La Cousine Bette

Chapitre 106L’ange et le démon chassant de compagnie

En entrant dans son boudoir, la cantatrice y trouva Mme Hulotcomplètement évanouie ; mais, malgré la perte de ses sens, sontremblement nerveux la faisait toujours tressaillir, de même queles tronçons d’une couleuvre coupée s’agitent encore. Des selsviolents, de l’eau fraîche, tous les moyens ordinaires prodiguésrappelèrent la baronne à la vie, ou, si l’on veut, au sentiment deses douleurs.

– Ah ! mademoiselle, jusqu’où est-il tombé!… dit-elle enreconnaissant la cantatrice et se voyant seule avec elle.

– Ayez du courage, madame, répondit Josépha, qui s’était misesur un coussin aux pieds de la baronne et qui lui baisait lesmains, nous le retrouverons ; et, s’il est dans la fange, ehbien, il se lavera. Croyez-moi, pour les personnes bien élevées,c’est une question d’habits… Laissez-moi réparer mes torts enversvous, car je vois combien vous êtes attachée à votre mari, malgrésa conduite, puisque vous êtes venue ici !… Dame, ce pauvrehomme ! il aime les femmes… Eh bien, si vous aviez eu,voyez-vous, un peu de notre chique, vous l’auriez empêché decourailler ; car vous auriez été ce que nous savons être :toutes les femmes pour un homme. Le gouvernement devait créer uneécole de gymnastique pour les honnêtes femmes ! Mais lesgouvernements sont si bégueules !… ils sont menés par leshommes que nous menons ! Moi, je plains les peuples !…Mais il s’agit de travailler pour vous, et non de rire… Eh bien,soyez tranquille, madame, rentrez chez vous, ne vous tourmentezplus. Je vous ramènerai votre Hector, comme il était il y a trenteans.

– Oh ! mademoiselle, allons chez cette MmeGrenouville ! dit la baronne ; elle doit savoir quelquechose ; peut-être verrai-je M. Hulot aujourd’hui, etpourrai-je l’arracher immédiatement à la misère, à la honte…

– Madame, je vous témoignerai par avance la reconnaissanceprofonde que je vous garderai de l’honneur que vous m’avez fait, enne montrant pas la cantatrice Josépha, la maîtresse du ducd’Hérouville, à côté de la plus belle, de la plus sainte image dela vertu. Je vous respecte trop pour me faire voir auprès de vous.Ce n’est pas une humilité de comédienne, c’est un hommage que jevous rends. Vous me faites regretter, madame, de ne pas suivrevotre sentier, malgré les épines qui vous ensanglantent les piedset les mains ! Mais, que voulez-vous ! j’appartiens l’artcomme vous appartenez à la vertu…

– Pauvre fille ! dit la baronne émue au milieu de sesdouleurs par un singulier sentiment de sympathie commisérative, jeprierai Dieu pour vous, car vous êtes la victime de la société, quia besoin de spectacles. Quand la vieillesse viendra, faitespénitence… vous serez exaucée, si Dieu daigne entendre les prièresd’une…

– D’une martyre, madame, dit Josépha, qui baisa respectueusementla robe de la baronne.

Mis Adeline prit la main de la cantatrice, l’attira vers elle etla baisa au front. Rouge de plaisir, la cantatrice reconduisitAdeline jusqu’à sa voiture, avec les démonstrations les plusserviles.

– C’est quelque dame de charité, dit le valet de chambre à lafemme de chambre, car elle n’est ainsi pour personne, pas même poursa bonne amie, Mme Jenny Cadine !

– Attendez quelques jours, dit-elle, madame, et vous le verrez,ou je renierai le Dieu de mes pères ; et, pour une juive,voyez-vous, c’est promettre la réussite.

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