Rocambole – En prison

Chapitre 27

 

 

Tandis que miss Ellen s’éloignait au bras del’abbé Samuel, Marmouset se mettait à la recherche de William lematelot, l’homme que Betsy aimait avec fanatisme, l’hercule enfinqui s’était mesuré avec l’homme gris et avait été vaincu parlui.

William était un hôte habituel des mauvaislieux du Wapping.

On le trouvait dans la taverne du Cheval Noir,à partir de minuit, ou, avant cette heure-là, au bal Wilson. Puis,à quatre ou cinq heures du matin, Betsy et lui s’en allaient mangerdes huîtres et des coquillages dans la rue de la Poissonnerie, toutauprès du monument, comme les Anglais appellent la colonnecommémorative du grand incendie de Londres.

Pourquoi Marmouset voulait-il trouverWilliam ?

C’est ce que sa conversation avec lui nousapprendra.

Marmouset s’en alla donc au bal Wilson.

Il y avait à la porte deux Irlandaises enhaillons et belles comme des anges, qui, voyant un homme bien mis,un gentleman, s’accrochèrent à lui aussitôt.

– Paye-nous un verre de sherry, ditl’une.

– Volontiers, dit Marmouset.

Et il entra dans le bal, flanqué des deuxIrlandaises.

Puis, quand il les eut fait asseoir dans unepetite salle où on servait des grogs au gin, du sherry et duporter, il leur dit :

– Est-ce que vous connaissezWilliam ?

– Quel William ? Est-ce le Williamqui est l’amant de Betsy, dit l’une.

– Ou bien William le pickpocket ?dit l’autre.

– C’est l’amant de Betsy.

– Le matelot ?

– Précisément.

– Un drôle de matelot ! dit AnneJustin, la première des deux Irlandaises. Voici trois ans qu’il n’apris la mer, et c’est Betsy qui le nourrit.

– Est-ce que tu veux lui chercherquerelle, mon amour ? demanda l’autre. Aussi vrai que jem’appelle Débora, tu aurais tort.

– Oh ! fit Anne Justin, on ne peutpas savoir, ma chère.

– Oh ! dit Débora, monsieur estgentleman et il a les mains trop fines pour lutter avecWilliam.

– Te souviens-tu du Français ?

– Quel Français ? dit Marmouset, quiprit un air naïf.

Anne Justin reprit :

– Figure-toi, mon petit, que, voici septou huit mois, William était à la taverne du Black-Horse.

– Bon ! dit Marmouset.

– Betsy lui avait cherché querelle et ilétait de mauvaise humeur.

Il se mit à provoquer tout le monde selon sonhabitude, et personne d’abord ne lui répondit, car Williamassommait un bœuf d’un coup de poing.

– Ah ! vraiment ?

– Mais il y avait dans un coin unFrançais, qui ne soufflait mot, et qu’on appelait l’homme gris, àcause de son habit.

– Drôle de nom ! dit flegmativementMarmouset.

– C’était un homme dans ton genre,poursuivit Anne Justin, ni grand, ni petit, avec une jolie figureun peu pâle et de beaux yeux gris qui vous brûlaient quand ils sefixaient sur vous.

– Et qu’arriva-t-il alors ?

– Le Français se leva et dit àWilliam : Je suis ton homme.

– Ah ! ah !

William se mit à rire.

– Alors je vais t’écraser entre deuxdoigts, dit-il.

Mais le Français le prit par le milieu ducorps, l’enleva comme il eût fait d’une plume et le terrassa en dixsecondes.

Jamais personne, avant lui, n’avait tombéWilliam.

– Et personne ne l’a tombé depuis, ditDébora. Aussi crois-moi, gentleman, ne tente pas l’aventure.

– Mais, dit Marmouset, je ne veux pas mebattre avec lui.

– Que lui veux-tu donc ?

– J’ai à lui parler de la part d’un deses amis.

– Ah ! c’est différent.

– Savez-vous où il est ?

– S’il n’est pas ici, certainement tu letrouveras au Black-Horse.

– Tiens ! le voilà, dit Débora.

En effet, un homme entrait en ce moment.

Marmouset le regarda avec curiosité.

William était un homme trapu, au cou detaureau, aux épaules herculéennes, aux bras couverts d’un duvetrouge, rugueux et fourni comme le poil d’un singe.

Sa figure était bestiale, mais il avait l’œilintelligent, et ses grosses lèvres indiquaient une franchisebrutale et une certaine loyauté.

– Qui parle de moi ? dit-il enentrant et regardant les deux Irlandaises.

– Moi, dit Marmouset.

William le regarda.

Par extraordinaire le matelot n’était pasencore gris.

– Qui es-tu, toi ? dit-il.

– Tu ne me connais pas, dit Marmouset,mais je viens te voir de la part d’un homme que tu connais.

– Et qui se nomme ?

Marmouset se leva, approcha ses lèvres del’oreille de William et dit tout bas :

– L’homme gris.

William eut un geste de surprise.

– Sortons d’ici, lui dit Marmouset.

Et il donna deux shillings aux Irlandaises enleur disant adieu.

Puis il prit William et l’entraîna hors du balWilson.

– Ah ! disait le matelot, tu viensde la part de l’homme gris, gentleman ?

– Oui, mon cher.

– Un rude homme, l’homme gris, le seulqui m’ait jamais tombé.

– Et tu ne lui as pas gardérancune ?

– Ah ! mais non ; c’est même,entre nous, à la vie, à la mort.

– Vrai ?

– Et si jamais il a besoin de moi…

– Il a besoin de toi, William, et c’estpour cela qu’il m’envoie te trouver.

– Eh bien ! parle, dit William, ets’il faut assommer quelqu’un pour lui faire plaisir…

– Non.

– Que faut-il donc faire ?

– L’homme gris est à Newgate.

– Ah ! diable !

– Et il te prie de faire ce que je tedemanderai, comme si c’était lui qui te le demandât.

– Mais que veux-tu donc que jefasse ?

– Viens luncher avec moi demain, je te ledirai.

– Et où cela ?

– Dans Old Bailey, chez un épicier qui meloge.

– Master Love ?

– Non, son successeur.

– J’irai, dit William.

Marmouset tira sa montre.

Il y avait déjà près d’une heure qu’il avaitquitté miss Ellen.

– Excuse-moi, dit-il, on m’attend.

Et il quitta William pour retourner dansWell-Close square.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer