La Cousine Bette

Chapitre 73Exploitation au père

Vers onze heures, au moment où la soirée atteignait à son apogéed’animation, car le salon était plein de monde, Valérie prit avecelle Hector dans un coin de son divan.

– Mon bon vieux, lui dit-elle à l’oreille, ta fille s’est sifort irritée de ce que Wenceslas vient ici, qu’elle l’a planté là.C’est une mauvaise tête qu’Hortense. Demande à Wenceslas de voir lalettre que cette petite sotte lui a écrite. Cette séparation dedeux amoureux, dont on veut que je sois la cause, peut me faire untort inouï, car voilà la manière dont s’attaquent entre elles lesfemmes vertueuses. C’est un scandale que de jouer à la victime,pour jeter le blâme sur une femme qui n’a d’autres torts qued’avoir une maison agréable. Si tu m’aimes, tu me disculperas enrapatriant les deux tourtereaux. Je ne tiens pas du tout,d’ailleurs, à recevoir ton gendre, c’est toi qui me l’as amené,remporte-le ! Si tu as de l’autorité dans ta famille, il mesemble que tu pourrais bien exiger de ta femme qu’elle fît ceraccommodement. Dis-lui de ma part, à cette bonne vieille, que, sil’on me donne injustement le tort d’avoir brouillé un jeune ménage,de troubler l’union d’une famille, et de prendre à la fois le pèreet le gendre, je mériterai ma réputation en les tracassant à mafaçon ! Ne voilà-t-il pas Lisbeth qui parle de mequitter ?… Elle me préfère sa famille, je ne veux pas l’enblâmer. Elle ne restera ici, m’a-t-elle dit, que si les jeunes gensse raccommodent. Nous voilà propres, la dépense sera tripléeici !…

– Oh ! quant à cela, dit le baron en apprenant l’esclandrede sa fille, j’y mettrai bon ordre.

– Eh bien, reprit Valérie, à autre chose… Et la place deCoquet ?

– Ceci, répondit Hector en baissant les yeux, est plusdifficile, pour ne pas dire impossible !…

– Impossible, mon cher Hector, dit Mme Marneffe à l’oreille dubaron ; mais tu ne sais pas à quelles extrémités va se porterMarneffe. Je suis en son pouvoir ; il est immoral, dans sonintérêt, comme la plupart des hommes, mais il est excessivementvindicatif à la façon des petits esprits, des impuissants. Dans lasituation où tu m’as mise, je suis à sa discrétion. Obligée de meremettre avec lui pour quelques jours, il est capable de ne plusquitter ma chambre.

Hulot fit un prodigieux haut-le-corps.

– Il me laissait tranquille à la condition d’être chef debureau. C’est infâme, mais c’est logique.

– Valérie, m’aimes-tu ?

– Cette question, dans l’état où je suis, est, mon cher, uneinjustice de laquais…

– Eh bien, si je veux tenter, seulement tenter de demander aumaréchal une place pour Marneffe, je ne suis plus rien et Marneffeest destitué.

– Je croyais que le prince et toi, vous étiez deux amisintimes !

– Certes, il me l’a bien prouvé; mais, mon enfant, au-dessus dumaréchal, il y a quelqu’un… il y a encore tout le conseil desministres, par exemple… Avec un peu de temps, en louvoyant, nousarriverons. Pour réussir, il faut attendre le moment où l’on medemandera quelque service, à moi. Je pourrai dire alors : « Je vouspasse la casse, passez-moi le séné…  »

– Si je dis cela, mon pauvre Hector, à Marneffe, il nous joueraquelque méchant tour. Tiens, dis-lui toi-même qu’il faut attendre,je ne m’en charge pas. Oh ! je connais mon sort, il saitcomment me punir, il ne quittera pas ma chambre… N’oublie pas lesdouze cents francs de rente pour le petit.

Hulot prit M. Marneffe à part, en se sentant menacé dans sonplaisir ; et, pour la première fois, il quitta le ton hautainqu’il avait gardé jusqu’alors, tant il était épouvanté par laperspective de cet agonisant dans la chambre de cette joliefemme.

– Marneffe, mon cher ami, dit-il, il a été question de vousaujourd’hui ! Mais vous ne serez pas chef de bureau d’emblée…Il nous faut du temps.

– Je le serai, monsieur le baron, répliqua nettementMarneffe.

– Mais, mon cher…

– Je le serai, monsieur le baron, répéta froidement Marneffe enregardant alternativement le baron et Valérie. Vous avez mis mafemme dans la nécessité de se raccommoder avec moi, je lagarde ; car, mon cher ami, elle est charmante, ajouta-t-ilavec une épouvantable ironie. Je suis le maître ici, plus que vousne l’êtes au ministère.

Le baron sentit en lui-même une de ces douleurs qui produisent,dans le cœur, l’effet d’une rage de dents, et il faillit laisservoir des larmes dans ses yeux. Pendant cette courte scène, Valérienotifiait à l’oreille de Henri Montès la prétendue volonté deMarneffe, et se débarrassait ainsi de lui pour quelque temps.

Des quatre fidèles, Crevel seul, possesseur de sa petite maisonéconomique, était excepté de cette mesure ; aussi montrait-ilsur sa physionomie un air de béatitude vraiment insolent, malgréles espèces de réprimandes que lui adressait Valérie par desfroncements de sourcils et des mines significatives ; mais saradieuse paternité se jouait dans tous ses traits. A un mot dereproche que Valérie alla lui jeter à l’oreille, il la saisit parla main et lui répondit :

– Demain, ma duchesse, tu auras ton petit hôtel !… c’estdemain l’adjudication définitive.

– Et le mobilier ? répondit-elle en souriant.

– J’ai mille actions de Versailles, rive gauche, achetées à centvingt-cinq francs, et elles iront à trois cents à cause d’unefusion des deux chemins, dans le secret de laquelle j’ai été mis.Tu seras meublée comme une reine !… Mais tu ne seras plus qu’àmoi, n’est-ce pas ?…

– Oui, gros maire, dit en souriant cette Mme de Merteuilbourgeoise ; mais de la tenue ! respecte la future MmeCrevel.

– Mon cher cousin, disait Lisbeth au baron, je serai demain chezAdeline de bonne heure, car, vous comprenez, je ne peux décemmentrester ici. J’irai tenir le ménage de votre frère le maréchal.

– Je retourne ce soir chez moi, dit le baron.

– Eh bien, j’y viendrai déjeuner demain, répondit Lisbeth ensouriant.

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