Rocambole – En prison

Chapitre 10

 

 

Milon replaça la planche qu’il avaitdérangée.

Puis, cela fait, comme Marmouset marchait àcôté de lui :

– Il y a huit jours, dit-il, un Anglaisest venu chez moi.

Ce n’était pas un milord, ni un gentleman, niun homme bien mis, oh ! non.

C’était un pauvre diable qui marchait sur desbottes éculées, avait un méchant chapeau et pas de linge sous saredingote boutonnée jusqu’au menton.

J’ai pensé que c’était un mendiant, et j’aivoulu lui donner cent sous.

Il les a repoussés en me disant :

– Ce n’est pas pour cela que jeviens.

Comme il se donnait un mal affreux pour parlerfrançais, je lui ai parlé anglais.

Alors il m’a raconté qu’il avait été volé àson arrivée à Paris et qu’il avait perdu une lettre et d’autrespaquets.

Que la lettre était une lettre de crédit surun monsieur Milon à Paris, et qu’elle lui avait été donnée parl’homme gris.

Connaissez-vous quelqu’un de ce nom ?

– Non, dit Marmouset.

– Ni moi non plus. Cependant…

– Eh bien ?

– Quand ce pauvre diable a été parti,j’ai pensé au maître, lequel pourrait bien ne faire qu’un seul avecl’homme gris.

– Qui te fait supposer pareillechose ?

– Voici : le pauvre diable d’Anglaism’a dit que l’homme gris était un Français et que ce Françaisrêvait la liberté de l’Irlande ; que c’était un homme trèsfort et que tout ce qu’il entreprenait réussissait. Cela ressemblepleinement au maître, ça, hein ?

– Continue, dit Marmouset devenupensif.

– L’Anglais, poursuivit Milon, pensaitbien que la lettre de crédit était signée d’un autre nom. Maisl’homme gris la lui avait donnée cachetée. Ensuite je n’étais pasle premier à qui il racontait cette histoire, car il ne serappelait que le nom écrit sur l’enveloppe et non point l’adresse.Il s’était donc mis à visiter tous les gens qui portaient le nom deMilon, et généralement, à cause de ses haillons, il s’était faitmettre à la porte. Je vous avoue, acheva Milon, que je l’ai pris,moi aussi, pour un aventurier et un de ces racoleurs anglais quiabondent dans le quartier des Champs-Élysées.

C’était un samedi, jour de paye, j’avais dixpersonnes qui m’attendaient dans mon bureau ; je lui ai misdix francs dans la main en lui disant :

– Je n’ai pas le temps de recevoiraujourd’hui, mais revenez me voir.

– Et est-il revenu ?

– Hélas ! non, soupira Milon. J’aifait la leçon à ma servante, à mon contre-maître, à tout lemonde ; la consigne est donnée que, si l’Anglais revient, onle gardera et qu’on viendra me prévenir, n’importe où je serai.

– Même où nous allons ?

– Oui.

– Tu as bien fait, dit Marmouset. Quelquechose me dit que cet homme venait de la part du maître.

– Mais, dit Milon avec un soupir, s’il nerevient pas ?

– Nous le chercherons.

– Paris est grand… Trouvez donc uneaiguille dans une botte de foin !

– Bah ! il n’y a pas tant d’Anglaisque cela à Paris, surtout d’Anglais en haillons.

Le terrain sur lequel ils marchaient étaitencombré de matériaux de démolitions, au milieu desquels Milonpassait en homme qui est du bâtiment.

Il y avait eu là, et très récemment sansdoute, une de ces maisons de l’ancien Chaillot qu’on avait raséepour faire surgir à sa place, au premier jour, une de ces bellesconstructions où des loyers de six mille francs représentent unappartement fort ordinaire.

Mais, en attendant, la vieille maison avaitdisparu, et la nouvelle n’existait pas encore.

Où diable Milon conduisait-ilMarmouset ?

Ou plutôt, en quel endroit allaient-ils tousdeux ? car Marmouset connaissait parfaitement le chemin.

Au bout du terrain, il y avait un amas depierres de taille, et, derrière ces pierres, quelques planchescouvraient une manière de puits.

On avait rasé la maison, mais on n’avait pasdétruit les caves encore.

Les planches avaient été dérangées, et Milonfit pour la seconde fois cette observation :

– Nous n’arrivons pas les premiers.

– Qu’importe ? dit Marmouset.

Alors Milon tira de sa poche une bougie et unrat de cave, qu’il alluma.

Puis il posa le pied sur la première marched’un escalier qui s’enfonçait sous terre.

Marmouset le suivait toujours.

À la trentième marche, ils se trouvèrent dansune sorte de corridor voûté.

Une lumière brilla dans l’éloignement.

– Qui donc a pu venir avant nous ?demanda Marmouset.

– Peut-être bien la Mort desbraves.

– Ah !

– Il demeure dans le quartier. À moinsque ce ne soit Jean le Bourreau.

– Demeure-t-il aussi par ici ?

– Oui, il est établi boucher à Passy,comme vous savez.

– Ah ! c’est juste.

Milon éteignit son rat de cave, devenuinutile, car la lumière qui brillait dans le lointain le guidait,et ils arrivèrent ainsi à une porte sur laquelle ils frappèrenttrois petits coups.

Aussitôt cette porte s’ouvrit, et les deuxvisiteurs nocturnes se trouvèrent en présence d’un vieillard dehaute stature, dont les cheveux et la barbe étaient entièrementblancs.

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