Rocambole – En prison

Chapitre 12

 

 

Vanda arrivait de Londres, en effet.

Elle n’avait pas même passé avenue Marignan,où elle habitait toujours son petit hôtel ; elle était venuedirectement en voiture de la gare du chemin de fer à l’entrée de larue de Morny.

Là, elle avait renvoyé le véhicule et continuéson chemin à pied.

Le silence s’était fait autour d’elle.

On attendait avec anxiété les révélationsqu’elle venait de promettre.

– Rocambole, dit-elle, emprisonné lors denotre départ, se fit relâcher le lendemain sous caution.

Puis il disparut de Londres pendant quelquesjours, et il fut impossible à la police anglaise de retrouver sestraces.

– Et ces traces, vous les avezretrouvées, vous ? demanda Milon.

– Oui.

– À Londres ?

– À Londres, dit Vanda. J’avaissuccessivement, en huit jours, habité tous les hôtels français,depuis Sablonière jusqu’à Sauton hôtel.

– Non, me dis-je un jour, ce n’est pas làque je le retrouverai.

Et je m’en allai dans le quartier des docks,vers Saint George street.

Au lieu de me loger dans un hôtel, je louai unboarding, au coin de Old Gravel-Lane.

Je parle anglais comme une Anglaise, et je medéguisai en femme du peuple.

Le jour, je courais les rues ; le soirj’entrais dans les publics-houses et les tavernes.

J’habitais au deuxième étage.

Au-dessus de moi il y avait une famillecomposée du père et de sa fille.

Le père était un homme silencieux etsombre ; la fille, une belle créature qui relevait d’unelongue et douloureuse maladie.

Je la voyais passer souvent devant ma porte,que je laissais ouverte à cause de la chaleur, et j’avais fini parlui sourire.

Nous fîmes connaissance.

– Vous ayez donc été bien malade ?lui dis-je un jour.

– J’ai cru mourir, merépondit-elle ; c’est un envoyé de Dieu qui m’a sauvée.

– Un médecin ?

– Oui.

– Anglais ?

– On ne sait pas. Il y en a qui disentque c’est un Anglais ; tout ce que je sais, c’est qu’onl’appelle l’homme gris.

– Ah !

Elle me raconta alors que le médecinmystérieux l’avait conduite dans une maison de Hampsteadt, où ill’avait soumise à un traitement par les émanations du goudron.

Puis elle ajouta :

– Nous avons son portrait, mon père etmoi.

– Où est-il ?

– Là-haut, dans notre logis.

– Voulez-vous me le montrer ?

– Oh ! de grand cœur.

Je la suivis, elle me fit pénétrer dans sachambre. Je jetai les yeux sur un portrait, une petite photographieassez mauvaise, et je poussai un cri de joie.

J’avais reconnu Rocambole.

À partir de ce moment, et grâce auxindications que m’ont fournies le père et la fille, je l’ai suivi,pour ainsi dire, pas à pas. J’ai retrouvé presque tous les hommesqui l’ont servi et dont il s’était fait une petite armée. J’ai vuquel était son but, la lutte qu’il avait engagée, les victoiresqu’il avait remportées.

Il y a trois semaines, il a embarqué pour laFrance un enfant irlandais en qui les fenians voient leur cheffutur. Avec cet enfant est parti un autre homme appelé Shoking,lequel doit être à Paris et qui certainement possède tous lessecrets de l’homme gris.

– C’est peut-être mon Anglais, ditMilon.

– Cet homme et l’enfant partis,poursuivit Vanda, Rocambole est demeuré à Londres.

Un soir, il s’est embarqué dans un canot, aubas du pont de Westminster.

À partir de ce moment on ne l’a plus revu.

Il avait annoncé, du reste, que peut-être ilne reviendrait pas.

Dès lors, tous mes efforts pour retrouver satrace ont été inutiles.

– Il est mort ! murmura Milon.

Marmouset haussa les épaules.

– Rocambole ne meurt pas, dit-il.

– J’ai aussi cette conviction ! ditVanda. Seulement, où est-il ?

– Peut-être est-il revenu à Paris ?hasarda la Camarde.

– C’est ce que je me dis quelquefois, fitJean le Bourreau.

– S’il était à Paris, nous l’aurions vu,dit Marmouset.

L’espoir revenait au cœur de Milon.

– Ah ! dit-il, je me souviens quelorsque nous nous désespérions, il y a quatre ans, un homme mefrappa sur l’épaule dans la rue et me dit :

– Imbécile ; il n’y a que les hommesdont la tâche est remplie qui meurent.

Je me retournai. C’était lui.

– Eh bien ! dit Marmouset, pareillechose vous arrivera au premier jour.

– Je le crois, dit Vanda.

– Je l’espère, murmura Milon.

– Car, reprit Marmouset, la dernièretâche que s’est imposée Rocambole n’est point accomplie encore.

La loyale Angleterre continue à opprimerl’Irlande, à persécuter les prêtres catholiques et à refuser auxenfants de la pauvre Erin des pommes de terre et du pain.

– C’est vrai, dit Vanda.

– Donc, Rocambole n’est pas mort.

– Qui sait même s’il n’a pas besoin denous ? reprit Milon. Oh ! si je pouvais retrouverl’Anglais !

Comme Milon parlait ainsi, on entendit unbruit dans l’éloignement.

Des pas retentissaient dans les couloirssombres des caves.

– Qui donc attendons-nous encore ?demanda Marmouset.

– Personne, répondit Jean le Bourreau,nous sommes au complet.

– Mon Dieu ! s’écria Vanda, sic’était lui ! si c’était Rocambole !

Et tous les cœurs battirent, et tous lesregards se dirigèrent anxieux vers la porte…

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