Rocambole – En prison

Chapitre 20

 

 

– Montre-moi ta caisse, dit alorsMarmouset.

Milon tira une clef de sa poche et ouvritd’abord une porte qui se trouvait dans le mur.

Cette porte ouverte, Marmouset aperçut unplacard, et, dans ce placard, une caisse d’origine anglaise.

Elle sortait des ateliers de William S.Helley, coffretier-serrurier dans Hosborne street, au n° 152,à Londres.

De la hauteur d’une armoire à glace ordinaire,elle pouvait peser mille kilogrammes et était à l’épreuve du fer etdu feu.

Comme les caisses françaises, elle n’avaitpoint un clavier de lettres ; une simple serrure constituaitsa fermeture.

On voyait au milieu une petite ouverturehexagone de la dimension d’un pois ; c’était le passage de laclef.

Seulement, une fois dans la serrure, cetteclef devait tourner tantôt à gauche, tantôt à droite, pendant uncertain nombre de fois, et le possesseur seul de la clef avait danssa tête ce chiffre-là.

Milon prit sa clef, qui ne le quittait jamaiset faisait partie d’un petit trousseau qu’il portait suspendu à soncou par une chaîne d’acier.

– Ouvre-moi la caisse, dit encoreMarmouset.

Milon obéit.

– Où sont tes cent millefrancs ?

– Dans le portefeuille.

– Fort bien. Retire la clef et laisse tacaisse ouverte.

– Et puis ?

– Maintenant, ferme la porte duplacard.

Milon obéit encore.

Alors, Marmouset examina cette seconde serrureet dit :

– Celle-là n’est pas méchante. Onl’ouvrirait avec une paille.

– Mais, enfin, demanda Milon, quecomptez-vous faire ?

– Je vais sortir d’ici d’abord.

– Bon !

– Tu me reconduiras, et, devant tout lemonde, tu me diras : Mylord, j’aurai l’honneur de vousrecevoir à quatre heures.

– Fort bien.

– Quand je serai parti, tu recommanderasà ta servante de m’introduire dans ton cabinet aussitôt que je meprésenterai. Naturellement, j’arriverai un peu avant quatre heures,et tu t’arrangeras de façon à être en retard. Il faut qu’on puisseconstater que j’ai passé trois quarts d’heure dans ton cabinet.

– Mais, quand j’arriverai ?

– Moi, je serai parti, en disant quej’avais un rendez-vous pressé, et que je ne puis attendre pluslongtemps.

Tu entreras dans ton cabinet, tu trouveras tonplacard foncé et ta caisse ouverte.

– Tout cela est très bien, dit Milon…mais après ?

– D’abord, tu ne rentreras pas tout seul.Tu reviendras avec un de tes contremaîtres ; un de ceux quisont dans la pièce voisine en ce moment. Le vol constaté, tuprendras ta course vers l’hôtel Meurice, où, naturellement, tu n’asjamais vu lord Candaule ; puis chez le commissaire, et enfin àla préfecture, où tu dénonceras mon signalement exact au chef de laSûreté.

– Et… enfin ?

– Enfin tu ne t’occuperas plus de rien.Tu penses bien que tes cent mille francs ne seront pas perdus,ajouta Marmouset en souriant.

Milon le reconduisit avec forcerévérences.

En traversant le bureau, Marmouset avaitrepris son baragouin anglo-français, et Milon lui dit :

– Si vous voulez vous donner la peine,mylord, de revenir à quatre heures, je serai tout entier à votredisposition, et nous irons voir le terrain à vendre dont je viensde vous parler.

– Aoh ! fit Marmouset. Combien detemps faut-il à vous pour bâtir une maison à moâ ?

– Trois mois.

– Trop de temps ! dit l’Anglais.

– On peut y arriver en deux mois etdemi.

– Et plus vite encore ?

– Alors, il faudrait travailler la nuit àla lumière électrique.

– Aoh ! electric-light. Je voulais,moâ.

– Mais c’est très cher.

– Aoh ! je payerai beaucoup debank-notes, moâ !…

Et Marmouset partit.

– Patron, dit alors un des contremaîtres,on fera de jolis bénéfices avec ce client-là, hein ?

– Nous prendrons une revanche deWaterloo, répondit Milon avec son gros rire.

Et Milon acheva de régler ses comptes,congédia ses ouvriers et monta dans son cabriolet pour allervisiter les chantiers.

En parlant, il n’eut garde de recommander à saservante d’introduire l’Anglais aussitôt qu’il se présenterait.

*

**

Cependant, le plan de Marmouset devait êtrelégèrement modifié par un événement tout à fait imprévu.

Au moment où Milon s’en allait, un hommecheminait tristement sur le trottoir, de l’autre côté de larue.

Milon l’aperçut, et l’émotion qu’il éprouvafut telle, qu’il retint si brusquement son cheval, que l’animal secabra à demi.

Le colosse passa les rênes à son petitdomestique et s’élança à terre.

L’homme qu’il avait aperçu, c’était cetAnglais en haillons qui s’était présenté chez lui déjà en luiparlant de l’homme gris.

– Ah ! enfin ! je vousretrouve ! s’écria Milon en lui saisissant vivement lesmains.

– Oui, monsieur, répondit Shoking, carc’était bien notre ancien ami de Londres, le fidèle compagnon dumystérieux homme gris.

Milon parlait assez bien l’anglais, et ce futdans cette langue qu’il continua :

– Vous reveniez chez moi ?

– Oui, je suis très misérable, ditShoking, et, faute de retrouver la lettre que j’avais pour vous etqu’on m’a volée, nous sommes, moi, la femme et l’enfant avec qui jesuis venu en France, dans la plus profonde détresse.

– Vous n’avez plus besoin de lettre, ditMilon. Ma bourse vous est ouverte.

Shoking le regarda avec une sorte dedéférence.

– Vous m’étiez envoyé par l’hommegris ?

– Oui.

– Eh bien ! c’est mon amiintime.

– Ah ! fit Shoking.

– Mais, reprit Milon, qui songea soudainà miss Ellen, dites-moi, puisque vous avez vécu avec l’homme gris,si vous avez connu une jeune fille anglaise du nom de missEllen ?

– Miss Ellen ! s’écria Shoking.

Et Milon le vit pâlir, tandis qu’un regardplein de haine jaillissait de ses yeux.

– Oui, miss Ellen, répéta Milon.

– C’est la plus mortelle ennemie del’homme gris ! s’écria Shoking.

Et Milon recula abasourdi,murmurant :

– Et nous qui voulions la délivrer.

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