La Cousine Bette

Chapitre 71Troisième père de la chambre Marneffe

La baronne logea sa fille dans la salle à manger, qui futpromptement transformée en chambre à coucher, grâce à l’argent dumaréchal ; et l’antichambre devint, comme dans beaucoup deménages, la salle à manger.

Quand Wenceslas revint chez lui, quand il eut achevé de lire lesdeux lettres, il éprouva comme un sentiment de joie mêlé detristesse. Gardé pour ainsi dire à vue par sa femme, il s’étaitintérieurement rebellé contre ce nouvel emprisonnement à laLisbeth. Gorgé d’amour depuis trois ans, il avait, lui aussi,réfléchi pendant ces derniers quinze jours ; et il trouvait lafamille lourde à porter. Il venait de s’entendre féliciter parStidmann sur la passion qu’il inspirait à Valérie ; carStidmann, dans une arrière-pensée assez concevable, jugeait àpropos de flatter la vanité du mari d’Hortense en espérant consolerla victime. Wenceslas fut donc heureux de pouvoir retourner chezMme Marneffe. Mais il se rappela le bonheur entier et pur dont ilavait joui, les perfections d’Hortense, sa sagesse, son innocent etnaïf amour, et il la regretta vivement. Il voulut courir chez sabelle-mère y obtenir son pardon, mais il fit comme Hulot et Crevel,il alla voir Mme Marneffe, à laquelle il apporta la lettre de safemme pour lui montrer le désastre dont elle était la cause, et,pour ainsi dire, escompter ce malheur en demandant en retour desplaisirs à sa maîtresse. Il trouva Crevel chez Valérie. Le maire,bouffi d’orgueil, allait et venait dans le salon, comme un hommeagité par des sentiments tumultueux. Il se mettait en positioncomme s’il voulait parler, et il n’osait. Sa physionomieresplendissait, et il courait à la croisée tambouriner de sesdoigts sur les vitres. Il regardait Valérie d’un air touché,attendri. Heureusement pour Crevel, Lisbeth entra.

– Cousine, lui dit-il à l’oreille, vous savez la nouvelle ?je suis père ! Il me semble que j’aime moins ma pauvreCélestine. Oh ! ce que c’est que d’avoir un enfant d’une femmequ’on idolâtre ! Joindre la paternité du cœur à la paternitédu sang ! Oh ! voyez-vous, dites-le à Valérie ! jevais travailler pour cet enfant, je le veux riche ! Elle m’adit qu’elle croyait, à certains indices, que ce serait ungarçon ! Si c’est un garçon, je veux qu’il se nomme Crevel :je consulterai mon notaire.

– Je sais combien elle vous aime, dit Lisbeth ; mais, aunom de votre avenir et du sien, contenez-vous, ne vous frottez pasles mains à tout moment.

Pendant que Lisbeth faisait cet aparté avec Crevel, Valérieavait redemandé sa lettre à Wenceslas, et elle lui tenait àl’oreille des propos qui dissipaient sa tristesse.

– Te voilà libre, mon ami, dit-elle. Est-ce que les grandsartistes devraient se marier ? Vous n’existez que par lafantaisie et par la liberté! Va, je t’aimerai tant, mon cher poète,que tu ne regretteras jamais ta femme. Cependant, si, commebeaucoup de gens, tu veux garder le décorum, je me charge de fairerevenir Hortense chez toi, dans peu de temps…

– Oh ! si c’était possible !

– J’en suis sûre, dit Valérie piquée. Ton pauvre beau-père estun homme fini sous tous les rapports, qui par amour-propre veutavoir l’air d’être aimé, veut faire croire qu’il a une maîtresse,et il a tant de vanité sur cet article, que je le gouverneentièrement. La baronne aime encore tant son vieil Hector (il mesemble toujours parler de l’Iliade), que les deux vieux obtiendrontd’Hortense ton raccommodement. Seulement, si tu ne veux pas avoirdes orages chez toi, ne reste pas vingt jours sans venir voir tamaîtresse… Je me mourais. Mon petit, on doit des égards, quand onest gentilhomme, à une femme qu’on a compromise au point où je lesuis, surtout quand cette femme a bien des ménagements à prendrepour sa réputation… Reste à dîner, mon ange… et songe que je doisêtre d’autant plus froide avec toi, que tu es l’auteur de cettetrop visible faute.

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