La Cousine Bette

Chapitre 63Jeune, artiste et Polonais que vouliez-vous qu’il fit ?

En ce moment, Valérie apportait elle-même à Steinbock une tassede thé. C’était plus qu’une distinction, c’était une faveur. Il ya, dans la manière dont une femme s’acquitte de cette fonction,tout un langage ; mais les femmes le savent bien ; aussiest-ce une étude curieuse à faire que celle de leurs mouvements, deleurs gestes, de leurs regards, de leur ton, de leur accent, quandelles accomplissent cet acte de politesse en apparence sisimple.

Depuis la demande : « Prenez-vous du thé? – Voulez-vous du thé? -Une tasse de thé? » froidement formulée, et l’ordre d’en apporterdonné à la nymphe qui tient l’urne, jusqu’à l’énorme poème del’odalisque venant de la table à thé, la tasse à la main, jusqu’aupacha du cœur et la lui présentant d’un air soumis, l’offrant d’unevoix caressante, avec un regard plein de promesses voluptueuses, unphysiologiste peut observer tous les sentiments féminins, depuisl’aversion, depuis l’indifférence, jusqu’à la déclaration de Phèdreà Hippolyte. Les femmes peuvent là se faire, à volonté, méprisantesjusqu’à l’insulte, humbles jusqu’à l’esclavage de l’Orient. Valériefut plus qu’une femme, elle fut le serpent fait femme, elle achevason œuvre diabolique en marchant jusqu’à Steinbock, une tasse dethé à la main.

– Je prendrai, dit l’artiste à l’oreille de Valérie en se levantet effleurant de ses doigts les doigts de Valérie, autant de tassesde thé que vous voudrez m’en offrir, pour me les voir présenterainsi !…

– Que parlez-vous de poser ? demanda-t-elle sans paraîtreavoir reçu en plein cœur cette explosion si rageusementattendue.

– Le père Crevel m’achète un exemplaire de votre groupe milleécus.

– Mille écus, lui, un groupe ?

– Oui, si vous voulez poser en Dalila, dit Steinbock.

– Il n’y sera pas, j’espère, reprit-elle ; le groupevaudrait alors plus que sa fortune, car Dalila doit être un peudécolletée…

De même que Crevel se mettait en position, toutes les femmes ontune attitude victorieuse, une pose étudiée, où elles se fontirrésistiblement admirer. On en voit qui, dans les salons, passentleur vie à regarder la dentelle de leurs chemisettes et à remettreen place les épaulettes de leurs robes, ou bien à faire jouer lesbrillants de leur prunelle en contemplant les corniches. MmeMarneffe, elle, ne triomphait pas en face comme toutes les autres.Elle se retourna brusquement pour aller à la table à thé retrouverLisbeth. Ce mouvement de danseuse agitant sa robe, par lequel elleavait conquis Hulot, fascina Steinbock.

– Ta vengeance est complète, dit Valérie à l’oreille de Lisbeth.Hortense pleurera toutes ses larmes et maudira le jour où elle t’apris Wenceslas.

– Tant que je ne serai pas Mme la maréchale, je n’aurai rienfait, répondit la Lorraine ; mais ils commencent à le vouloirtous… Ce matin, je suis allée chez Victorin. J’ai oublié de teraconter cela. Les Hulot jeunes ont racheté les lettres de changedu baron à Vauvinet, ils souscrivent demain une obligation desoixante-douze mille francs à cinq pour cent d’intérêt,remboursables en trois ans, avec hypothèque sur leur maison. Voilàles Hulot jeunes dans la gêne pour trois ans, il leur seraitimpossible de trouver maintenant de l’argent sur cette propriété.Victorin est d’une tristesse affreuse, il a compris son père. EnfinCrevel est capable de ne plus voir ses enfants, tant il seracourroucé de ce dévouement.

– Le baron doit maintenant être sans ressources ? ditValérie à l’oreille de Lisbeth en souriant à Hulot.

– Je ne lui vois plus rien ; mais il rentre dans sontraitement au mois de septembre.

– Et il a sa police d’assurance, il l’a renouvelée !Allons, il est temps qu’il fasse Marneffe chef de bureau, je vaisl’assassiner ce soir.

– Mon petit cousin, alla dire Lisbeth à Wenceslas, retirez-vous,je vous en prie. Vous êtes ridicule, vous regardez Valérie de façonà la compromettre, et son mari est d’une jalousie effrénée.N’imitez pas votre beau-père, et retournez chez vous, je suis sûrequ’Hortense vous attend…

– Mme Marneffe m’a dit de rester le dernier, pour arranger notrepetite affaire entre nous trois, répondit Wenceslas.

– Non, dit Lisbeth ; je vais vous remettre les dix millefrancs, car son mari a les yeux sur vous, il serait imprudent àvous de rester. Demain, à neuf heures, apportez la lettre dechange ; à cette heure-là, ce Chinois de Marneffe est à sonbureau. Valérie est tranquille… Vous lui avez donc demandé de poserpour un groupe ?… Entrez d’abord chez moi… Ah ! je savaisbien, dit Lisbeth en surprenant le regard par lequel Steinbocksalua Valérie, que vous étiez un libertin en herbe. Valérie estbien belle, mais tâchez de ne pas faire de chagrin àHortense ?

Rien n’irrite les gens mariés autant que de rencontrer, à toutpropos, leur femme entre eux et un désir, fût-il passager.

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