La Cousine Bette

Chapitre 118La vengeance tombe sur Valérie

Deux jours après, ceux des convives de du Tillet qui déchiraientMme Marneffe à belles dents, se trouvaient attablés chez elle, uneheure après qu’elle venait de faire peau neuve en changeant son nompour le glorieux nom d’un maire de Paris. Cette trahison de langueest une des légèretés les plus ordinaires de la vie parisienne.Valérie avait eu le plaisir de voir à l’église le baron brésilien,que Crevel, devenu mari complet, invita par forfanterie. Laprésence de Montès au déjeuner n’étonna personne. Tous ces gensd’esprit étaient depuis longtemps familiarisés avec les lâchetés dela passion, avec les transactions du plaisir. La profondemélancolie de Steinbock, qui commençait à mépriser celle dont ilavait fait un ange, parut être d’excellent goût. Le Polonaissemblait dire ainsi que tout était fini entre Valérie et lui.Lisbeth vint embrasser sa chère Mme Crevel, en s’excusant de ne pasassister au déjeuner, sur le douloureux état de santéd’Adeline.

– Sois tranquille, dit-elle à Valérie en la quittant, ils terecevront chez eux et tu les recevras chez toi. Pour avoirseulement entendu ces quatre mots : deux cent mille francs, labaronne est à la mort ! Oh ! tu les tiens tous par cettehistoire ; mais tu me la diras ?…

Un mois après son mariage, Valérie en était à sa dixièmequerelle avec Steinbock, qui voulait d’elle des explications surHenri Montès, qui lui rappelait ses phrases pendant la scène duparadis, et qui, non content de flétrir Valérie par des termes demépris, la surveillait tellement, qu’elle ne trouvait plus uninstant de liberté, tant elle était pressée entre la jalousie deWenceslas et l’empressement de Crevel. N’ayant plus auprès d’elleLisbeth, qui la conseillait admirablement bien, elle s’emportajusqu’à reprocher durement à Wenceslas l’argent qu’elle luiprêtait. La fierté de Steinbock se réveilla si bien, qu’il nerevint plus à l’hôtel Crevel. Valérie avait atteint son but, ellevoulait éloigner Wenceslas pendant quelque temps pour recouvrer saliberté. Valérie attendit un voyage à la campagne que Crevel devaitfaire chez le comte Popinot afin d’y négocier la présentation deMme Crevel, et put ainsi donner un rendez-vous au baron, qu’elledésirait avoir toute une journée à elle pour lui donner des raisonsqui devaient redoubler l’amour du Brésilien. Le matin de cejour-là, Reine, jugeant de son crime par la grosseur de la sommereçue, essaya d’avertir sa maîtresse, à qui naturellement elles’intéressait plus qu’à des inconnus ; mais, comme on l’avaitmenacée de la rendre folle et de l’enfermer à la Salpêtrière, encas d’indiscrétion, elle fut timide.

– Madame est si heureuse maintenant, dit-elle ; pourquois’embarrasserait-elle encore de ce Brésilien ?… Je m’en défie,moi !

– C’est vrai, Reine, répondit-elle ; aussi vais-je lecongédier.

– Ah ! madame, j’en suis bien aise, il m’effraye, cemoricaud ! Je le crois capable de tout…

– Es-tu sotte ! C’est pour lui qu’il faut craindre, quandil est avec moi.

En ce moment, Lisbeth entra.

– Ma chère gentille chevrette, il y a longtemps que nous ne noussommes vues ! dit Valérie. Je suis bien malheureuse… Crevelm’assomme, et je n’ai plus de Wenceslas, nous sommes brouillés.

– Je le sais, répondit Lisbeth, et c’est à cause de lui que jeviens : Victorin l’a rencontré, sur les cinq heures du soir, aumoment où il entrait dans un restaurant à vingt-cinq sous, rue deValois ; il l’a pris à jeun par les sentiments et l’a ramenérue Louis-le-Grand… Hortense, en revoyant Wenceslas maigre,souffrant, mal vêtu, lui a tendu la main… Voilà comment tu metrahis !

– M. Henri, madame ! vint dire le valet de chambre àl’oreille de Valérie.

– Laisse-moi, Lisbeth ; je t’expliquerai tout celademain !…

Mais, comme on va le voir, Valérie ne devait bientôt pluspouvoir rien expliquer à personne.

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