La Cousine Bette

Chapitre 76Résumé de l’histoire des favorites

Une querelle s’élevait à la porte entre Mariette et un soldatqui devint si pressant, que la cuisinière entra au salon.

– Monsieur, un fourrier de régiment qui revient de l’Algère veutabsolument vous parler.

– Qu’il attende.

– Monsieur, dit Mariette à l’oreille de son maître, il m’a ditde vous dire tout bas qu’il s’agissait de monsieur votre oncle.

Le baron tressaillit, il crut à l’envoi des fonds qu’il avaitsecrètement demandés depuis deux mois pour payer ses lettres dechange, il laissa sa famille, et courut dans l’antichambre. Ilaperçut une figure alsacienne.

– Est-ce à mennesir la paron Hilotte… ?

– Oui…

– Lui-même ?

– Lui-même.

Le fourrier, qui fouillait dans la doublure de son képi pendantce colloque, en tira une lettre que le baron décacheta vivement, etil lut ce qui suit :

« Mon neveu, loin de pouvoir vous envoyer les cent mille francsque vous me demandez, ma position n’est pas tenable, si vous neprenez pas des mesures énergiques pour me sauver. Nous avons sur ledos un procureur du roi, qui parle morale et baragouine des bêtisessur l’administration. Impossible de faire taire ce pékin-là. Si leministère de la guerre se laisse manger dans la main par les habitsnoirs, je suis mort. Je suis sûr du porteur, tâchez de l’avancer,car il nous a rendu service. Ne me laissez pas auxcorbeaux ! »

Cette lettre fut un coup de foudre, le baron y voyait éclore lesdéchirements intestins qui tiraillent encore aujourd’hui legouvernement de l’Algérie entre le civil et le militaire, et ildevait inventer sur-le-champ des palliatifs à la plaie qui sedéclarait. Il dit au soldat de revenir le lendemain ; et,après l’avoir congédié, non sans de belles promesses d’avancement,il rentra dans le salon.

– Bonjour et adieu, mon frère ! dit-il au maréchal.

– Adieu, mes enfants ; adieu, ma bonne Adeline. Et quevas-tu devenir, Lisbeth ? dit-il.

– Moi, je vais tenir le ménage du maréchal, car il faut quej’achève ma carrière en vous rendant toujours service aux uns ouaux autres.

– Ne quitte pas Valérie sans que je t’aie vue, dit Hulot àl’oreille de sa cousine. – Adieu, Hortense, ma petiteinsubordonnée, tâche d’être bien raisonnable ; il me survientdes affaires graves, nous reprendrons la question de tonraccommodement. Penses-y, ma bonne petite chatte, dit-il enl’embrassant.

Il quitta sa femme et ses enfants, si manifestement troublé,qu’ils demeurèrent en proie aux plus vives appréhensions.

– Lisbeth, dit la baronne, il faut savoir ce que peut avoirHector, jamais je ne l’ai vu dans un pareil état ; resteencore deux ou trois jours chez cette femme ; il lui dit tout,à elle, et nous apprendrons ainsi ce qui l’a si subitement changé.Sois tranquille, nous allons arranger ton mariage avec le maréchal,car ce mariage est bien nécessaire.

– Je n’oublierai jamais le courage que tu as eu dans cettematinée, dit Hortense en embrassant Lisbeth.

– Tu as vengé notre pauvre mère, dit Victorin.

Le maréchal observait d’un air curieux les témoignagesd’affection prodigués à Lisbeth, qui revint raconter cette scène àValérie.

Cette esquisse permet aux âmes innocentes de deviner lesdifférents ravages que les madame Marneffe exercent dans lesfamilles, et par quels moyens elles atteignent de pauvres femmesvertueuses, en apparence si loin d’elles. Mais si l’on veuttransporter par la pensée ces troubles à l’étage supérieur de lasociété, près du trône ; en voyant ce que doivent avoir coûtéles maîtresses des rois, on mesure l’étendue des obligations dupeuple envers ses souverains quand ils donnent l’exemple des bonnesmœurs et de la vie de famille.

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