Rocambole – En prison

Chapitre 55

 

 

Qui donc frappait au nom de la loi ?

Évidemment ce ne pouvait être que lecommissaire de police, et nous allons voir comment il avait étéprévenu.

On s’en souvient, quand Polyte eut rendul’enfant à sa mère, il s’affaissa sur une chaise et perditconnaissance.

Alors sa mère jeta un cri et se précipita surlui.

Mais Pauline se remit :

– Ne craignez rien, madame,dit-elle ; sa blessure est légère.

– Il est donc blessé ? s’écria laportière.

– Oui.

– Comment ? par qui ? Ah !mon Dieu !

– C’est le charbonnier qui lui a donné uncoup de couteau.

L’Irlandaise n’entendait que quelques mots defrançais ; mais la pantomime que Pauline ajoutait à son récitétait si expressive, que rien ne lui échappa.

On coucha Polyte, on le déshabilla, on lui fitrespirer du vinaigre, ce sel anglais des pauvres gens, et il netarda pas à rouvrir les yeux.

Alors un sourire éclaira son visagepâle :

– C’est bon tout de même, dit-il, defaire son devoir une fois dans sa vie.

Il regarda sa mère anxieuse et les yeux pleinsde larmes, il vit l’Irlandaise qui pressait son fils sur son cœur,il leva sur la petite blanchisseuse un regard de reconnaissance et,prenant la main de la petite fille, il la mit dans la main de samère en lui disant :

– Regarde-la bien ; sans elle, jeserais peut-être mort.

Une bourgeoise aurait accueilli la grisetteavec une froide réserve ; mais la mère de Polyte était dupeuple, et le peuple a de nobles sentiments.

Elle prit la jeune fille dans ses bras et luidit :

– Je ne sais pas qui tu es, mais je medoute bien que tu es la bonne amie de mon garçon, et tu es gentilleà croquer, mon petit amour, et aussi vrai que je m’appelle la mèreVincent, s’il veut t’épouser, ce n’est pas moi qui refuserai monconsentement.

– Hé, dit Polyte, à qui sa bonne humeurde gamin de Paris revint, te voilà Mme Vincent,Pauline. C’est comme si le maire avec son écharpe et le curé avecson étole y avaient passé.

Cette première émotion calmée, Polyte dit à samère :

– Maintenant, maman, il s’agit d’êtresérieux – et de ne pas faire des bêtises, hein ? c’est grave,ce que je vous dis là.

– Je te promets que je tiendrai malangue, répondit la portière.

– Bien vrai ?

– Foi de mère Vincent. Veux-tu que je lejure sur la mémoire de ton pauvre père ?

– Non, je vous crois, maman.

Alors Polyte organisa un véritable plan decampagne.

Il était évident que Chapparot, croyantl’avoir tué, ne rentrerait pas cette nuit-là.

Et Polyte disait :

– Ce n’est pas la peine de mettre lapolice sur pied par avance, il vaut mieux attendre qu’ilrevienne.

Pauline partagea cet avis.

La mère Vincent reconduisit la jeune fillechez sa mère, et quand elle quitta Polyte, il fut convenu qu’elleirait dès le lendemain matin à sa boutique, comme à l’ordinaire, etne soufflerait mot de rien à ses camarades de l’atelier.

La mère de Pauline, qui était ouvreuse dans unthéâtre, n’était pas rentrée encore.

Pauline n’eut donc aucune explication à luidonner.

La nuit s’écoula. Le lendemain, vers neufheures du matin. Polyte, tout à fait remis, reçut la visite dePauline.

Sa patronne avait envoyé la jeune fille porterun paquet de linge, et elle en avait profité pour entrer chez lamère Vincent.

Pauline venait de lui apprendre que Chapparotétait revenu.

Polyte répondit :

– C’est bien, on le pincera ce soir.

En effet, vers six heures, comme lecharbonnier s’en allait à son cabaret prendre son repas, Polytealla chez son ancien patron, le commissaire de Belleville, quiavait eu de l’avancement et qu’on avait envoyé dans Paris, rue duChemin-Vert.

Le commissaire avait renvoyé Polyte parcequ’il était paresseux ; mais il avait eu plusieurs foisl’occasion d’apprécier son intelligence et sa sagacité.

Or, Polyte lui venait faire une déposition sinette et si précise que le commissaire ne douta pas une minute del’exactitude scrupuleuse de ses renseignements.

Après quoi il donna des ordres enconséquence.

À partir de ce moment le charbonnier futsurveillé. On le suivit quand il alla prendre son repas ; onle vit rentrer chez lui, et si son arrestation n’avait pas étéopérée immédiatement, c’est que Polyte avait demandé qu’elle se fitla nuit, afin que ni lui ni Pauline, décidés qu’ils étaient à semarier, ne fussent compromis par un esclandre.

Donc, tandis que Chapparot racontait naïvementses forfaits, les fameux mots « Ouvrez, au nom de laloi ! » s’étaient fait entendre.

Et Chapparot était devenu tout tremblant,levant sur ces deux hommes qu’il considérait déjà comme ses deuxcomplices, un regard suppliant.

Mais Marmouset changea soudain d’attitude etdit sèchement :

– Eh bien ! tu ne vas pas attendreque le commissaire fasse enfoncer la porte ? tu vas allerouvrir, j’imagine ?

– Mais, balbutia Chapparot, on vientm’arrêter !

– C’est probable.

– Sauvez-moi, vous !

Marmouset se mit à rire.

– Mon bonhomme, dit-il, ce n’est pas nousqui avons averti la police ; nous avons coutume de fairenous-mêmes nos petites affaires ; mais du moment où un autret’a dénoncé, si on vient te pincer, ce n’est pas nous qui nous yopposerons.

Et comme on frappait, pour la seconde fois,Jean le Boucher alla ouvrir.

Le commissaire, ceint de son écharpe, entrasuivi de deux agents et d’un troisième personnage que Chapparotreconnut.

C’était Polyte.

Le commissaire alla droit au charbonnier etlui dit :

– Au nom de la loi, je vousarrête !

Chapparot, le féroce Auvergnat, étaittellement anéanti par cette apparition qu’il ne songea même pas àopposer la moindre résistance.

Les deux agents s’emparèrent de lui et lefouillèrent.

Il avait un couteau sur lui, on le luiprit.

Alors le commissaire, regardant Marmouset etJean le Boucher :

– Qui êtes-vous donc, messieurs ?fit-il vivement.

Jean répondit le premier :

– Je m’appelle Jean et je suis boucher àPassy, rue du Télégraphe.

– Et vous, monsieur ? fit polimentle commissaire en s’adressant à Marmouset.

– Monsieur le commissaire, répondit cedernier, je suis M. Peytavin, rentier, demeurant rue Auber,n° 1.

Et il tira sa carte de sa poche.

– Ah ! fit le commissaire étonné,pourquoi donc êtes-vous ici ?

– Monsieur le commissaire, réponditMarmouset, nous sommes venus demander à cet homme des nouvellesd’une femme qu’il a tenté d’assassiner et d’un enfant qu’il aséquestré.

Mais comme Marmouset disait cela, Polytes’écria :

– Rassurez-vous monsieur, la mère etl’enfant se portent bien, et je puis vous en donner desnouvelles.

Alors Marmouset regarda Polyte, qui souriaitet dont le regard brillait d’intelligence.

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