Rocambole – En prison

Chapitre 36

 

 

Quel avait été le résultat du conciliabule deMarmouset, Milon et Vanda ?

C’est ce que nous verrons en suivant désormaissir James Wood.

Le détective croyait avoir de bonnes raisonspour soupçonner que le voleur des cent mille francs était le mêmehomme qu’il avait employé quelques semaines auparavant à voler lespapiers de Shoking.

Les gens de police et les voleurs de Londresse connaissent presque tous.

Un homme de l’importance de sir Jamesconnaissait non seulement les différents pickpockets qui, las desbrouillards, passaient le détroit pour s’en aller opérer sur lecontinent, mais il savait encore quelle était leur spécialité.

Celui-ci dévalisait le comptoir d’un magasinde dentelles ; cet autre ne volait que dans les omnibus ;tel autre fréquentait les églises ; un quatrième travaillaitau spectacle.

Il s’en était suivi pour sir James une petitenomenclature, très exacte, dans laquelle chaque voleur étaitdésigné par sa profession.

Il connaissait à Paris le dentellier, levoyageur, le dévot et le dilettante.

Il y avait encore le serrurier.

Le serrurier, qui de son vrai nom se nommaitSmith, avait été employé à Londres dans une fabrique decoffre-forts, et c’était en exerçant cet honnête métier qu’il avaitappris sa coupable profession.

Et le serrurier était précisément l’hommequ’avait employé sir James Wood.

Cet homme avait dit qu’il repartait ;mais sir James l’avait aperçu la veille même du vol, rôdant auxenvirons du Grand-Hôtel.

Donc, pour sir James, un seul homme avait puouvrir sans effraction la caisse de l’entrepreneur Milon, et cethomme, c’était le serrurier.

Sir James était un détective habile, cela estincontestable, mais il n’était pas sorcier. Or, un sorcier seulaurait pu deviner que Milon s’était volé lui-même ou à peu près, etque ce vol qu’on lui signalait, à lui sir James, cachait un piègehabilement tendu.

Lorsque sir James était arrivé à Paris etqu’il s’était mis en rapport avec le serrurier, il lui avaitdit :

– Je ne suis pas au service de la policefrançaise, tu n’as par conséquent rien à craindre de moi. Tout aucontraire, je vais t’employer et je te payerai bien.

Entre le voleur anglais et l’agent de policede Londres il n’y a aucune animosité.

Sans cesse en lutte, ils rivalisent d’adresse,de ruse, d’habileté, et le vaincu pardonne à son vainqueuraisément.

Tout autre que sir James se fût donné la peinede courir à la Préfecture et de faire rechercher Smith, dit leSerrurier.

Le procédé, si simple en apparence, eût faitperdre trop de temps ; et sir James s’attendait à recevoir,d’un moment à l’autre, l’ordre de retourner à Londres.

Or, il y a à Paris un journal appelé laGazette des Étrangers, qui se distribue dans les hôtels etque les étrangers lisent régulièrement tous les jours.

Sir James prit une voiture, courut au bureaudu journal, et paya cent sous la ligne l’annonce quevoici :

« Le célèbre serrurier anglais S…, depassage à Paris en ce moment, est prié de se présenter à l’hôtel duLouvre, chambre 18, chez J. W., esq. »

On allait mettre sous presse.

Une heure après le journal avait paru.

Deux heures plus tard, Smith, dit leSerrurier, arrivait.

Sir James le reçut avec un sourire.

– Je craignais que tu ne fusses parti,dit-il.

– Oh ! non, dit Smith en riant, lesaffaires sont meilleures à Paris qu’à Londres.

– Vraiment ? et qu’as-tufait ?

– Je me suis associé avec deuxcamarades.

– Bon !

– Et nous avons déjà un joli petitmagot.

– Y compris les cent mille francs que tuas volés à l’entrepreneur Milon.

À ces paroles, Smith ouvrit des grands yeux,il eût même un air si étonné que sir James ne put s’y tromper.

Ce n’était pas lui qui avait commis levol.

Cependant le détective lui fit millequestions, le tourna et le retourna et ne put obtenir de lui autrechose que d’énergiques dénégations.

Alors sir James lui raconta dans tous sesdétails l’histoire du vol, telle qu’il la tenait du chef de laSûreté et de Milon lui-même.

– Patron, dit alors Smith, je ne puisrien vous dire tant que je n’ai pas vu la serrure.

– Ah !

– Mais je parierais qu’on se moque devous.

– Qui donc ?

– Je ne sais pas. Mais si la caisse a ététrouvée ouverte comme vous me le dites, il n’y a que deux hommesqui eussent été capables de faire le coup.

– Qui donc ?

– Moi d’abord, et je vous répète que cen’est pas moi.

– Et puis ?

– Et un autre Anglais qu’on appelle Johnet qui n’est pas à Paris, j’en suis sûr.

– Cependant la caisse a été ouverte.

– Je ne dis pas non… Mais pas comme vousle dites. Si je la voyais ?

– Rien n’est plus facile, dit sirJames.

Il prit une plume et écrivit à Milon leslignes suivantes :

« Monsieur,

« Je suis sur les traces de votre voleur.Mais j’ai besoin de voir votre caisse. Ce soir, à onze heures, jeserai chez vous avec un de mes collègues. Il est indispensable pourdes motifs que je vous expliquerai de vive voix, que vous soyezseul et que personne de votre entourage ne nous voie ni entrer nisortir. »

La lettre écrite, sir James la fit porter parun commissionnaire de l’hôtel, puis il dit à Smith :

– Trouve-toi ce soir aux Champs-Élysées,au coin de la rue Marignan, vers six heures et demie, etattends-moi.

– J’y serai, répondit Smith.

Et il s’en alla.

Pourtant quand le serrurier fut parti, sesparoles revinrent en mémoire à sir James : « On se moquede vous ! »

Qui donc pourrait se moquer de lui ?

Était-ce Milon ? était-ce cet imbécile deShoking ?

C’était invraisemblable, d’autant plus que levol avait été commis à l’heure même où lui, sir James, enlevaitl’Irlandaise et son fils.

Le détective eut peur un moment,cependant.

Pendant quelques minutes, il délibéra si, aulieu de s’occuper de cette affaire, il ne partirait pas le soirmême pour Londres, emmenant Ralph et miss Ellen.

Il était même décidé à prendre ce dernierparti, lorsque une dépêche lui arriva.

Elle venait de Londres :

« Restez huit jours encore. On instruitprocès homme gris. Condamnation certaine, lettre demain.

« PATTERSON. »

Cette dépêche fit réfléchir sir James.

– Après tout, dit-il, je ne puis pasrester ici à ne rien faire. Si on n’avait pas volé Milon, il neserait pas allé à la Préfecture ; Smith se trompe donc, levoleur dont il parle doit être à Paris.

Et il mit la dépêche dans sa poche et sortittranquillement pour tuer le temps jusqu’au soir.

Il revint dîner à l’hôtel du Louvre.

Le commissionnaire avait rapporté la réponsede Milon, conçue en trois mots :

« Je vous attendrai ! »

Et sir James demeura résolu à conduire Smithchez Milon.

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