La Cousine Bette

Chapitre 121Le doigt de Dieu et celui du Brésilien

– Monsieur, dit Victorin à Bianchon, espérez-vous sauver M. etMme Crevel ?

– Je l’espère sans le croire, répondit Bianchon. Le fait estinexplicable pour moi… Cette maladie est une maladie propre auxnègres et aux peuplades américaines, dont le système cutané diffèrede celui des races blanches. Or, je ne peux établir aucunecommunication entre les noirs, les cuivrés, les métis et M. ou MmeCrevel. Si c’est d’ailleurs une maladie fort belle pour nous, elleest affreuse pour tout le monde. La pauvre créature, qui, dit-on,était jolie, est bien punie par où elle a péché, car elle estaujourd’hui d’une ignoble laideur, si toutefois elle est quelquechose !… Ses dents et ses cheveux tombent, elle a l’aspect deslépreux, elle se fait horreur à elle-même ; ses mains,épouvantables à voir, sont enflées et couvertes de pustulesverdâtres ; les ongles déchaussés restent dans les plaiesqu’elle gratte ; enfin, toutes les extrémités se détruisentdans la sanie qui les ronge.

– Mais la cause de ces désordres ? demanda l’avocat.

– Oh ! dit Bianchon, la cause est dans une altérationrapide du sang, il se décompose avec une effrayante rapidité.J’espère attaquer le sang, je l’ai fait analyser : je rentreprendre chez moi le résultat du travail de mon ami le professeurDuval, le fameux chimiste, pour entreprendre un de ces coupsdésespérés que nous jouons quelquefois contre la mort.

– Le doigt de Dieu est là! dit la baronne d’une voixprofondément émue. Quoique cette femme m’ait causé des maux quim’ont fait appeler, dans des moments de folie, la justice divinesur sa tête, je souhaite, mon Dieu ! que vous réussissiez,monsieur le docteur.

Hulot fils avait le vertige, il regardait sa mère, sa sœur et ledocteur alternativement, en tremblant qu’on ne devinât ses pensées.Il se considérait comme un assassin. Hortense, elle, trouvait Dieutrès juste. Célestine reparut pour prier son mari del’accompagner.

– Si vous y allez, madame, et vous, monsieur, restez à un piedde distance du lit des malades, voilà toute la précaution. Ni vousni votre femme, ne vous avisez d’embrasser le moribond ! Aussidevez-vous accompagner votre femme, monsieur Hulot, pour l’empêcherde transgresser cette ordonnance.

Adeline et Hortense, restées seules, allèrent tenir compagnie àLisbeth. La haine d’Hortense contre Valérie était si violente,qu’elle ne put en contenir l’explosion.

– Cousine ! ma mère et moi, nous sommes vengées !…s’écria-t-elle. Cette venimeuse créature se sera mordue, elle esten décomposition !

– Hortense, dit la baronne, tu n’es pas chrétienne en ce moment.Tu devrais prier Dieu de daigner inspirer le repentir à cettemalheureuse.

– Que dites-vous ! s’écria la Bette en se levant de sachaise, parlez-vous de Valérie ?

– Oui, répondit Adeline, elle est condamnée, elle va mourird’une horrible maladie, dont la description seule donne lefrisson.

Les dents de la cousine Bette claquèrent, elle fut prise d’unesueur froide, elle eut une secousse terrible qui révéla laprofondeur de son amitié passionnée pour Valérie.

– J’y vais ! dit-elle.

– Mais le docteur t’a défendu de sortir ?

– N’importe ! j’y vais !… Ce pauvre Crevel, dans quelétat il doit être, car il aime sa femme !

– Il meurt aussi, répliqua la comtesse Steinbock. Ah ! tousnos ennemis sont entre les mains du diable…

– De Dieu ! ma fille…

Lisbeth s’habilla, prit son fameux cachemire jaune, sa capote develours noir, mit ses brodequins ; et, rebelle auxremontrances d’Adeline et d’Hortense, elle partit comme poussée parune force despotique.

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