à Londres, Marmouset s’étaitembarqué avec Vanda et miss Ellen à Boulogne, était débarqué àFolkestone et avait aussitôt repris le train de Londres.

Milon avait expédié ses autres compagnons parun précédant paquebot.

On le sait, Milon, Marmouset et Vandaconnaissaient Londres admirablement et tous trois parlaientanglais.

À partir du moment où ils avaient mis le piedsur le paquebot, il avait été convenu que Vanda et miss Ellen d’unepart, Marmouset et Milon de l’autre, ne se parleraient plus etqu’ils voyageraient en deux groupes.

À Folkestone, Vanda et miss Ellen qui passaitpour sa femme de chambre et qui s’était si bien embéguinée sous unecoiffe normande que lord Palmure lui-même n’eût pu reconnaître safille, Vanda et miss Ellen, disons-nous, montèrent dans lecompartiment réservé aux dames.

Milon, en quittant Boulogne, avait bravementendossé une belle livrée.

Quand ils arrivèrent à Londres, Vanda et missEllen descendirent à la gare de Cannons’street ; Marmouset etMilon demeurèrent dans le train, qui repassa la Tamise deux foisavant d’arriver à Charing-Cross.

Vanda devait aller loger dans une maison defamille située dans la Cité, auprès du Post Office.

Marmouset et Milon, au contraire, s’enallèrent dans le Strand, à l’hôtel des Trois-Couronnes.

En débarquant sur le quai de la gare,Marmouset avait compilé sept ou huit policemen.

– C’est pour nous, avait-il dit àMilon.

– Déjà ?

Et Milon avait eu un geste d’effroi.

Mais Marmouset avait un air si britannique, ildonna des ordres à Milon en anglais si pur, qu’en dépit de sesmoustaches noires, les policemen le prirent pour un parfaitgentleman des environs de Londres.

D’ailleurs, l’homme qu’ils avaient mission derechercher ne voyageait-il pas avec une femme ?

Marmouset poussa même l’aplomb jusqu’às’adresser à l’un d’eux pour le prier de lui faire avancer uncab.

– Ah çà ! maintenant, dit Milon,quand ils furent installés dans le parloir des Trois-Couronnes,qu’allons-nous faire ?

– Souper, dit Marmouset.

– Et puis ?

– Et puis nous coucher.

– Et demain ?

– Demain, nous nous promènerons ;nous lirons les gazettes ; nous regarderons les femmes qui sepromènent dans les parcs.

– Nous n’irons pas voir Vanda ?

– Non, pas avant d’avoir revu Edward.

– Ah ! c’est juste. Vous lui avezdonné rendez-vous à Evans Tavern demain soir ?

– Oui, fit Marmouset. Et tant que je nel’aurai pas vu, mous ne pouvons rien faire.

– Pas même réveiller ce pauvre sir JamesWood, qui dort depuis deux jours au fond d’une caisse, et que nousavons nourri, à Boulogne, en lui introduisant du bouillon par lenez.

– Oh ! si fait, dit Marmouset, nouspouvons le faire revenir à lui ! ce soir même.

– Et qu’en ferons-nous ?

– Nous lui donnerons la libertéprovisoirement.

– Oui, dit Milon, pour qu’il noustrahisse.

– Il aurait pu nous trahir à Paris ;mais… à Londres… la chose est tout à fait impossible.

– Pourquoi ?

– Parce qu’il est maintenant, grâce à lalettre que j’ai écrite à l’abbé Samuel, complètement à la merci desfenians.

Comme Marmouset disait cela, un homme entradans le parloir.

C’était un gentleman qui paraissait arriver devoyage.

– Dieu vous garde, gentleman !dit-il.

Et il vint s’asseoir à la table sur laquelleon avait servi aux deux Français du roastbeef et un pot de paleale.

Marmouset n’était pas fénian, comme on lepense bien, mais il avait écrit à l’abbé Samuel en prenant le titred’ami de l’homme gris.

Le gentleman qui vint s’asseoir auprès de luiprit alors la parole en français.

– Vous êtes celui que l’abbé Samuelattend, n’est-ce pas ?

– Peut-être ! dit Marmouset.

Le gentleman tira de sa poche un papier.

C’était une lettre du prêtre irlandais.

– Fort bien ! dit Marmouset.

– Vous pensez bien que nous vousattendons avec impatience, reprit le gentleman.

Un de nous était à Cannons’street, l’autre àLondon-Bridge, moi à Charing-Cross.

Si on n’a pas visité vos bagages à la douanede cette dernière gare, c’est que l’un des nôtres est parmi lesdouaniers.

– Ah ! ah ! dit Marmouset.

Puis regardant le gentleman :

– Vous êtes des gens bien informés,dit-il.

– Nous avions envoyé deux des nôtres,l’un à Calais, l’autre à Boulogne. Une dépêche, en termesincompréhensibles pour d’autres que pour nous, nous a informés quevous nous ameniez le traître, plongé en léthargie dans unecaisse.

– C’est parfaitement exact.

– Et je viens le chercher.

Marmouset fronça le sourcil.

– L’abbé Samuel ne compte-t-il donc pastenir la parole qu’il m’a donnée ? fit-il.

– L’abbé Samuel n’a jamais manqué à saparole.

– Alors, que voulez-vous faire de sirJames ?

– Nous assurer de lui ; mais, soyeztranquille ; on ne lui fera aucun mal.

– Et le tiendra-t-on à madisposition ?

– Parfaitement.

– C’est bien, dit Marmouset.Permettez-nous de souper, puis nous monterons dans notre chambre,où nous vous livrerons notre prisonnier.

– Avez-vous un moyen prompt de l’arracherà sa léthargie ?

– Ce sera l’affaire d’une minute.

Marmouset et Milon soupèrent en compagnie dugentleman.

Ils avaient causé si familièrement tous troisque les gens de l’hôtel des Trois-Couronnes s’imaginèrent que letroisième voyageur connaissait les deux premiers de longue date etqu’ils ne firent aucune difficulté de donner, à celui-ci unechambre voisine de celle de Marmouset.

Alors le fenian rejoignit Marmouset ets’enferma avec lui et Milon.

La fameuse caisse dans laquelle on avaitménagé des trous pour que sir James Wood ne fût pas asphyxié, futouverte.

Le détective était à l’état de cadavre.

Milon, qui était robuste, le prit dans sasbras et le porta sur un lit.

Puis Marmouset déboucha une petite fiole etversa quelques gouttes d’une liqueur verte qu’elle contenait surles lèvres serrées du prétendu mort.

Soudain un tressaillement parcourut ce corpsinerte jusque-là ; les yeux s’écarquillèrent violemment et leslèvres s’ouvrirent.

Marmouset versa quelques gouttes encore quipénétrèrent dans la bouche.

Et aussitôt sir James se leva.

Puis regardant le gentleman, il jeta un crid’effroi.

– Ah ! fit celui-ci avec flegme, jevois que tu me reconnais…

Sir James s’était pris à trembler de tous sesmembres.

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