Rocambole – En prison

Chapitre 50

 

 

Polyte devina les réflexions de la petiteblanchisseuse et se prit à sourire :

– Ma bonne amie, lui dit-il, j’ai toutema raison et je vais vous le prouver.

– Ah ! dit-elle, le regardanttoujours avec une vague inquiétude.

Alors, Polyte lui raconta ce qui s’était passédans la journée, et comment il avait sauvé miraculeusement lapauvre Irlandaise d’une mort certaine.

Puis il ajouta :

– Si vous doutez encore, venez chez nouset vous la verrez, ma mère est auprès d’elle.

– Je vous crois, dit Pauline.

Puis, la jeune fille eut un mouvement dedépit.

– Alors, dit-elle, c’était pour observerChapparot que vous veniez dans ce passage ?

– Et un peu pour vous aussi, ditgalamment Polyte.

– Oh ! la couleur !

– Vrai ! dit Polyte, et si vousvoulez être ma petite femme, je vous aimerai bien, et de fainéantque j’étais, je deviendrai travailleur.

– Nous verrons cela, dit Pauline enrougissant un peu.

– Mais, poursuivit Polyte, pour lemoment, songeons à ce pauvre petit, qui est enfermé dans unecave.

– Vous voulez le délivrer ? ditPauline avec un accent d’effroi.

– Sans doute.

– Mais comment ?

Pauline joignit les mains :

– Vous êtes fou, dit-elle.

– Fou ! pourquoi donc ?

– Vous voulez donc que Chapparot vousassassine pour de bon !

– Je n’ai pas peur de lui en cemoment.

– Ah !

– Il ne reviendra pas chez lui cettenuit.

– Qu’en savez-vous ?

– Il croit m’avoir tué.

– Eh bien ?

– Et les gens qui ont commis un crime,surtout quand ce sont des brutes comme Chapparot, ne rentrent pascoucher dans leur lit.

– Où voulez-vous donc qu’ilaille ?

– Il passera la nuit à boire.

– Vous croyez ?

Et Pauline tremblait toujours à la seulepensée de s’introduire dans la maison où le terrible charbonnieravait sa boutique.

Mais Polyte lui dit :

– Au reste, puisque vous avez peur, jen’ai nul besoin que vous veniez avec moi ; seulement, vouspouvez me renseigner sur une chose.

– Laquelle ?

– Pensez-vous que les locataires de lamaison soient rentrés ?

– Ils sont rentrés et couchés. Ce sontdes ouvriers qui se lèvent de grand matin et se mettent au lit debonne heure.

– Il n’y a pas concierge dans lamaison ?

– Non.

– Alors chacun a sa clef ?

– Non, il y a un loquet à la porte commeici.

– Je m’en doutais, fit Polyte, mais jevoulais m’en assurer.

– Mais, dit Pauline, quand bien même vousentreriez dans la maison, comment feriez-vous pour pénétrer dans laboutique.

– C’est le plus simple, dit Polyte. Quandle charbonnier est parti, je l’ai vu mettre la clef de la porte del’allée sous une planche qui lui sert de paillasson.

– C’est vrai, dit Pauline, je l’ai vusouvent faire la même chose.

– Eh bien ! reprit Polyte, adieu,mademoiselle, merci de vos bons soins, et permettez-moi de revenirvous voir demain pour vous remercier.

Et Polyte, encore faible, encore chancelant,voulut faire un pas vers la porte.

Mais Pauline lui passa gravement ses brasautour du cou.

– Vous êtes fou, dit-elle, si vous avezpensé que je vous laisserais aller tout seul.

– Comment ! vous viendriez avecmoi ?

– Mais certainement.

– Vous avez bien peur de Chapparotpourtant !

– Pour vous, oui ; mais pour moi,non. Et puis, s’il vous arrive malheur, il m’arrivera malheuraussi. Allons-y donc gaiement.

– Une vraie petite femme ! s’écriaPolyte enthousiasmé.

Et il embrassa Pauline, et tous deuxsortirent.

Le sang qu’il avait perdu avait singulièrementaffaibli Polyte.

Il marchait un peu comme un homme ivre ;mais Pauline le soutenait, et ils traversèrent ainsil’esplanade.

À l’entrée du passage, Polyte s’arrêta etregarda autour de lui. La rue des Amandiers était déserte et lequartier silencieux.

Cependant, le jeune homme éprouva à son tourun petit mouvement d’hésitation.

– Mademoiselle Pauline, dit-il,véritablement ce que j’ai à faire est si simple, que je n’ai pasbesoin de vous. Vous devriez m’attendre ici.

– Ah ! mais non, dit-elle, je vaisavec vous.

– Vous y tenez absolument ?

– Mais dame ! fit-elle ingénument,puisque je dois être votre petite femme !

– Vous êtes un amour, dit Polyte enl’embrassant. Allons !

Et ils se dirigèrent vers la maison del’Auvergnat.

Comme l’avait dit Polyte, l’expédition étaitdes plus simples.

Il chercha avec la main la petite plaque rondedissimulée dans la porte et qui faisait mouvoir le loquet, et laporte s’ouvrit.

Le cœur de Pauline battait bien un peu, maiselle était avec lui et l’amour rend les femmes courageuses.

Polyte trouva sous la planche la clef de laporte de l’allée, et ils pénétrèrent facilement dans laboutique.

Le vrai Parisien a toujours des allumettesdans sa poche.

Polyte en avait par conséquent, et il enfrotta une avec son ongle.

L’allumette jeta une lueur rapide et fugitiveautour d’eux et leur permit d’apercevoir une chandelle sur un sacde charbon.

Polyte approcha l’allumette de la chandelle etse procura ainsi de la lumière.

Ce fut sans doute en ce moment que Chapparotivre revint, aperçut une lumière, s’imagina que la justice faisaitune descente chez lui et prit la fuite.

– Et si les locataires nous voienttraverser la cour ? dit encore Pauline toute tremblante.

– Vous dites qu’ils sontcouchés ?

– Je le crois.

– J’aimerais mieux aller sans lumière,dit Polyte ; mais ce n’est pas possible, car je ne connais pasassez bien les lieux et vous pourriez tomber dans la citerne.

La porte qui s’ouvrait de la boutique dans lacour était fermée en dedans par un simple verrou que Polyteforça.

La cave demeurait ouverte, le charbonnierayant seul la jouissance de la cour.

Polyte montra la planche à bascule quirecouvrait la citerne à Pauline, tout émue, puis il prit la clefqu’il avait vu Chapparot mettre sur la poutre, et ils descendirent,dans la seconde cave.

L’enfant gémissait toujours.

Au moment où la porte de sa prison s’ouvrit,il se retourna et essaya de se débarrasser de ses liens, en mêmetemps qu’un cri d’effroi lui échappait.

Mais Pauline le prit dans ses bras endisant :

– Pauvre petit !

Et, au son de cette voix ferme et franche,l’enfant cessa de se plaindre, et, tandis que Polyte ledébarrassait de ses liens, il regardait Pauline et semblaitcomprendre que le ciel lui envoyait des libérateurs.

Un quart d’heure après, Ralph était dans lesbras de Jenny l’Irlandaise.

Mais alors Polyte, épuisé, se laissait tombersur une chaise, fermait les yeux et s’évanouissait devant savieille mère éperdue…

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