La Cousine Bette

Chapitre 81Son, recoupe et recoupette

Le commissaire de police, planté sur des souliers dont lesoreilles étaient attachées avec des rubans à nœuds barbotants, seterminait par un crâne jaune, pauvre en cheveux, qui dénotait unmatois égrillard, rieur, et pour qui la vie de Paris n’avait plusde secrets. Ses yeux, doublés de lunettes, perçaient le verre pardes regards fins et moqueurs. Le juge de paix, ancien avoué, vieiladorateur du beau sexe, enviait le justiciable.

– Veuillez excuser la rigueur de notre ministère, monsieur lebaron ! dit le commissaire, nous sommes requis par unplaignant. M. le juge de paix assiste à l’ouverture du domicile. Jesais qui vous êtes, et qui est la délinquante.

Valérie ouvrit des yeux étonnés, jeta le cri perçant que lesactrices ont inventé pour annoncer la folie au théâtre, elle setordit en convulsions sur le lit, comme une démoniaque au moyen âgedans sa chemise de soufre, sur un lit de fagots.

– La mort !… mon cher Hector, mais la policecorrectionnelle ? oh ! jamais !

Elle bondit, elle passa comme un nuage blanc entre les troisspectateurs, et alla se blottir sous le bonheur-du-jour, en secachant la tête dans ses mains.

– Perdue ! morte !… cria-t-elle.

– Monsieur, dit Marneffe à Hulot, si Mme Marneffe devenaitfolle, vous seriez plus qu’un libertin, vous seriez unassassin…

Que peut faire, que peut dire un homme surpris dans un lit quine lui appartient pas, même à titre de location, avec une femme quine lui appartient pas davantage ? Voici :

– Monsieur le juge de paix, monsieur le commissaire de police,dit le baron avec dignité, veuillez prendre soin de la malheureusefemme dont la raison me semble en danger… , et vous verbaliserezaprès. Les portes sont sans doute fermées, vous n’avez pasd’évasion à craindre ni de sa part, ni de la mienne, vu l’état oùnous sommes…

Les deux fonctionnaires obtempérèrent à l’injonction duconseiller d’Etat.

– Viens me parler, misérable laquais !… dit Hulot tout basà Marneffe en lui prenant le bras et l’amenant à lui. Ce n’est pasmoi qui serais l’assassin, c’est toi ! Tu veux être chef debureau et officier de la Légion d’honneur ?

– Surtout, mon directeur, répondit Marneffe en inclinant latête.

– Tu seras tout cela, rassure ta femme, renvoie cesmessieurs.

– Nenni, répliqua spirituellement Marneffe. Il faut que cesmessieurs dressent le procès-verbal de flagrant délit, car, sanscette pièce, la base de ma plainte, que deviendrais-je ? Lahaute administration regorge de filouteries. Vous m’avez volé mafemme et ne m’avez pas fait chef de bureau, monsieur le baron, jene vous donne que deux jours pour vous exécuter. Voici deslettres…

– Des lettres !… cria le baron en interrompantMarneffe.

– Oui, des lettres qui prouvent que l’enfant que ma femme porteen ce moment dans son sein est de vous… Vous comprenez ? vousdevrez constituer à mon fils une rente égale à la portion que cebâtard lui prend. Mais je serai modeste, cela ne me regarde point,je ne suis pas ivre de paternité, moi ! Cent louis de rentesuffiront. Je serai demain matin successeur de M. Coquet, et portésur la liste de ceux qui vont être promus officiers, à propos desfêtes de Juillet, ou… le procès-verbal sera déposé avec ma plainteau parquet. Je suis bon prince, n’est-ce pas ?

– Mon Dieu ! la jolie femme ! disait le juge de paixau commissaire de police. Quelle perte pour le monde si elle devaitfolle !

– Elle n’est point folle, répondit sentencieusement lecommissaire de police.

La police est toujours le doute incarné.

– M. le bron Hulot a donné dans un piège, ajouta le commissairede police assez haut pour être entendu de Valérie.

Valérie lança sur le commissaire une oeillade qui l’eût tué, siles regards pouvaient communiquer la rage qu’ils expriment. Lecommissaire sourit, il avait tendu son piège aussi, la femme ytombait. Marneffe invita sa femme à rentrer dans la chambre et às’y vêtir décemment, car il s’était entendu sur tous les pointsavec le baron, qui prit une robe de chambre et revint dans lapremière pièce.

– Messieurs, dit-il aux deux fonctionnaires, je n’ai pas besoinde vous demander le secret.

Les deux magistrats s’inclinèrent. Le commissaire de policefrappa deux petits coups à la porte, son secrétaire entra, s’assitdevant le bonheur-du-jour, et se mit à écrire sous la dictée ducommissaire de police, qui lui parlait à voix basse. Valériecontinuait de pleurer à chaudes larmes. Quand elle eut fini satoilette, Hulot passa dans la chambre et s’habilla. Pendant cetemps, le procès-verbal se fit. Marneffe voulut alors emmener safemme ; mais Hulot, en croyant la voir pour la dernière fois,implora par un geste la faveur de lui parler.

– Monsieur, madame me coûte assez cher pour que vous mepermettiez de lui dire adieu… , bien entendu, en présence detous.

Valérie vint, et Hulot lui dit à l’oreille :

– Il ne nous reste plus qu’à fuir ; mais commentcorrespondre ? nous avons été trahis…

– Par Reine ! répondit-elle. Mais, mon bon ami, après cetéclat, nous ne devons plus nous revoir. Je suis déshonorée.D’ailleurs, on te dira des infamies de moi, et tu les croiras…

Le baron fit un mouvement de dénégation.

– Tu les croiras, et j’en rends grâces au ciel, car tu ne meregretteras peut-être pas.

– Il ne crèvera pas sous-chef ! dit Marneffe à l’oreille duconseiller d’Etat en revenant prendre sa femme, à laquelle il ditbrutalement : – Assez, madame ; si je suis faible pour vous,je ne veux pas être un sot pour les autres.

Valérie quitta la petite maison Crevel en jetant au baron undernier regard si coquin, qu’il se crut adoré. Le juge de paixdonna galamment la main à Mme Marneffe, en la conduisant envoiture.

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