La Cousine Bette

Chapitre 117Dernière scène de haute comédie féminine

– Allons donc ! après deux ans, tu ne sais pas encore lacerune femme ! Tu es aussi par trop Polonais ! Voilà dixheures, mon Wences… las ! dit Valérie en riant.

En ce moment, une méchante bonne fit adroitement sauter avec lalame d’un couteau le crochet de la porte battante qui faisait toutela sécurité d’Adam et d’Eve. Elle ouvrit brusquement la porte, carles locataires de ces Edens ont tous peu de temps à eux, etdécouvrit un de ces charmants tableaux de genre, si souvent exposésau Salon, d’après Gavarni.

– Ici, madame ! dit la fille.

Et Cydalise entra suivie du baron Montès.

– Mais il y a du monde !… Excusez, madame, dit la Normandeeffrayée.

– Comment ! mais c’est Valérie ! s’écria Montès, quiferma la porte violemment.

Mme Marneffe, en proie à une émotion trop vive pour êtredissimulée, se laissa tomber sur une chauffeuse au coin de lacheminée. Deux larmes roulèrent dans ses yeux et se séchèrentaussitôt. Elle regarda Montès, aperçut la Normande et partit d’unéclat de rire forcé. La dignité de la femme offensée effaçal’incorrection de sa toilette inachevée : elle vint au Brésilien etle regarda si fièrement, que ses yeux étincelèrent comme desarmes.

– Voilà donc, dit-elle en venant se poser devant le Brésilien etlui montrant Cydalise, de quoi est doublée votre fidélité? Vous quim’avez fait des promesses à convaincre une athée en amour !vous pour qui je faisais tant de choses et même des crimes !…Vous avez raison, monsieur, je ne suis rien auprès d’une fille decet âge et de cette beauté!… Je sais ce que vous allez me dire,reprit-elle en montrant Wenceslas, dont le désordre était unepreuve trop évidente pour être niée. Ceci me regarde. Si je pouvaisvous aimer, après cette trahison infâme, car vous m’avez espionnée,vous avez acheté chaque marche de cet escalier, et la maîtresse dela maison, et la servante, et Reine peut-être… – Oh ! que toutcela est beau ! – si j’avais un reste d’affection pour unhomme si lâche, je lui donnerais des raisons de nature à redoublerl’amour !… Mais je vous laisse, monsieur, avec tous vos doutesqui deviendront des remords… – Wenceslas, ma robe !

Elle prit sa robe, la passa, s’examina dans le miroir, et achevatranquillement de s’habiller sans regarder le Brésilien, absolumentcomme si elle était seule.

– Wenceslas, êtes-vous prêt ? Allez devant.

Elle avait du coin de l’oeil et dans la glace espionné laphysionomie de Montès, elle crut retrouver dans sa pâleur lesindices de cette faiblesse qui livre ces hommes si forts à lafascination de la femme, elle le prit par la main en s’approchantassez près de lui pour qu’il pût respirer ces terribles parfumsaimés dont se grisent les amoureux ; et, le sentant palpiter,elle le regarda d’un air de reproche :

– Je vous permets d’aller raconter votre expédition à M. Crevel,il ne vous croira jamais, aussi ai-je le droit de l’épouser ;il sera mon mari après-demain… et je le rendrai bienheureux !… Adieu ! tâchez de m’oublier…

– Ah ! Valérie, s’écria Henri Montès en la serrant dans sesbras, c’est impossible !… Viens au Brésil !

Valérie regarda le baron et retrouva son esclave.

– Ah ! si tu m’aimais toujours, Henri ! dans deux ans,je serais ta femme ; mais ta figure en ce moment me paraîtbien sournoise…

– Je te jure qu’on m’a grisé, que de faux amis m’ont jeté cettefemme sur les bras, et que tout ceci est l’œuvre du hasard !dit Montès.

– Je pourrais donc encore te pardonner ? dit-elle ensouriant.

– Et te marierais-tu toujours ? demanda le baron en proie àune navrante anxiété.

– Quatre-vingt mille francs de rente ! dit-elle avec unenthousiasme à demi comique. Et Crevel m’aime tant, qu’il enmourra !

– Ah ! je te comprends, dit le Brésilien.

– Eh bien, dans quelques jours, nous nous entendrons,dit-elle.

Et elle descendit triomphante.

– Je n’ai plus de scrupules ! pensa le baron, qui restaplanté sur ses jambes pendant un moment. Comment ! cette femmepense à se servir de son amour pour se débarrasser de cet imbécile,comme elle comptait sur la destruction de Marneffe !… Je serail’instrument de la colère divine !

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