La Cousine Bette

Chapitre 25Stratégie de Marneffe

Lisbeth, que le baron Hulot désirait lier avec Mme Marneffe pouravoir un oeil dans ce ménage, avait déjà dîné chez Valérie, qui, deson côté, voulant avoir une oreille dans la famille Hulot,caressait beaucoup la vieille fille. Valérie eut donc l’idéed’engager Mlle Fischer à pendre la crémaillère du nouvelappartement où elle devait s’installer. La vieille fille, heureusede trouver une maison de plus où aller dîner et captée par MmeMarneffe, l’avait prise en affection. De toutes les personnes aveclesquelles elle s’était liée, aucune n’avait fait autant de fraispour elle. En effet, Mme Marneffe, toute aux petits soins pour MlleFischer, se trouvait, pour ainsi dire, vis-à-vis d’elle ce qu’étaitla cousine Bette vis-à-vis de la baronne, de M. Rivet, de Crevel,de tous ceux enfin qui la recevaient à dîner. Les Marneffe avaientsurtout excité la commisération de la cousine Bette en lui laissantvoir la profonde détresse de leur ménage, et la vernissant commetoujours, des plus belles couleurs : des amis obligés et ingrats,des maladies ; une mère, Mme Fortin, à qui l’on avait caché sadétresse, et morte en se croyant toujours dans l’opulence, grâce àdes sacrifices plus qu’humains, etc.

– Pauvres gens ! disait-elle à son cousin Hulot, vous avezbien raison de vous intéresser à eux, ils le méritent bien, car ilssont si courageux, si bons ! Ils peuvent à peine vivre avecmille écus de leur place de sous-chef, car ils ont fait des dettesdepuis la mort du maréchal Montcornet ! C’est barbarie augouvernement de vouloir qu’un employé qui a femme et enfants vive,dans Paris, avec deux mille quatre cents francsd’appointements.

Une jeune femme qui, pour elle, avait des semblants d’amitié,qui lui disait tout en la consultant, la flattant et paraissantvouloir se laisser conduire par elle, devint donc en peu de tempsplus chère à l’excentrique cousine Bette que tous ses parents.

De son côté, le baron, admirant dans Mme Marneffe une décence,une éducation, des manières que ni Jenny Cadine, ni Josépha, nileurs amies ne lui avaient offertes, s’était épris pour elle, en unmois, d’une passion de vieillard, passion insensée qui semblaitraisonnable. En effet, il n’apercevait là ni moqueries, ni orgies,ni dépenses folles, ni dépravation, ni mépris des choses sociales,ni cette indépendance absolue qui, chez l’actrice et chez lacantatrice, avaient causé tous ses malheurs. Il échappait égalementà cette rapacité de courtisane, comparable à la soif du sable.

Mme Marneffe, devenue son amie et sa confidente, faisaitd’étranges façons pour accepter la moindre chose de lui.

– Bon pour les places, les gratifications, tout ce que vouspouvez nous obtenir du gouvernement ; mais ne commencez paspar déshonorer la femme que vous dites aimer, disait Valérie ;autrement, je ne vous croirai pas… Et j’aime à vous croire,ajoutait-elle avec une oeillade à la sainte Thérèse guignant leciel.

A chaque présent, c’était un fort à emporter, une conscience àvioler. Le pauvre baron employait des stratagèmes pour offrir unebagatelle, fort chère d’ailleurs, en s’applaudissant de rencontrerenfin une vertu, de trouver la réalisation de ses rêves. Dans ceménage primitif (disait-il), le baron était aussi dieu que chezlui. M. Marneffe paraissait être à mille lieues de croire que leJupiter de son ministère eût l’intention de descendre en pluie d’orchez sa femme, et il se faisait le valet de son auguste chef.

Mme Marneffe, âgée de vingt-trois ans, bourgeoise pure ettimorée, fleur cachée dans la rue du Doyenné, devait ignorer lesdépravations et la démoralisation courtisanesques qui maintenantcausaient d’affreux dégoûts au baron, car il n’avait pas encoreconnu les charmes de la vertu qui combat, et la craintive Valérieles lui faisait savourer, comme dit la chanson, tout le long de larivière.

Une fois la question ainsi posée entre Hector et Valérie,personne ne s’étonnera d’apprendre que Valérie ait su d’Hector lesecret du prochain mariage du grand artiste Steinbock avecHortense. Entre un amant sans droits et une femme qui ne se décidepas facilement à devenir une maîtresse, il se passe des luttesorales et morales où la parole trahit souvent la pensée, de mêmeque, dans un assaut, le fleuret prend l’animation de l’épée duduel. L’homme le plus prudent imite alors M. de Turenne. Le baronavait donc laissé entrevoir toute la liberté d’action que lemariage de sa fille lui donnerait, pour répondre à l’aimanteValérie, qui s’était plus d’une fois écriée :

– Je ne conçois pas qu’on fasse une faute pour un homme qui neserait pas tout à nous !

Déjà le baron avait mille fois juré que, depuis vingt-cinq ans,tout était fini entre Mme Hulot et lui.

– On la dit si belle ! répliquait Mme Marneffe, je veux despreuves.

– Vous en aurez, dit le baron, heureux de ce vouloir par lequelsa Valérie se compromettait.

– Et comment ? il faudrait ne jamais me quitter, avaitrépondu Valérie.

Hector avait alors été forcé de révéler ses projets en exécutionrue Vanneau pour démontrer à sa Valérie qu’il songeait à lui donnercette moitié de la vie qui appartient à une femme légitime, ensupposant que le jour et la nuit partagent également l’existencedes gens civilisés. Il parla de quitter décemment sa femme en lalaissant seule, une fois que sa fille serait mariée. La baronnepasserait alors tout son temps chez Hortense et chez les jeunesHulot, il était sûr de l’obéissance de sa femme.

– Dès lors, mon petit ange, ma véritable vie, mon vrai ménagesera rue Vanneau.

– Mon Dieu, comme vous disposez de moi !… dit alors MmeMarneffe. Et mon mari ?…

– Cette guenille !

– Le fait est qu’auprès de vous, c’est cela… , répondit-elle enriant.

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