Rocambole – En prison

Chapitre 11

 

 

L’homme à la barbe blanche qui venaitd’ouvrir, n’était autre que notre ancienne connaissance Jean leBourreau, le paria du bagne, que Rocambole avait réconcilié avec lasociété et avec lui-même, car longtemps il s’était faithorreur.

Il était le premier au rendez-vous, et cerendez-vous avait lieu dans la cave d’une maison démolie, au milieude ce quartier désert que nous venons de décrire. Pourquoi !dans quel but ?

C’est ce que nous allons dire en peu demots.

On doit se souvenir qu’à son retour des Indes,Rocambole avait emmené ses compagnons à Londres ; puis, letrésor du major enlevé, cette campagne aventureuse terminée, alorsqu’on l’attendait à bord pour retourner en France, il avait manquéà l’appel.

Un mot de lui parvenu à ses compagnons leurdisait :

– Partez sans moi, je vousrejoindrai !

Il y avait de cela plus d’un an, et le maîtren’avait pas reparu.

Chaque mois, tous ceux qui lui avaient obéi,tous ceux qui auraient versé avec joie la dernière goutte de leursang pour lui, se réunissaient tantôt dans un coin, tantôt dans unautre, sous la présidence de Milon et de Marmouset.

Chacun espérait, en y venant, apprendrequelque chose, avoir enfin des nouvelles du maître.

Les uns avaient voyagé, les autres avaientcouru Paris en tous sens.

D’ailleurs, les compagnons de Rocambolen’étaient plus un amas de pauvres diables luttant avec lesnécessités de la vie, en guerre clandestine avec la société,obligés de cacher soigneusement un passé ténébreux. Cet hommeinfatigable, avant de les abandonner, avait complété sonœuvre ; il avait fait à chacun sa place au soleil.

Jean le Bourreau était redevenu boucher ;il avait un étal à Passy, dans la Grande-Rue, était du Conseil desprud’hommes et jouissait de l’estime générale.

Milon, commandité par Marmouset, devenumillionnaire par la mort de Gypsy la Bohémienne, Milon s’était faitentrepreneur. Il démolissait et reconstruisait des maisons, et ilavait sous ses ordres une armée de quinze cents ouvriers.

La Mort des Braves s’était faitmenuisier, et Marmouset avait payé son fonds.

La Camarde, cette ancienne maîtresse duPâtissier, cette sinistre cabaretière de l’Arlequin,tenait à présent un beau débit de vins et liqueurs sur le boulevardde Sébastopol, et la Pie-Borgne était devenue marchande de pruneauxà l’entrée de la rue de la Paix.

Tous enfin avaient du travail, étaient dansl’aisance, vivaient honnêtement et conservaient au plus profond deleur cœur le respect et l’amour de cet homme qui, bandit lui-mêmeen sa jeunesse, s’était régénéré par le repentir et leur avaittendu la main.

Rien n’était bizarre, du reste, comme cesréunions mystérieuses où chacun arrivait avec le costume de saprofession, où la robe de soie de Vanda frôlait le tablier decretonne bleue de la Camarde, et l’habit élégant de Marmouset, legros paletot pelucheux de Milon ou la veste tricotée de Jean leboucher.

Ces dissemblances avaient même un peu ému lapolice.

Ce jour-là, les amis de Rocambole s’étaientréunis chez la Camarde.

Un sergent de ville curieux avait adressé unrapport au commissaire de police du quartier.

Le commissaire, qui connaissait Milon, l’avaitfait venir pour lui demander des explications.

Milon lui avait répondu qu’ils étaientd’anciens amis et qu’ils banquetaient une fois par mois.

Cette explication avait satisfait lecommissaire, mais Milon avait dit à Marmouset :

– Je ne veux pas que la police se mêle denos affaires. La prochaine fois, je vous indiquerai un endroit oùelle ne viendra certainement pas.

Et c’était pour cela que la cave de la maisondémolie dans le quartier de Chaillot avait été choisie pour cenouveau rendez-vous.

Seulement, la nuit précédente, Milon y avaitfait transporter par deux de ses ouvriers, dont il était sûr, unpanier de vin et une pipe d’eau-de-vie.

Donc, Jean le Bourreau avait été le premier aurendez-vous.

Puis étaient venus Marmouset et Milon, et,après eux, la Mort des braves, et dix autres encore.

Et tous s’étaient regardés tristement.

Personne n’avait de nouvelles du maître.

– Sommes-nous tous là ? demandaMarmouset.

– Vanda n’y est pas, répondit Milon.

– Elle ne viendra probablement point, jete l’ai dit, reprit Marmouset.

Mais, comme il parlait ainsi, la portes’ouvrit brusquement et il y eut un cri de joie parmi lesassistants.

Vanda apparut sur le seuil.

Elle était en robe de voyage, enveloppée dansune vaste pelisse fourrée.

– J’arrive de Londres, dit-elle, et jevous apporte des nouvelles de Rocambole.

Ce fut un cri d’enthousiasme parmi lescompagnons du maître…

– Où est-il ? continua Vanda,hélas ! je n’en sais rien, mais je puis vous affirmer qu’iln’est pas mort.

– Tu ne l’as donc pas vu ? s’écriaMarmouset.

– Non, mais j’ai suivi ses traces pas àpas jusqu’à il y a environ quinze jours.

– Et alors ?

– Alors, plus rien, disparu denouveau.

– Oh ! dit Milon, c’est qu’alors illui est arrivé un malheur.

– Non, dit Vanda avec conviction.Rocambole était victorieux de ses ennemis à l’heure même où jeperdais sa trace.

– Quels ennemis avait-il donc àLondres ? Était-ce le major indien ? demanda Milon.

– Non, dit Vanda. Les nouveaux ennemis deRocambole, ou plutôt ceux à qui il a déclaré une guerre sans merci,ce sont les oppresseurs de l’Irlande et de la foi catholique.Rocambole s’est mis à la tête des fenians de Londres, quil’appellent l’homme gris.

– L’homme gris ! s’écria Milon, ilsl’appellent l’homme gris ?

– Oui.

– Ah ! c’était donc bien à moi qu’enavait le pauvre Anglais que j’ai presque mis à la porte !murmura le colosse avec un accent de désespoir.

– Parle, dit Marmouset à Vanda, dis-nousd’où tu viens et ce que tu as appris.

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