La Cousine Bette

Chapitre 74Un triste bonheur

Elle comprit combien sa présence était nécessaire à la scène defamille qui devait avoir lieu le lendemain. Aussi, dès le matin,alla-t-elle chez Victorin, à qui elle apprit la séparationd’Hortense et de Wenceslas.

Lorsque le baron entra chez lui, vers dix heures et demie dusoir, Mariette et Louise, dont la journée avait été laborieuse,fermaient la porte de l’appartement, Hulot n’eut donc pas besoin desonner. Le mari, très contrarié d’être vertueux, alla droit à lachambre de sa femme ; et, par la porte entr’ouverte, il la vitprosternée devant son crucifix, abîmée dans la prière, et dans unede ces poses expressives qui font la gloire des peintres ou dessculpteurs assez heureux pour les bien rendre après les avoirtrouvées. Adeline, emportée par l’exaltation, disait à haute voix:

– Mon Dieu, faites-nous la grâce de l’éclairer !…

Ainsi la baronne priait pour son Hector. A ce spectacle, sidifférent de celui qu’il quittait, en entendant cette phrase dictéepar l’événement de cette journée, le baron attendri laissa partirun soupir. Adeline se retourna, le visage couvert de larmes. Ellecrut si bien sa prière exaucée, qu’elle fit un bond et saisit sonHector avec la force que donne la passion heureuse. Adeline avaitdépouillé tout intérêt de femme, la douleur éteignait jusqu’ausouvenir. Il n’y avait plus en elle que maternité, honneur defamille, et l’attachement le plus pur d’une épouse chrétienne pourun mari fourvoyé, cette sainte tendresse qui survit à tout dans lecœur de la femme. Tout cela se devinait.

– Hector ! dit-elle enfin, nous reviendrais-tu ? Dieuprendrait-il en pitié notre famille ?

– Chère Adeline ! répondit le baron en entrant et asseyantsa femme sur un fauteuil à côté de lui, tu es la plus saintecréature que je connaisse, et il y a longtemps que je ne me trouveplus digne de toi.

– Tu aurais peu de chose à faire, mon ami, dit-elle en tenant lamain de Hulot et tremblant si fort, qu’elle semblait avoir un ticnerveux, bien peu de chose pour rétablir l’ordre…

Elle n’osa poursuivre, elle sentit que chaque mot serait unblâme, et elle ne voulait pas troubler le bonheur que cetteentrevue lui versait à torrents dans l’âme.

– Hortense m’amène ici, reprit Hulot. Cette petite fille peutnous faire plus de mal par sa démarche précipitée que ne nous en afait mon absurde passion pour Valérie. Mais nous causerons de toutcela demain matin. Hortense dort, m’a dit Mariette, laissons-latranquille.

– Oui, dit Mme Hulot, envahie soudain par une profondetristesse.

Elle devina que le baron revenait chez lui, ramené moins par ledésir de voir sa famille que par un intérêt étranger.

– Laissons-la tranquille encore demain, car la pauvre enfant estdans un état déplorable, elle a pleuré pendant toute la journée,dit la baronne.

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